José Martí, La Edad de Oro – III.2. El camarón encantado [La crevette enchantée]

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Philosophie – Fiches de lecture

Fiches de lecture n° 36-III-2- José Martí, La Edad de Oro – El camarón encantado [La crevette enchantée]


Sommaire

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El camarón encantado [La crevette enchantée]

[L’écrevisse, conte original d’Edouard Laboulaye, publié dans l’ouvrage Derniers contes bleus, texte disponible en ligne sur Gallica (p. 105-143)]

Conte magique du français Laboulaye.

Source : Gallica

Là-bas dans un village de la mer Baltique, du côté de la Russie, vivait le pauvre Loppi dans une vieille bicoque, sans autre compagnie que sa hache et sa femme. La hache, bon ! mais la femme s’appelait Masicas, ce qui signifie “fraise aigre”. Et Masicas était vraiment aigre, comme des fraises des bois. En voilà un nom : Masicas ! Elle ne se fâchait jamais, bien sûr, quand on faisait ce qui lui plaisait ou qu’on ne la contredisait pas ; mais s’il ne cédait pas à son caprice, il devait aller aller dans les bois pour ne pas l’entendre. Elle était silencieuse du matin au soir, préparant la réprimande, tandis que Loppi marchait dehors avec la hache, coupant court, cherchant le pain : et dès que Loppi entrait, elle n’arrêtait pas de le gronder, du soir au matin. Parce qu’ils étaient très pauvres, et que quand les gens ne sont pas bons, la pauvreté les met de mauvaise humeur. La maison de Loppi était vraiment pauvre : les araignées ne faisaient pas de toiles dans ses recoins parce qu’il n’y avait pas de mouches à attraper, et deux souris qui sont entrées en s’égarant, sont mortes de faim.

Source : Gallica

Un jour, Masicas fut plus chamailleuse que d’habitude, et le bon bûcheron sortit de la maison en soupirant, avec sa musette vide sur l’épaule : la musette en cuir, où était le quignon de pain, ou le chou, ou les pommes de terre qu’on lui donnait comme aumône. Il était très tôt le matin, et comme il passait près d’une flaque d’eau, il vit dans l’herbe humide un animal qui lui parut étrange et noirâtre, avec de nombreuses bouches, comme mort ou endormi. C’était vraiment grand : c’était une énorme crevette. “Dans le sac la crevette ! ce dîner ramènera la raison cette crève-la-faim de Masicas ; qui sait ce qu’il dit quand il a faim ?” Et il mit la crevette dans le sac.

Mais qu’arrive-t-il à Loppi, qui bondit en arrière, dont la barbe tremble, qui pâlit ? Du fond du sac sortit une voix très triste : la crevette était en train de lui parler :

– Arrête-toi, mon ami, arrête-toi et laisse-moi partir. Je suis la plus vieille des crevettes : j’ai plus d’un siècle : que vas-tu faire avec cette carapace dure ? Sois bon avec moi, comme tu voudrais qu’on soit bon avec toi.

– Pardonne-moi, petite crevette, je te laisserai bien partir ; Mais ma femme attend son dîner, et si je lui dis que j’ai trouvé la plus grosse crevette du monde, et que je l’ai laissé s’échapper, ce soir je sais le bruit que fera un manche à balai quand ta femme te le casse sur les côtes.

– Et pourquoi dois-tu le dire à ta femme ?

– Oh, petite crevette ! tu me dis ça car tu ne sais pas qui est Masicas. Masicas est une grande personne, qui te mène par le bout du nez, et que tu laisses te mener : Masicas me met à l’envers, et me sort tout ce que j’ai dans le cœur : Masicas en sait beaucoup.

– Alors, écoute, bûcheron, je ne suis pas une crevette comme j’en ai l’air, mais une magicienne d’un grand pouvoir, et si tu m’écoutes, ta femme sera contente, et si tu ne m’écoutes pas, tu devras le regretter toute ta vie.

– Tu rends Masicas contente, et je te laisse partir, car je ne fais de mal à personne par plaisir.

– Dis-moi quel poisson ta femme préfère.

– Eh bien, celui qu’il y a, crevette, parce que les pauvres ne choisissent pas : ce que tu dois faire, c’est que je ne revienne pas avec une musette vide.

– Eh bien, dépose-moi dans l’herbe, mets ta musette ouverte dans la flaque, et dis : « Poissons, à la musette ! »

Et tant de poissons entrèrent dans la musette qu’elle s’échappait des mains de Loppi. Les mains de Loppi dansaient d’étonnement.

– Tu vois, bûcheron, dit la crevette, je ne suis pas ingrate. Viens ici tous les matins, et dès que tu diras : « À la musette, poissons ! » tu auras une musette pleine, avec des poissons rouges, des poissons argentés, des poissons jaunes. Et si tu veux quelque chose de plus, viens et dis-moi ceci :

“Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire” :

Et je sortirai, et je verrai ce que je peux faire pour toi. Mais écoute, sois raisonnable et ne dis pas à ta femme ce qui s’est passé aujourd’hui.

– J”essaierai, madame la magicienne, j’essaierai, dit le bûcheron; et il posa soigneusement la crevette miraculeuse dans l’herbe, et d’un saut elle fut dans l’eau.

