José Martí, La Edad de Oro – III.1.2. La exposición de París [L’exposition de Paris] – Seconde partie

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Philosophie – Fiches de lecture

Fiches de lecture n° 36-III-1.2. – José Martí, La Edad de Oro – La exposición de París [L’exposition de Paris]


Sommaire

Présentation générale
Premier numéroSecond numéroTroisième numéroQuatrième numéro


Première partieSeconde partie


La exposición de París [L’exposition de Paris] – Seconde partie

Pavillon de l’Argentine – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí 

Et nous sommes déjà au pied de la tour : une forêt se tient d’un côté, et une autre forêt de l’autre côté. L’une est plus verte, et c’est comme une forêt d’agrément, avec sa maison de pins suédois, les fenêtres pleines de fleurs, au bord d’un lac ; l’isba avec une porte ouvragée et un toit pointu dans lequel vit le fermier russe ; et la belle maison en bois, aux fenêtres triangulaires, où le Finlandais passe les mois enneigés, apprenant à ses enfants à peindre et à penser, à aimer les poètes de Finlande, à arranger le harpon de pêche et le traîneau de chasse, tandis que grand-père sculpte le granit comme l’opale, ou fait sortir des bateaux et des figurines d’une branche sèche, et où des femmes avec des grands bonnets et des tabliers tissent leur fine dentelle, à côté de la cheminée en bois sculpté. Il y a là un théâtre, et des laiteries, et une maison avec de larges réfectoires, et des domestiques en vestes noires, qui passent avec des bouteilles de vin dans des paniers à l’heure du repas, quand les oiseaux chantent dans les arbres. Mais c’est de l’autre côté où va notre cœur, car ils sont là, au pied de la tour, comme les rejetons du bananier autour du tronc, les pavillons fameux de nos terres d’Amérique, élégants et légers comme un guerrier indien : celui de la Bolivie comme le casque, celui du Mexique comme la ceinture, celui de l’Argentine comme le panache coloré : on dirait qu’ils la regardent comme les enfants d’un géant ! Il est bon d’avoir du sang neuf, du sang des peuples qui travaillent ! Celui du Brésil est là aussi, comme une église du dimanche dans une palmeraie, avec tout ce qui est produit dans ses jungles denses, des vases et des urnes rares des Indiens Marajos d’Amazonie, et dans une fontaine une Victoria regia [nénuphar géant] dans laquelle pourrait naviguer un enfant, des orchidées aux fleurs étranges, des sacs de café et des montagnes de diamants. Un soleil d’or brille là sur les arbres et sur les pavillons, et c’est le soleil argentin, posé au sommet de la coupole, blanche et bleue comme le drapeau du pays, et parmi quatre autres dômes en couronne, avec des groupes de statues dans les coins du toit, le palais de fer doré et aux cristaux colorés dans lequel la patrie de l’homme nouveau d’Amérique invite le monde plein d’émerveillement, à voir ce peut faire en quelques années un peuple nouveau-né qui parle espagnol , avec la passion pour le travail et pour la liberté ! Avec la passion pour le travail ! Mieux vaut mieux mourir brûlé par le soleil que de faire le tour du monde, comme une pierre vivante, les bras croisés ! A la porte, une statue indique une carte en relief où l’on voit la République, avec la rivière par laquelle entrent dans le pays les bateaux vapeurs emplis de gens qui viennent travailler ; avec les montagnes qui font pousser leurs métaux, et la vaste pampa, couverte de bétail. La ville modèle de La Plata s’y dresse, apparue tout à coup dans la plaine sauvage, avec des chemins de fer, un port, quarante mille habitants, et des écoles comme des palais. Et tout ce que produisent le mouton et le boeuf se voit là, tout ce que l’homme audacieux peut faire de la bête : mille peaux, mille laines, mille étoffes, mille industries : la viande fraîche dans la chambre froide : crinière, cornes, cocons, plumes, étoffes. Tout ce que l’homme a fait, l’Argentin essaie de le faire. La nuit, quand la foule frappe à la porte, les mille lumières électriques du palais s’allument en même temps, dans leurs globes de cristal blancs et bleus, rouges et verts.

