José Martí, La Edad de Oro – II.3. Nené traviesa [Nené l’espiègle]

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Philosophie – Fiches de lecture

Fiches de lecture n° 36-2-3 – José Martí, La Edad de Oro – Nené traviesa [Nené l’espiègle]


Sommaire

Présentation générale
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Nené traviesa [Nené l’espiègle]

Qui sait s’il y a une fille qui ressemble à Nené ! Un vieil homme qui en sait beaucoup dit que toutes les filles sont comme Nené. Nené préfère jouer à “la maman” ou “à la marchande” ou “faire des friandises” avec ses poupées plutôt que de faire le cours sur les “trois et les quatre” avec la maîtresse qui vient pour l’instruire. Parce que Nené n’a pas de maman : sa maman est morte : et c’est pourquoi Nené a un professeur. Jouer à faire des friandises, c’est ce que Nené aime le plus : et pourquoi ? Qui sait ! C’est parce que pour jouer à faire des friandises, on lui donne du vrai sucre : en fait, les friandises ne sortent jamais bien du premier coup : ce sont des friandises des plus difficiles ! : elle doit toujours demander du sucre deux fois. Et il est connu que Nené ne veut pas donner de travail à ses amies ; parce que lorsqu’elle joue à se promener, à acheter ou à visiter, elle appelle toujours ses petites amies ; mais quand elle va faire des friandises, jamais. Et une fois il est arrivé une chose très étrange à Nené : elle a demandé à son père deux centimes pour acheter un nouveau crayon, et elle l’a oublié en chemin, elle l’a oublié comme si elle n’avait jamais pensé à acheter le crayon : ce qu’elle a acheté était une meringue à la fraise. Cela s’est su, bien sûr ; et depuis lors, ses amis ne l’ont plus appelée Nené, mais “Meringue à la fraise ».

Le père de Nené l’aimait beaucoup. On dit qu’il ne travaillait pas bien quand il n’avait pas vu de la matinée “la fillette”. Il ne disait pas “Nené”, mais “la fillette”. Quand son père revenait du travail, elle sortait toujours pour l’accueillir à bras ouverts, comme un petit oiseau qui déploie ses ailes pour s’envoler ; et son père la soulevait du sol, comme quelqu’un qui cueille une rose dans un rosier. Elle le regardait avec beaucoup d’affection, comme si elle lui posait des questions : et il la regardait avec des yeux tristes, comme s’il voulait se mettre à pleurer. Mais tout de suite il devenait heureux, il faisait monter Nené sur ses épaules et ils entraient ensemble dans la maison en chantant l’hymne national. Le père de Nené apportait toujours un nouveau livre, et il la laissait le regarder quand il y avait des figures ; elle aimait beaucoup certains livres qu’il apportait, où les étoiles étaient peintes, chacune avait son nom et sa couleur: et là, elle disait le nom de l’étoile rouge, de la jaune, et de la bleue, que la lumière avait sept couleurs, et que les étoiles se promenaient dans le ciel, tout comme des petites filles dans un jardin. Mais non : pas tout comme : parce que les petites filles marchent dans les jardins de-ci de-là, comme la feuille d’une fleur poussée par le vent, alors que les étoiles vont toujours dans le ciel par un même chemin, et non par où elles veulent : qui sait ? : il se peut qu’il y ait là-haut quelqu’un qui prenne soin des étoiles, comme les papas prennent soin ici sur la terre des petites filles. C’est seulement que les étoiles ne sont pas des petites filles, bien évidemment, ni des fleurs de lumière, comme elles paraissent ici-bas, mais [elles sont] grandes comme ce monde : et on dit que dans les étoiles il y a des arbres, de l’eau, et des gens comme ici : et son papa dit que dans un livre on raconte qu’on va vivre dans une étoile quand on meurt. “Et dis-moi, papa”, lui demanda Nené : “Pourquoi font-ils les maisons des morts si tristes ? Si je meurs, je ne veux voir personne pleurer, mais qu’on joue de la musique pour moi, parce que je vais aller vivre dans l’étoile bleue.” “Mais, seule, toi seule, sans ton pauvre papa ?” Et Nené dit à son papa : – “Vilain, qu’est-ce que tu crois !” Cette nuit-là, elle n’a pas voulu s’endormir tôt, mais elle s’est endormie dans les bras de son papa. Les papas sont très tristes quand la mère meurt dans la maison ! Les petites filles doivent aimer beaucoup, beaucoup les papas quand leur mère meurt.

