José Martí, La Edad de Oro – I.4.1. Meñique [Poucinet] – I à III

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Philosophie – Fiches de lecture

Fiches de lecture n° 36-1-4-1 José Martí, La Edad de Oro – Meñique [Poucinet] – I à III


Sommaire

Présentation générale
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Meñique [Poucinet] – I à III

(Du français, de Laboulaye)

[Le conte original d’Edouard Laboulaye (1811-1883) est disponible sur le site Gallica]

Conte magique où est relatée l’histoire du Poucinet, et où on voit que le savoir vaut mieux que la force.


I à IIIIV à VII


– I –

Dans un pays très étrange vivait il y a très longtemps un paysan qui avait trois fils : Pedro, Pablo et Juancito [le petit Juan]. Pedro était gros et grand, avec un visage coloré, et sans beaucoup de jugeote ; Pablo était malingre et pâlichon, plein d’envies et de jalousies ; Juancito était mignon comme une femme, et plus léger qu’un ressort, mais si minuscule qu’il pouvait se cacher dans une botte de son père. On ne l’appelait pas Juan, mais Poucinet.

Le paysan était si pauvre qu’il y avait une fête dans la maison quand quelqu’un rapportait un centime. Le pain coutait cher, même si c’était du pain noir ; et ils n’avaient aucun moyen de gagner leur vie. Quand les trois fils furent assez grands, le père les supplia pour leur bien de quitter sa misérable cabane, pour aller chercher fortune de par le monde. Cela leur brisait le cœur de laisser leur vieux père et de dire adieu pour toujours aux arbres qu’ils avaient plantés, à la petite maison où ils étaient nés, au ruisseau où ils buvaient l’eau avec la paume de la main. A une lieue environ de là, le roi du pays avait un palais magnifique, tout en bois, avec vingt balcons en chêne sculpté, et six petites fenêtres. Il arriva soudainement, par une nuit d’intense chaleur, qu’un énorme chêne sortit de la terre, devant les six fenêtres, avec des branches si épaisses et tellement de feuillage qu’il laissa le palais du roi dans l’obscurité. C’était un arbre enchanté, et il n’y avait pas de hache qui aurait pu le faire tomber au sol, car le tranchant de la hache ne faisait qu’entailler le tronc si dur, et pour chaque branche coupée, il en sortait deux. Le roi offrit de donner trois sacs pleins de pesos à quiconque retirerait cet arbre du palais ; mais pour le moment le chêne était là, lançant branches et racines, et le roi dut se résoudre à allumer des lumières en plein jour.

Et ce n’était pas tout. À travers ce pays, des sources sont sorties jusque sous les pierres du chemin ; mais dans le palais il n’y avait plus d’eau. Les habitants du palais se lavaient les mains avec de la bière et se rasaient avec du miel. Le roi avait promis de faire marquis et de donner beaucoup de terre et d’argent à celui qui ouvrirait un puits dans la cour du château où on pourrait garder de l’eau pour toute l’année. Mais personne n’a remporté ce prix, car le palais était sur un rocher, et dès que la terre a été enlevée, la couche de granit est apparue en dessous. Il n’y avait pas plus d’un pouce de terre meuble.

Les rois sont capricieux, et ce petit roi voulait s’en sortir comme il l’entendait. Il a ordonné aux crieurs publics que fut placardé par toutes les villes et par tous les chemins de son royaume une affiche portant le sceau des armes royales, où il offrait de marier sa fille à celui qui aurait coupé l’arbre et ouvert le puits, et il lui donnerait en plus la moitié de ses terres.

Les terres étaient les meilleures pour les semailles, et la princesse était réputée intelligente et belle ; c’est ainsi que commencèrent à venir de toutes parts une armée d’hommes forts, la hache sur l’épaule et le pic au bras. Mais toutes les haches se sont brisées contre le chêne, et toutes les pointes se sont cassées contre la roche.