Pavillon du Mexique – Source : Wikimédia

Le temple d’acier du Mexique est comme avec une ceinture de dieux et de héros, avec l’escalier solennel qui mène à la grande porte, et au-dessus de lui le soleil Tonatiuh, regardant grandir avec sa chaleur la déesse Cipactli, qui est la terre : tous les dieux de la poésie des Indiens, ceux de la chasse et des champs, ceux des arts et du commerce, ornent les deux murs que la porte a sur les côtés, comme deux ailes ; et les derniers braves, Cacama, Cuitláhuac et Cuauhtémoc, qui sont morts au combat, ou brûlés sur les bûchers, en défendant l’indépendance de leur patrie face aux conquistadors : à l’intérieur, sur les riches peintures sur les murs, on peut voir comment étaient les Mexicains d’alors, pendant leurs travaux et durant leurs fêtes, la mère veuve donnant son avis parmi les conseillers de la cité, les paysans extrayant le nectar du tronc de l’agave, les rois se rendant en visite au lac, dans leurs canoës décorés de fleurs. Ce temple d’acier a été construit, au pied de la tour, par deux Mexicains, comme pour que leur histoire, qui est comme la mère d’un pays, ne soit pas touchée par ceux qui ne la toucheraient pas comme leurs fils ! Ainsi on doit aimer la terre où l’on naît : avec fougue, avec tendresse ! Les beaux rideaux, les vitraux en acajou décorés de filigranes d’argent, les tissus en fibres, les essences parfumées, les plaques émaillées et les cruches vernies, les opales, les vins, les harnais, les sucres ; tout est orné de lettres et de personnages indiens. Ils semblent vivants, avec leurs costumes de cuir à franges et à galons, leurs larges sombreros avec leur tressage d’argent et d’or, et leur poncho aux épaules, en soie colorée, vivants comme s’ils allaient monter à cheval, les mannequins du riche éleveur, du jeune homme élégant qui prend soin de son hacienda, et sait faire « voltiger » un taureau. A la porte, sur un côté, des troncs colossaux en bois précieux poli ; et sur l’autre, de couleur rose et vert d’eau, la pyramide en marbre transparent de la terre, de l’onyx qui ressemble à un nuage figé au soleil couchant. Du plafond pend, vert, blanc et rouge, le drapeau de l’aigle [emblème du Mexique].

Et rassemblés comme frères, il y a encore d’autres pavillons : celui de la Bolivie, la fille de Bolívar, avec ses quatre gracieuses tours aux coupoles dorées, pleines d’un très riche quartz minéral, des restes de l’homme sauvage et des animaux grands comme des montagnes qui ont vécu autrefois en Amérique, et les feuilles de coca, qui donnent la force de continuer à marcher à celui qui est fatigué  : [le pavillon] de l’Equateur, qui est un temple inca, avec des dessins et des décorations comme ceux que les Indiens d’autrefois mettaient dans les temples du Soleil, et à l’intérieur les métaux et le cacao célèbres, des tissus et  des broderies d’une grande finesse, sur des présentoirs de cristal et d’or : le pavillon du Venezuela, avec sa façade comme une cathédrale, et dans la salle spacieuse tant d’échantillons de café, des pains de sucre brun, des livres de poésie et d’ingénierie, et des chaussures légères et raffinées : le pavillon du Nicaragua avec son toit rouge, comme ceux des maisons du pays, et ses salons sur les côtés, aux arômes de cacao et de vanille, des oiseaux aux plumes d’or et d’émeraude, des pierres métalliques avec des lumières arc-en-ciel, et des bois qui ont l’odeur du sang ; et dans la salle centrale, la carte du canal qu’ils vont ouvrir d’une mer à l’autre en Amérique, entre les restes des ruines. Avec de larges fenêtres comme les maisons salvadoriennes, et un très beau balcon en bois, le pavillon du Salvador, qui est un pays ouvrier, inventif et fin travailleur, qui cultive dans les champs la canne à sucre et le café, et qui fabrique des meubles comme ceux de Paris, des soies comme celles de Lyon, des broderies comme celles de Burano, et de la laine aux teintes joyeuses, aussi bonne que [la laine] anglaise, et des sculptures très gracieuses de bois et d’or. Par un portique grandiose on pénètre, parmi les sacs de blé et les échantillons de minéraux, dans le palais de fer du Chili : il y a là le bois robuste des forêts de l’Indien araucano, les vins topaze et rouges, les barres d’argent et d’or mat, tous les arts d’un peuple qui ne veut pas être laissé pour compte, le sel et l’arbuste rouge du désert : au fond il y a comme un jardin : les murs sont pleins de tableaux de numéros.