Cette nuit-là, quand ils ont parlé des étoiles, le papa de Nené a apporté un très grand livre : oh, comme il pesait lourd ce livre ! : Nené a voulu le porter, et elle est tombée avec le livre par-dessus : on ne voyait plus que la petite tête blonde d’un côté, et des petites chaussures noires de l’autre. Son papa est venu en courant, il l’a sortie de dessous le livre et il s’est beaucoup moqué de Nené, qui n’avait pas encore six ans et voulait porter un livre vieux de cent ans. Le livre avait cent ans, et il ne lui avait pas poussé de barbe ! : Nené avait vu un vieillard de cent ans, mais le vieil homme avait une barbe très longue, qui lui allait jusqu’à la ceinture. Et l’exemple d’écriture dit que les bons livres sont comme les vieilles personnes : « Un bon livre, c’est comme un vieil ami «  : c’est ce que dit l’exemple d’écriture. Nené se coucha très silencieusement en pensant au livre. Quel était ce livre que son père ne voulait pas qu’elle touche ? Quand elle s’est réveillée, Nené ne pensait plus qu’à cela. Elle voulait savoir quel était ce livre. Elle voulait savoir comment était fait à l’intérieur un livre de cent ans qui n’avait pas de barbe.

Son père était loin, loin de la maison, travaillant pour elle, pour que la petite fille ait une belle maison et mange des confiseries fines le dimanche, pour acheter à la fillette des petites robes blanches et des rubans bleus, pour économiser un peu d’argent, pour qu’il n’arrive pas qu’à la mort de son papa, la “fillette” se retrouve sans rien au monde. Le pauvre papa était loin de la maison, travaillant pour “fillette”. La femme de chambre est à l’intérieur, préparant le bain. Personne n’entendait Nené : personne ne la voyait. Son père laissait toujours la bibliothèque ouverte. Là était la petite chaise de Nené, où elle s’asseyait le soir à la table d’écriture, à regarder travailler son père. Cinq petits pas, six, sept … Déjà Nené était à la porte : déjà elle la poussait ; déjà elle entrait. Ce sont des choses qui arrivent ! Comme s’il était en train de l’attendre, le vieux livre était ouvert sur sa chaise, ouvert à moitié. Petit à petit, Nené s’approcha de lui, très sérieuse, et comme quand on réfléchit beaucoup, en marchant avec les mains dans le dos. Pour rien au monde Nené n’aurait touché le livre : le voir rien de plus, rien de plus que le voir. Son père lui avait dit de ne pas le toucher.

Le livre n’a pas de barbe : de nombreux rubans et des marques luis sortent d’entre les pages, mais ce ne sont pas des barbes : celui qui est barbu c’est le géant qui est peint dans le livre  : Et la peinture est [pleine] de couleurs, des couleurs d’émail qui brillent, comme le bracelet que lui a offert son papa. Aujourd’hui, ils ne peignent pas les livres ainsi ! Le géant est assis au sommet d’une montagne, avec quelque chose de trouble, comme les nuages, du ciel, au-dessus de sa tête : il n’a qu’un œil, au-dessus de son nez : il est vêtu d’un tablier, comme les bergers, un tablier vert, pareil que le champ, avec des étoiles peintes, d’argent et d’or et la barbe est très longue, très longue, arrivant au pied de la montagne : et sur chaque mèche de la barbe un homme est en train de monter, comme l’homme du cirque grimpe à la corde pour aller au trapèze. Oh, cela ne peut se voir de loin ! Nené doit baisser le livre de la chaise. Comme il pèse ce coquin de livre ! Maintenant, on peut voir bien tout. Déjà le livre est sur le sol. 