– II –

Les trois fils du paysan entendirent la proclamation et prirent le chemin du palais, sans croire qu’ils allaient épouser la princesse, mais [pensant] qu’ils trouveraient parmi autant de gens quelque travail. Tous les trois s’en allaient marchant sans s’arrêter, Pedro toujours content, Pablo se parlant tout seul, et Poucinet sautant de ci de là, s’aventurant dans tous les sentiers et les cachettes, observant tout avec ses yeux brillants de malice. À chaque pas, il avait quelque chose de nouveau à demander à ses frères : pourquoi les abeilles rentraient-elles leur petite tête dans les fleurs, pourquoi les hirondelles volaient-elles aussi près de l’eau, pourquoi les papillons ne volaient-ils pas droit. Pedro se mit à rire, et Pablo haussa les épaules et lui ordonna de se taire.

Marchant et marchant, ils arrivèrent dans une forêt de pins très épaisse qui couvrait toute une montagne, ils entendirent alors un grand bruit, comme venant d’une hache, et des arbres tombèrent depuis le sommet.

– Je voudrais savoir pourquoi ils sont allés là-haut pour couper du bois, déclara Poucinet. 

– Celui qui ne sait rien veut tout savoir, dit Pablo en grognant à moitié.

– On dirait que ce pantin n’a jamais entendu couper du bois, dit Pedro, tordant la joue de Poucinet en le pinçant fort.

 – Je vais voir ce qu’ils font là-haut, déclara Poucinet.

– Vas-y, tu es ridicule, tu vas vite redescendre bien fatigué, pour ne pas avoir cru ce que tes frères aînés te disent.

Et de branches en pierres, escaladant et sautant, Poucinet grimpa jusqu’à l’endroit d’où venait le son. Et que trouva Poucinet au sommet de la montagne ? Eh bien, une hache enchantée, qui coupait toute seule et était en train d’abattre un pin très robuste.

– Bonjour, Madame la Hache, dit Poucinet, Tu n’es pas fatiguée de couper toute seule cet arbre si vieux ?

– Cela fait de nombreuses années, mon enfant, que je t’attendais, répondit la hache.

– Eh bien, me voici, dit Poucinet.

Et sans se mettre à trembler, ni en demander plus, il mit la hache dans son grand sac de cuir, et descendit la montagne en sautant et en chantant.

– Qu’a vu là-haut celui qui veut tout savoir ?, demanda Pablo, faisant la moue et regardant Poucinet comme une tour regardant une épingle.

– Eh bien, la hache que nous avons entendue, répondit Poucinet.

– Alors le gamin a vu la bêtise de se faire suer pour rien, lui dit le gros Pedro.

Ils reprirent alors leur chemin sur le sentier tout en pierre, et un bruit se fit entendre qui venait de loin, comme un fer frappant un rocher.

– Je voudrais savoir qui est allé là-bas pour casser des pierres, déclara Poucinet.

– Voici un poussin qui vient de sortir de l’œuf et qui n’a jamais entendu le pivert taper dans un tronc, dit Pablo.

– Reste avec nous, gamin, ce n’est que le pivert qui picore un tronc, déclara Pedro.

– Je vais voir ce qui se passe là-bas.

Et ici à genoux, et là en se traînant à moitié, Poucinet escalada le rocher, entendant Pierre et Paul rire aux éclats. Et que trouva Poucinet là-bas sur le rocher? Eh bien, un pic enchanté, qui piochait tout seul, et était en train d’ouvrir la roche comme du beurre.

– Bonjour, Monsieur le Pic, dit Poucinet: N’êtes-vous pas fatigué de frapper si seul sur ce vieux rocher ?

– Cela fait de nombreuses années, mon enfant, que je t’attendais, répondit le pic.

– Eh bien, me voici, dit Poucinet.

Et sans un soupçon de peur, il tendit la main vers le pic, le prit de la poignée, le mit de côté dans son grand sac de cuir, et descendit parmi les pierres en gambadant et en chantant.

– Et quel miracle votre seigneurie a-t-elle vu là-bas ?, demanda Pablo, avec les moustaches en pointe.

– Ce que nous avons entendu était un pic, répondit Poucinet, et il continua à marcher sans dire un mot.