Et là, à côté du Chili, nous entrerions maintenant dans le Palais des Enfants, où les tout petits jouent au cheval et à la balançoire, et ils regardent se fabriquer les bateaux de cristal de Venise et les poupées que font les Japonais, enroulant avec un bout de bois autour d’une baguette des pâtes de différentes couleurs : et ils font un daimyo [gouverneur d’une province] avec son sabre, et un Mikado [empereur] d’aujourd’hui, avec sa redingote française : oh, le théâtre ! Oh, l’homme qui fait les confiseries ! Oh, le chien qui sait multiplier ! Oh, le gymnaste qui monte un cheval sur une roue ! Et le palais est rempli de jouets, à l’extérieur, depuis les montants de la porte jusqu’aux fanions du toit ! Mais, si nous n’avons pas le temps, comment faire pour arrêter de jouer, nous, les enfants d’Amérique, s’il y a encore tant à voir, si nous n’avons pas vu tous les pavillons de nos terres américaines ? Et cette maison de bois si nette et si amicale, qui convie les gens à entrer pour voir tout ce que leur donne la terre volcanique de leur pays, raisins et café, lianes et tigres, cocotiers et oiseaux, et qui vous conduit vers son auvent avec des rideaux, pour boire dans des tasses sculptées son chocolat mousseux ? Ce pavillon généreux est celui du Guatemala. Et cet autre [pavillon] élégant, avec tant de bois, est celui de la terre où on sait se défendre avec des branches d’arbres contre ceux qui viennent de l’extérieur pour leur ôter leur pays : [c’est le pavillon] de Saint-Domingue. Cet autre [pavillon] est celui du Paraguay, avec la tour de guet, avec les fenêtres et les portes comme celles d’une nation avec beaucoup de forêts, qui imite dans ses maisons des grottes et les arches des arbres. Et cet autre [pavillon] somptueux qui a des tours comme des lances et de la joie comme une réception ; celui qui a donné une partie de ses salles à deux peuples de notre famille, – à la Colombie, qui a maintenant tant à faire, au Pérou, qui est triste après une guerre qu’il a eue, – c’est le peuple courageux et cordial d’Uruguay, qui travaille avec art et plaisir, comme celui de la France, qui a combattu neuf ans contre un homme mauvais qui voulait le gouverner, et qui a un poète d’Amérique qui s’appelle Magariños : l’Uruguay vit de son bétail, et il n’y a aucun peuple au monde qui ait inventé autant de façons de conserver la bonne viande, en portion séchée, en bouillons qui ressemblent à du vin, en pâtes noires de [la marque] Liebig, et en biscuits savoureux : et dans la tour, qui ressemble à une lance, flotte, comme pour appeler les hommes bons, le drapeau du soleil, aux bandes blanches et bleues.

