Anthony David : “La maladie mentale est toujours considérée comme un symptôme de faiblesse morale” (El País)

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Article original en espagnol : Anthony David: “La enfermedad mental todavía es vista como un síntoma de debilidad moral”, El País, Rafa de Miguel, 1er août 2021.

Source : https://elpais.com/ideas/2021-08-01/anthony-david-la-enfermedad-mental-todavia-es-vista-como-un-sintoma-de-debilidad-moral.html

Comptes Twitter : @el_pais, @ProfTonyDavid, @demiguelr

Traduction : Patrick Moulin, alias @dsirmtcom


Le psychiatre Anthony David, à l’entrée du bâtiment principal de l’University College de Londres le 8 juillet, CARMEN VALIÑO

Le neuropsychiatre et directeur de l’Institute of Mental Health de l’University College London connaît les anomalies de l’esprit humain. “Ideas” [rubrique “Idées” du journal El País] commence une série d’entretiens avec des experts de notre cerveau

Que se passe-t-il dans le cerveau d’une personne pour qu’elle soit convaincue qu’elle est déjà morte, et que les proches qui l’entourent sont en réalité des imposteurs ? Comment est-il possible qu’une jeune femme en état végétatif soit capable de maintenir une conversation normale pendant des heures à chaque fois qu’elle reçoit un électrochoc ? Anthony David (Glasgow, 56 ans) est convaincu que l’étude des cas les plus extrêmes d’anomalies psychologiques est la meilleure façon de comprendre comment fonctionne normalement notre cerveau. Il défend la pratique de la psychiatrie comme une combinaison “bio-psycho-sociale” de compétences, parce que comprendre la biologie de l’être humain et l’environnement qui l’entoure est aussi nécessaire que [d’établir] le diagnostic psychiatrique. Le livre El cerebro es más profundo que el mar [Le cerveau est plus profond que la mer] (éditions Paidós), écrit par ce neuropsychiatre de l’University College de Londres, analyse plusieurs cas cliniques pour aider à comprendre, avec compassion et humilité devant des défis complexes et parfois insolubles, l’esprit humain.

Question. Pourquoi ce point de vue bio-psycho-social ?

Réponse. C’est une approche très utile qui nous rappelle que, en premier lieu, nous sommes tous des entités biologiques, des animaux qui ont évolué. Et que, à la différence des autres animaux, nous avons des pensées, des sentiments et une conscience de nous-mêmes qui nous rendent uniques. En même temps, nous sommes des animaux sociaux qui dépendent de leurs interactions avec d’autres personnes. Et toutes ces facettes peuvent s’altérer, prendre un mauvais chemin, et nous altérer. On ne pourra jamais expliquer les personnes et leurs comportements si on ne prend pas en compte chacun de ces éléments.

Q. Il existe des cas évidents de lésions cérébrales ou de maladies neurodégénératives. Il est plus complexe de comprendre qu’un événement extérieur puisse altérer le fonctionnement du cerveau.

R. Bien sûr, et c’est en partie ce qui nous rend exceptionnels en tant qu’êtres humains. La façon dont les gens nous traitent, nos expériences, nos souvenirs, peuvent nous affecter au point de modifier le fonctionnement de notre cerveau. Les hormones de stress produites en réponse à une situation menaçante ou particulièrement angoissante peuvent altérer le fonctionnement de notre cerveau et changer la vision que nous avons du futur. C’est pourquoi la clé est toujours dans l’interaction entre le biologique, le psychologique et le social. Et il ne faut pas être tenté de simplifier ces choses. Elles sont très complexes et nous ne parviendrons peut-être jamais à les comprendre entièrement. Nous devons les affronter avec humilité.

Q. Il semble logique de penser que le traumatisme subi par ceux qui ont souffert du covid-19 peut entraîner des troubles psychologiques. Il est plus mystérieux d’imaginer des dommages que la pandémie aura sur la santé mentale de la population en général.

R. Il est évident que cela va avoir des conséquences sociales et politiques très larges. Elles peuvent être à double sens. Nous pouvons finir par sentir que nous formons des parties d’une famille globale et que nous devons nous aider les uns les autres. Ou cela peut nous rendre plus égoïstes, nous concentrer sur notre propre défense et celle des nôtres, et considérer le monde extérieur comme un agent hostile et dangereux. Ces peurs générales qui se sont propagées dans l’atmosphère qui nous entoure peuvent finir par être intériorisées par un individu et se transformer en paranoïa. Mais il peut arriver le contraire. C’est comme si nous étions tous dans un congélateur et que nous avions froid et que nous grelottions. Ce sont des réactions normales face à un changement. Quand la température revient à la normale, nous revenons aussi d’une façon très rapide à la normalité. Notre capacité à nous adapter aux circonstances, à résister ou à changer, est très grande.

P. Et cependant, autant de ressources publiques destinées à lutter contre la maladie peuvent finir par réduire celles [destinées] à la protection de la santé mentale.

R. Si l’on compare l’argent public dépensé pour soigner les personnes ayant des problèmes de santé mentale avec celui qui est utilisé pour lutter contre le cancer ou les maladies coronariennes, la différence est énorme. Mais si vous analysez l’impact que des conditions psychiatriques déterminées peuvent avoir sur l’économie, par exemple le temps perdu au travail à cause de la dépression, son impact sur les familles, sur l’éducation, sur le système de justice pénale, quand les choses tournent mal, vous parvenez à la conclusion qu’aborder la santé mentale d’une façon plus sérieuse est un bon investissement.

Q. Les maladies mentales sont-elles toujours stigmatisantes ?

R. Les gens en parlent davantage. Même la famille royale britannique a embrassé la cause et, en ce sens, elle réussit à attirer l’attention de millions de personnes. Je pense que la maladie mentale est maintenant beaucoup moins stigmatisée, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir. Nous l’avons déjà vu lorsque nous parlons de l’écart dans le financement public, et la même chose se passe dans les dons philanthropiques. Les gens donnent de l’argent pour lutter contre la pauvreté infantile ou le cancer, mais peu le font pour lutter contre les maladies mentales. D’une certaine façon, elles sont encore considérées comme un symptôme de faiblesse morale. Ce sont des préjugés profonds qu’il est difficile de vaincre. Nous sommes en train de gagner cette bataille, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir devant nous.

Q. Le bonheur peut-il être atteint ?

R. Je pourrais esquiver la question et dire que le bonheur n’est pas ma spécialité. On ne va pas chez le médecin pour lui montrer à quel point on est en bonne santé. On y va seulement quand quelque chose de mal se produit. Mais j’admets que si l’on ne comprend pas en quoi consiste le bonheur ou la satisfaction personnelle, on comprendra difficilement la situation opposée. Je ne pense pas, cependant, qu’il s’agisse d’une question médicale. Cela a à voir avec le parcours de vie que chaque personne choisit. Et en cela, je ne suis pas un expert et je ne peux pas donner de conseils. Je suppose que si une personne se sent très loin d’atteindre cet état d’esprit, on peut l’aider à s’en rapprocher un peu plus. Mais le reste va dépendre de soi-même.


Traduction : Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, 1er août 2021.

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