Plus tard, ils trouvèrent un ruisseau et s’arrêtèrent pour boire, car il faisait très chaud.

– Je voudrais savoir, déclara Poucinet, d’où vient tant d’eau dans une vallée aussi plate que celle-ci.

– Ce grandissime prétentieux, dit Pablo, qui veut fourrer son nez partout ! Ne sais-tu pas que des sources sortent de la terre?

– Je vais voir d’où vient cette eau.

Et les frères restèrent là à dire des niaiseries ; mais Poucinet commença à marcher le long de la rive du ruisseau, qui allait en se rétrécissant, se rétrécissant, jusqu’à ce qu’il ne fût plus qu’un fil. Et que trouva Poucinet quand il fut parvenu à la fin ? Eh bien, une coquille de noix enchantée, d’où jaillissait de l’eau claire, étincelant sous le soleil.

– Bonjour, Monsieur le Ruisseau, dit Poucinet, N’êtes-vous pas fatigué de vivre si seul dans votre coin, en répandant de l’eau ?

– Cela fait de nombreuses années, mon enfant, que je t’attendais, répondit le ruisseau.

– Eh bien, me voici, dit Poucinet.

Et sans la moindre frayeur, il prit la coquille de noix, l’enveloppa soigneusement dans de la mousse fraîche pour que l’eau ne s’échappe pas, la mit dans son grand sac de cuir, et retourna par le chemin d’où il était venu, en sautant et en chantant.

– Sais-tu maintenant d’où vient l’eau ?, lui cria Pedro.

– Oui, frère ; elle vient d’un petit trou.

– Oh, cet ami est dévoré par le talent ! C’est pour ça que ça ne grandit pas! dit Pablo, le pâlichon.

– J’ai vu ce que je voulais voir, et j’ai su ce que je voulais savoir, se dit Poucinet. Et il poursuivit son chemin, en se frottant les mains.

– III –

Enfin, ils arrivèrent au palais du roi. Le chêne avait grandi plus que jamais, le puits n’avait pas pu être ouvert, et sur la porte était placardée l’affiche avec le sceau des armes royales, où le roi promettait de marier sa fille et de donner la moitié de son royaume à celui qui couperait le chêne et ouvrirait le puits, qu’il fût seigneur de la cour, vassal fortuné, ou pauvre paysan. Mais le roi, fatigué par autant de tentatives inutiles, avait fait clouer en dessous de l’affiche une autre plus petite, qui disait en lettres rouges:

“Que les hommes sachent par cette affiche que le roi et seigneur, comme un bon roi qu’il est, a daigné ordonner qu’on coupe les oreilles, en dessous du chêne même, à celui qui viendrait pour abattre l’arbre ou ouvrir le puits, et qui ne l’abattrait pas, ou qui n’ouvrirait pas le puits ; afin de lui apprendre à se connaître lui-même et à être modeste, ce qui est la première leçon de la sagesse.”

Et autour de cette affiche étaient clouées trente oreilles sanguinolentes, coupées à la racine de la peau, de quinze hommes qui s’étaient crus plus forts qu’ils n’étaient.

En lisant cet avis, Pedro se mit à rire, se tordit les moustaches, regarda ses bras, avec ces muscles qui ressemblaient à des cordes, il fit voler la hache deux fois au-dessus de sa tête, et d’un coup il renversa l’une des branches les plus épaisses de l’arbre maudit. Mais aussitôt deux branches puissantes sortirent à l’endroit même de l’impact, et les soldats du roi lui coupèrent les oreilles sans autre cérémonie.

– Inutile !, dit Pablo, et il se dirigea vers le tronc, la hache à la main, et trancha d’un coup une grosse racine. Mais deux énormes racines sortirent au lieu d’une. Et le roi furieux ordonna qu’on coupe les oreilles de celui qui ne voulait pas apprendre de la tête de son frère.

Mais le cœur de Poucinet ne faillit pas, et il se lança sur le chêne.