Les âniers égyptiens de la rue du Caire – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí 

Et il faut traverser à la hâte les palais d’un petit pays comme la Hollande, où il n’y a pas de Hollandais qui ne soit heureux, et qui vive comme [vit] un grand peuple, par son travail de marin, d’ingénieur, d’imprimeur, de tisserand de dentelle, de tailleur de diamants ; [le palais d’]un peuple comme la Belgique, qui en sait tant sur l’agriculture, et sur la fabrication des voitures, des maisons, des armes, des poteries, des tapisseries, et des briques ! Nous n’avons pas pu voir le pavillon de la Suisse, avec son école modèle, ses fromages comme des roues, et son atelier d’horlogerie ; ni celui d’Hawaï, qui est un pays où tout le monde sait lire, et où l’homme insulaire, au pied du volcan de feu, travaille la lave et la plume ; ni celui de la République de San Marin – qui sait où est San Marin ? – avec ses célèbres verreries peintes et ses familles de sculpteurs. [Le palais avec] la porte ouvragée en couleur est celui de la Serbie, proche de la Russie, où l’on fait de belles tapisseries et des mosaïques, et ce réfectoire, avec son toit en auvent, est de Roumanie, où les plus pauvres sont vêtus d’étoffes brodées, ils mangent la viande presque crue avec beaucoup de poivre dans des assiettes en bois, et ils boivent du lait de bufflonne. La maison à deux toits du Siam, le peuple de la cérémonie du riz, est pleine de soieries avec des broderies de fleurs et d’oiseaux, pleine de palanquins et de défenses d’éléphants. Et qui ne connaît pas la Chine, avec son pavillon à trois tours, où il n’y a pas assez de place pour les rideaux avec des arbres et des démons en or, ni pour les boîtes en ivoire avec des dessins en relief, ni pour la tapisserie où sont, avec les sept couleurs de la lumière, les oiseaux qui volent en fendant l’air, quand arrive le mois de mai, pour saluer le roi et la reine, ce sont deux rossignols partis vers le ciel pour voir qui s’était assis sur les nuages, et ils ont apporté un nid de rayons de soleil ? Oh, tout ce qu’il y a à voir ! Le palais hindou, rouge foncé avec des ornements blancs, comme les broderies de galons sur une robe de femme, et tout ce qui est tant sculpté, les fenêtres minuscules et la tour, comme la fontaine de marbre, les colonnes de porphyre, les lions de bronze qui décorent la salle, avec des tapisseries suspendues ? Et le [palais du] Japon, qui ressemble à [celui de] la Chine, avec plus de grâce et de délicatesse, et quelques vieux jardiniers qui aiment beaucoup les enfants ? Et [le palais de] la Grèce, celui à la porte basse avec un mur de chaque côté, avec l’histoire d’autrefois sur chacun, avant que les Romains ne la vainquent quand elle se dégrada, et la vie d’aujourd’hui au travail, dans les antiquités, dans les marbres rouges, les soies fines, les vins parfumés, depuis qu’elle a ressuscité avec le retour à la liberté, et elle a des cités comme Le Pirée, Syracuse, Corfou et Patras, qui valent maintenant par leurs travailleurs que les quatre célèbres [cités] de la Grèce antique : Athènes, Sparte, Thèbes et Corinthe ? Et le palais de la Perse, avec son entrée religieuse de mosquée, au toit d’un bleu vif, et à l’intérieur, entre les tentures vertes et jaunes, les encensoirs ciselés pour brûler les odeurs, les châles de soie qui passent au travers d’une boucle, les cimeterres ornés de bijoux qui coupent le fer, les violettes sucrées et les conserves de feuilles de rose? Et le bazar des Marocains, avec ses arcades blanches qui brillent au soleil, et ses Maures en turbans et babouches, polissant des couteaux, teintant le cuir souple, tressant la paille, martelant le cuivre, brodant le velours avec du fil d’or ? Et la rue du Caire, qui est une rue égyptienne comme en Égypte, les uns achetant des burnous, d’autres nouant la laine sur le métier à tisser, les uns vantant à haute voix leurs bonbons, les autres travaillant comme bijoutiers, tourneurs, potiers, fabricants de jouets, et de toutes parts, prêtant leurs ânons, les ânes moqueurs, et là-haut, enveloppée dans des voiles, la belle Maure, qui observe depuis son balcon aux persiennes ajourées ?