Il y a cinq hommes qui montent : l’un est un homme blanc, avec une casaque et des bottes, et aussi avec une barbe : ce peintre aime beaucoup les barbes ! Un autre est comme un indien, oui, comme un indien, avec une couronne de plumes , et la flèche sur son dos : l’autre est chinois, comme le cuisinier, mais il porte un costume comme pour dame, tout plein de fleurs : l’autre ressemble au chinois, et porte un chapeau pointu, comme une poire : l’autre est noir, un noir très beau, mais il est sans habit : ce n’est pas bien, sans habit ! C’est pour cela que son père ne voulait pas qu’elle touche le livre ! Non : elle ne regarde plus cette page, pour ne pas que son père se fâche. Que ce vieux livre est beau ! Nené est déjà presque allongée sur le livre, comme si elle voulait lui parler avec les yeux.

Pour un peu la page se déchirait ! Mais non, elle ne s’est pas déchirée. Elle ne s’est pas déchirée plus loin que la moitié. Le papa de Nené ne voit pas bien. Cela, personne ne le verra. Maintenant, que ce livre est vraiment bien ! Il est meilleur, bien meilleur que l’arche de Noé. Ici sont peints tous les animaux du monde. Et avec des couleurs, comme le géant ! Oui, c’est ça, voilà la girafe qui est en train de manger la lune : voilà l’éléphant, l’éléphant, avec ce fauteuil plein de petits enfants. Oh, les chiens, comme il court, comme il court ce chien ! Viens là, le chien ! Je vais t’attraper, le chien, parce que tu ne veux pas venir ! Et Nené, bien sûr, arrache la page. Et que voit madame Nené ? L’autre peinture représente un monde de singes. Les deux pages du livre sont pleines de singes : un singe rouge joue avec un petit singe vert : un grand singe barbu mord la queue d’un énorme singe, qui marche comme un homme, avec un bâton à la main : un singe noir est en train de jouer dans l’herbe avec un autre [singe] jaune : ceux-là, ceux dans les arbres sont les enfants singes ! Comme ils sont drôles ! Comment ils jouent ! Ils se balancent par la queue, comme avec la balançoire ! Que c’est bien, comme ils sautent bien ! Un, deux, trois, cinq, huit, seize, quarante-neuf singes accrochés par la queue ! Ils vont se jeter dans la rivière ! Ils vont se jeter dans la rivière ! Allez ! Ils y vont tous ! Et Nené, enthousiaste, arrache du livre les deux pages. Qui appelle Nené, qui l’appelle ? Son papa, son papa, qui est en train de la regarder depuis la porte.

Nené ne voit pas. Nené n’entend pas. Il lui semble que son père grandit, qu’il grandit beaucoup, qu’il arrive jusqu’au plafond, qu’il est plus grand que le géant de la montagne, que son père est une montagne qui lui vient dessus. Elle est silencieuse, silencieuse, avec la tête baissée, avec les yeux fermés, avec les pages déchirées dans ses mains baissées. Et son papa est en train de lui parler : – “Nené, ne t’ai-je pas dit de ne pas toucher à ce livre ? Nené, ne sais-tu pas que ce livre n’est pas à moi, et qu’il vaut beaucoup d’argent, beaucoup ? Nené, ne sais-tu pas que pour payer ce livre je vais devoir travailler pendant un an ?” – Nené, blanche comme le papier, se releva du sol, avec sa petite tête baissée, et serra dans ses bras les genoux de son papa : – “Mon papa”, dit Nené, “mon père de mon cœur ! J’ai fâché mon bon père ! Je suis une vilaine petite fille ! Quand je mourrai je ne pourrai plus aller à l’étoile bleue !”


Traduit de l’espagnol par Patrick Moulin @dsirmtcom.

Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, mai 2021.

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