– Sortez ce nain de là !, dit le roi, et s’il ne veut pas s’en aller, coupez-lui les oreilles !

– Majesté, votre parole est sacrée. La parole d’un homme est loi, Majesté. Votre affiche me donne le droit de tenter ma chance. Il sera toujours temps de me couper les oreilles, si je ne coupe pas l’arbre.

 – Et ils te trancheront aussi le nez, si tu ne le coupes pas.

Poucinet sortit laborieusement la hache enchantée de son grand sac en cuir. La hache était plus grande que Poucinet. Et Poucinet lui dit : « Coupe, hache, coupe ! »

Et la hache coupa, tailla, éclata, abattit les branches, rogna le tronc, arracha les racines, nettoya la terre autour, à droite et à gauche, et empila tellement de morceaux de l’arbre que le palais pourrait se chauffer avec le chêne tout cet hiver. Quand il ne resta plus une seule feuille de l’arbre, Poucinet alla là où le roi était assis à côté de la princesse et les salua avec une grande courtoisie.

– Maintenant, le roi me dira-t-il où il veut que son serviteur lui ouvre le puits ? Et toute la cour se rendit dans la cour du palais avec le roi, pour voir s’ouvrir le puits. Le roi monta sur une estrade plus haute que les sièges des autres ; la princesse avait sa chaise sur une marche plus basse et elle regarda avec stupeur cet homoncule qu’ils allaient lui donner comme mari.

Poucinet, serein comme une rose, ouvrit son grand sac de cuir, mit le pic sur le manche, le posa à l’endroit marqué par le roi, et dit : “Creuse, pioche, creuse !”

Et le pic commença à creuser, et le granit à se briser en morceaux, et en moins d’un quart d’heure un puits de cent pieds fut ouvert.

 – Ce puits semble-t-il assez profond à mon roi ?

 – Il est profond ; mais il n’a pas d’eau.

– Il aura de l’eau, déclara Poucinet. Il mit le bras dans le grand sac de cuir, enleva la mousse de la coquille de noix et plaça la coquille dans un plat rempli de fleurs. Et quand il fut bien dans la terre, il dit: « Jaillis, eau, jaillis ! »

Et l’eau commença à jaillir à travers les fleurs avec un doux murmure, rafraîchissant l’air dans la cour, et elle tomba en cascades si abondantes qu’en un quart d’heure le puits était déjà plein, et il fallut ouvrir un canal pour évacuer l’excès d’eau.

– Et maintenant, dit Poucinet, posant un genou à terre, est-ce que mon roi pense que j’ai fait tout ce qu’il m’a demandé ?

– Oui, marquis Poucinet, répondit le roi, et je te donnerai la moitié de mon royaume ; ou mieux, je t’achèterai pour ce que vaut ta moitié, avec la contribution que je vais imposer à mes vassaux, qui seront très heureux de payer parce que leur roi et seigneur a une bonne eau; mais je ne peux pas te marier à ma fille, parce que cela est une chose que je ne possède simplement pas.

– Et que veux-tu que je fasse d’autre, roi ?, dit Poucinet, debout sur la plante des pieds, avec sa petite main sur ses hanches, et regardant la princesse dans les yeux. – Demain, je te le dirai, marquis Poucinet, dit le roi, va maintenant dormir dans le meilleur lit de mon palais.

Mais Poucinet, dès que le roi partit, sortit à la recherche de ses frères, qui ressemblaient à deux chiens ratiers, avec leurs oreilles coupées.

– Dites-moi, frères, si je n’ai pas bien fait de chercher à tout savoir, et à voir d’où venait l’eau.

– Jamais plus de chance, dit Pablo – La fortune est aveugle et ne favorise que les idiots.

– Petit frère, dit Pedro, avec ou sans oreilles, je pense que ce que tu as fait est très bien, et j’aimerais que papa soit là pour te voir. Et Poucinet emmena dormir ses deux frères, Pedro et Pablo, dans de bons lits.


I à IIIIV à VII


Traduit de l’espagnol par Patrick Moulin @dsirmtcom.

Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, avril 2021.

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