Palais des Industries (vue intérieure) – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí 

Oh, il n’y a pas de temps à perdre ! Nous devons aller voir la plus grande merveille, et l’audace qui attendrit le cœur en la voyant, et nous fait ressentir le désir de prendre les hommes dans les bras et de les appeler frères. Revenons au jardin. Entrons par le portique du Palais des Industries. Passons, les yeux fermés, par la galerie des quatorze portes, où chaque branche [d’activité] expose ses meilleurs ouvrages, et chaque industrie a composé la porte de son département, l’orfèvrerie avec l’argent et l’or et deux colonnes de pierre azurée, la faïencerie avec la porcelaine et les azulejos, [l’industrie du] meuble avec du bois sculpté comme les pétales d’une fleur, celle du fer avec des pics et des marteaux, et celle des armes avec des roues, des affûts, des boulets, des canons, et ainsi de suite. Par un couloir qui fait penser à de grandes choses, on se dirige vers l’escalier qui mène au balcon du monument : on lève les yeux : et on voit, rempli de la lumière du soleil, une salle en fer dans laquelle pourraient se mouvoir en même temps deux mille chevaux du temps, dans laquelle pourraient dormir trente mille hommes. Et tout est couvert de machines qui tournent en rond, qui aplatissent, qui sifflent, qui éclairent, qui traversent l’air en silence, qui courent en faisant trembler [jusque] sous la terre ! Les plus grosses machines sont au centre sur quatre rangées. Leur force vient d’un four rouge. Elle est transmise par des courroies, qui n’ont pas l’air aussi légères qu’elles paraissent. Les roues des courroies sont suspendues sur quatre rangées de pylônes. Autour sont réunies toutes les machines du monde, celles qui font de la poudre d’acier, celles qui affûtent les aiguilles. Quelques femmes en tabliers rouges travaillent le papier hollandais. Un cylindre, qui ressemble à un éléphant en mouvement, découpe des enveloppes. Un mortier sépare le grain de blé de la coque. Un anneau de fer est en l’air grâce à l’électricité, sans rien pour le maintenir. Là sont fondus les métaux avec lesquels sont faites les lettres d’imprimerie, là se fait le papier en toile ou en bois, ici la presse imprime le journal, le lance de l’autre côté, le retourne, humide. Une machine souffle de l’air dans le puits d’une mine afin que les mineurs ne s’étouffent pas. Un autre écrase la canne et fait jaillir un jet de miel. Alors voir les machines depuis le balcon fait venir les larmes aux yeux ! Elles rugissent, elles susurrent, c’est comme la mer : le soleil entre à torrents. La nuit, un homme touche un bouton, les deux fils de la lumière se rejoignent, et au-dessus des machines, qui semblent accroupies dans les ténèbres, il répand la lumière, suspendue à la voûte, le cycle électrique. Au loin, là où Edison a ses inventions, s’allument avec une étincelle vingt mille lumières, comme une couronne.

L’Esplanade des Invalides – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí 

Il y a des panoramas de Paris, de Naples avec son volcan, et du Mont Blanc, qui donne froid en le regardant, et de la rade de Rio de Janeiro. Il y en a un autre qui est au centre comme un pont de navire, et il semble d’après la peinture que le navire entier est là, ainsi que le ciel et la mer. Il y a le palais des peintures fines des aquarellistes, et un autre, aux décors comme un miroir, avec ceux qui peignent au pastel. Il y a les deux pavillons de Paris, où l’on apprend comment prendre soin d’une grande ville. Il y a des ateliers aux abords de l’Exposition, où l’on peut voir (pour que celui qui est égoïste apprenne à être bon) le travail de l’homme dans les mines de houille, au fond de l’eau, dans les réservoirs où l’or bouillonne, comme de la vase. Il y a, au loin, noirs et laids, les chaudrons où les hommes noircis jettent le charbon pour faire de la vapeur. Mais là où tous se rendent, c’est le champ qui est devant le palais où les soldats manchots et boiteux gardent la sépulture de pierre de Napoléon, entouré de drapeaux troués : et au sommet du palais, la coupole dorée ! Ils vont tous, après avoir vu les peuples étrangers, jusqu’à l’Esplanade des Invalides. En passant, on ne verra pas plus que le palais où se trouve tout ce qui sert pour combattre : le ballon qui va dans les airs pour voir d’où vient l’ennemi : les pigeons avec le message qui savent voler si haut que les balles ne les atteignent pas : mais qui en atteignent souvent quelques-uns ! Au passage nous verrons, dans le pavillon de la République d’Afrique du Sud, le diamant impérial, qu’ils ont sorti de la terre, et qui est le plus gros du monde. Ici se trouvent les tentes des soldats, avec les fusils à leur porte. Là sont, gracieuses, les maisons que les hommes bons veulent construire pour les ouvriers, pour qu’ils voient la lumière le dimanche, et se reposent dans leur petite maison propre, quand ils sont fatigués. Là, avec sa tour comme la fleur de magnolia, est la pagode cambodgienne, la terre où ils ne vivent plus désormais, car ils sont morts pour la liberté, ces Khmers qui ont fait des temples plus hauts que les montagnes. Voilà, avec ses colonnes en bois, le palais de Cochinchine, et dans le patio son bassin de poissons dorés, ses encadrements des portes sculptées à la pointe du couteau, et, au fond, sur le perron, deux dragons en faïence brillante, avec la bouche ouverte. Le palais d’Annam ressemble au [palais] chinois, avec ses boiseries peintes en rouge et bleu, et dans la cour un de leurs dieux géants en bronze, qui est comme de la cire très fine de couleur noisette, les toits, les colonnes et les portes sculptés à la suite, comme des nids, ou avec des petites feuilles, comme la cime des arbres. Et au-dessus des temples hindous, avec leurs tours colorées et leur montagne de dieux en bronze à la porte, des dieux au ventre d’or et aux yeux d’émail, tout est plein de soies et d’ivoires, d’étoffes d’argent brodées de saphirs, le Palais Central de toutes les terres possédées par la France en Asie : dans une salle, en soulevant une tenture bleue, un éléphant offre une pipe à opium. Là, parmi les palmiers, brille, blanc et comme en dentelle, le minaret du palais aux arcades d’Alger, où marchent, comme des rois prisonniers, les Arabes beaux et silencieux. Avec ses portes cloutées et ses terrasses, pleines de Maures tunisiens et d’Hébreux à la barbe noire, buvant du vin doré dans le café, achetant des poignards avec des lettres du Coran sur la lame, le hameau de Tunis est là, parmi les forêts de dattiers, construit avec des vieilles pierres et des faïences brisées de Carthage. Un Annamite solitaire, accroupi, regarde, les yeux mi-clos, la pagode d’Angkor, celle avec la tour comme la fleur de magnolia, avec le dieu Bouddha en haut, le Bouddha à quatre têtes.

Les tisseuses kabyles à l’Esplanade des Invalides – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí 

Et parmi les palais il y a des villages entiers de terre glaise et de paille : le Canaque noir dans sa hutte ronde, celui de Fouta-Djalon préparant le fer dans son four en terre, celui de Kédougou, avec sa culotte de plumes, dans la tour ronde où il se défendant contre l’homme blanc : et à côté, faite de pierre et avec des fenêtres pour combattre, la tour carrée dans laquelle vingt-six Français firent reculer vingt mille Noirs, qui ne pouvaient enfoncer leur lance de bois dans la pierre dure ! Dans le village d’Anam, avec ses maisons légères aux toits pointus et aux couloirs, on voit l’habitant de Cochinchine, assis sur sa natte, lisant son livre, qui est une longue feuille, enroulée sur un bâton ; un autre, un acteur, qui se peint le visage en vermillon et en noir ; et le bonze priant, avec la capuche sur la tête et les mains sur les genoux. Les Javanais, en blouses et culottes larges, vivent heureux, avec tant d’air et de clarté, dans leur kampong de maisons en bambou : l’enceinte du village est en bambou, [ainsi que] les maisons et les chaises, la grange où ils gardent le riz, la tribune où les vieillards se réunissent pour commander les choses du village, et la musique avec laquelle ils vont chercher les danseuses aux pieds nus, avec leurs casques à plumes et leurs bracelets d’or. Le Kabyle, dans son burnous blanc, se dirige vers la porte de sa maison de terre, basse et sombre pour que l’étranger audacieux n’entre pas pour voir les femmes de la maison, assises sur le sol, tressant sur le métier à tisser, avec le front peint en couleurs. Derrière se trouve la tente du Kabyle, qu’il emporte en voyage : l’ânon roule dans la poussière : le frère met dans un coin la chaise de cuir brodée d’or pur : le vieil homme à la porte est en train de faire monter sur le chameau son petit-fils, qui lui tire son barbe.

La Fantasia arabe à l’Esplanade des Invalides – Source : Las Ilustraciones de la Edad de Oro de José Martí

Et dehors, à l’air libre, c’est comme une folie. On dirait des bijoux qui marchent, ces gens en costumes colorés. Certains vont au café mauresque, pour voir danser les Maures, avec leurs voiles de crêpe et leur robe violette, remuant lentement les bras, comme si elles étaient en train de dormir. D’autres vont au théâtre du Kampong où sont alignées des poupées de papier, regardant avec leurs yeux de porcelaine les bayadères javanaises, qui dansent comme si elles ne marchaient pas sur leurs pieds, et viennent avec les bras ouverts, comme des papillons. Dans un café aux tables rouges, avec des lettres mauresques sur les murs, les Aissaouas, qui sont comme des fous de religion, s’arrachent les yeux et les laissent pendre, ils mâchent du verre, et mangent des scorpions vivants, car ils disent que leur dieu parle la nuit depuis le ciel, et leur ordonne de les manger. Et dans le théâtre des Annamites, les comédiens habillés en panthères et en généraux, racontent, en sautant et en hurlant, en se jetant des plumes sur la tête et en se retournant, l’histoire du prince qui visita le palais d’un ambitieux, et but une tasse de thé empoisonné. Mais il fait déjà nuit et il est temps de réfléchir, les clairons, avec leur cornet de bronze, battent en retraite. Les chameaux se mettent à courir. L’Algérien monte le minaret, pour appeler à la prière. L’Annamite salue trois fois, devant la pagode. Le Canaque noir lève sa lance vers le ciel. Les danseuses mauresques passent, en mangeant des sucreries. Et le ciel, tout à coup, comme dans un brasier, s’illumine de rouge : il est déjà comme du sang : c’est déjà comme au coucher du soleil : c’est déjà comme la couleur de la mer à l’aube : c’est déjà bleu comme si le ciel était entré par la pensée : maintenant blanc, comme l’argent : maintenant violet, comme une branche de lilas : maintenant, avec le jaune de la lumière, les coupoles des palais brillent, comme des couronnes d’or : là-bas, à l’intérieur des fontaines, ils sont en train de mettre des cristaux colorés entre la lumière et l’eau, qui tombent en torrents de la couleur de cristal, et lancent leurs étincelles dans le ciel. La tour, dans la clarté, brille dans le ciel noir comme une dentelle rouge, tandis que passent sous ses arches les peuples du monde.


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Traduit de l’espagnol par Patrick Moulin @dsirmtcom.

Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, juillet 2021.

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