Source : Gallica

Loppi cheminait comme la plume, en retournant chez lui. La musette n’était pas lourde, mais il la posa par terre avant d’atteindre la porte, car il était trop pris par la curiosité. Les poissons commencèrent à sauter, d’abord un brochet comme une perche, puis une carpe, rayonnante comme l’or, puis deux truites, et tout un monde de mérous. Masicas serra Loppi dans ses bras, le serra à nouveau et dit : “Mon petit bûcheron !”

– Tu vois, tu vois, Loppi, ce qui nous arrive pour avoir écouté ta femme et être parti tôt pour chercher fortune. Va au potager, va, apporte-moi de l’ail et des oignons, et apporte-moi des champignons : va, va à la montagne, petit bûcheron, je vais te faire une soupe que le roi [lui-même] ne mange pas. Et nous grillerons la carpe : même un conseiller ne mangera pas mieux que nous.

Et le repas fut vraiment très bon, parce que Masicas n’a rien fait d’autre que ce que Loppi voulait, et Loppi était en train de penser au moment où il l’avait rencontrée, elle était comme une belle rose, et il avait eu peur de lui parler. Mais le lendemain Masicas n’a pas fait autant la fête au sac de poisson. Le jour d’après, elle s’est mise à parler toute seule. Le samedi, elle lui a tiré la langue dès qu’elle l’a vu venir. Et le dimanche, elle lui est tombée dessus, alors que Loppi revenait avec sa musette sur les épaules.

– Mauvais mari, mauvais homme, mauvais compagnon ! Qui va me tuer un poisson ! Voir ta musette me fait retourner l’âme !

– Alors, que veux-tu que je t’apporte ? dit le pauvre Loppi.

– Eh bien, ce que mangent toutes les femmes de bûcherons honnêtes : une bonne soupe et un morceau de lard.

“Pourvu que, pensa Loppi, la magicienne veuille me faire cette faveur.”

Et le lendemain au petit matin, il alla à la flaque d’eau et se mit à donner de la voix :

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire :

Et l’eau se mit à bouger, une bouche noire en sortit, puis une autre bouche, et puis la tête, avec deux grands yeux qui resplendissaient.

– Que veut le bûcheron ?

– Pour moi, rien : rien pour moi, petite crevette : qu’est-ce que je devrais vouloir ? Mais ma femme est déjà lassée du poisson, et elle veut maintenant de la soupe et un morceau de lard.

– Eh bien, elle aura ce qu’elle veut ta femme, répondit la crevette. Quand tu t’assiéras à table ce soir, frappe trois coups avec le petit doigt, et dis à chaque coup : “Soupe, apparais : apparais, lard !” Et tu les verras apparaître. Mais prends garde, bûcheron, si ta femme commence à demander, elle n’en finira jamais.

– J’essaierai, madame la magicienne, j’essaierai, dit Loppi en soupirant.

Comme un écureuil, comme une colombe, comme un agneau, Masicas était à table le lendemain, et elle a mangé de la soupe deux fois, et du bacon trois fois, puis elle a serré Loppi dans ses bras et l’a appelé : “Loppi de mon cœur”.

Source : Gallica

Mais juste une semaine plus tard, quand elle a vu sur la table le lard et la soupe, elle est devenue rouge de colère et a dit à Loppi les poings levés :

– Jusqu’à quand vas-tu me tourmenter, mauvais mari, mauvais compagnon, mauvais homme ?  Est-ce qu’une femme comme moi doit vivre avec du potage et de la graisse ?

– Mais que veux-tu, mon amour, que veux-tu ?

– Eh bien, je veux un bon repas, mauvais mari : une oie rôtie, et des gâteaux pour les desserts.

De toute la nuit Loppi ne ferma pas les yeux, pensant à l’aube et aux poings levés de Masicas, qui chacun ressemblait à une oie. Et au pas d’un moribond, il s’approcha de la flaque d’eau à la clarté du jour. Et les cris qu’il donnait semblaient des filets [de voix], si tristes, si minces :

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire.

– Que veut le bûcheron ?

– Pour moi, rien :  qu’est-ce que je devrais vouloir ? Mais ma femme s’est lassée du lard et de la soupe. Moi non, je ne m’en lasse pas, madame la magicienne. Mais ma femme s’est lassée et elle veut quelque chose de léger, comme une oie rôtie, ainsi que des gâteaux.

– Eh bien, rentre chez toi, bûcheron, et tu n’es pas obligé de venir quand ta femme veut changer de nourriture, mais demande-lui à table, et j’ordonnerai à la table qu’elle la serve.

Source : Gallica

D’un bond, Loppi arriva chez lui, il riait en chemin, et lançait son chapeau en l’air. La table était déjà pleine de plats, quand il arriva, avec des cuillères en fer, des fourchettes à trois dents, et une cruche en étain : l’oie avec des pommes de terre, et un pudding aux prunes. Il y avait même un flacon d’anisette sur la table, avec son fourreau de paille.

Mais Masicas était pensive. Qui avait donné tout cela à Loppi ? Elle voulait savoir : “Dis-le moi, Loppi !” Et Loppi le lui dit, quand il ne resta plus de l’anisette que le fourreau de paille, et que Masicas était plus douce que l’anis. Mais elle promit de n’en parler à personne : il n’y avait pas de voisin à douze lieues à la ronde.

Source : Gallica

Quelques jours plus tard, un après-midi où Masicas était très mielleuse, elle raconta à Loppi de nombreuses histoires et elle acheva son discours ainsi :

– Mais, mon Loppi, déjà tu ne penses plus à ta petite femme : manger, c’est vrai, elle mange mieux que la reine ; mais ta petite femme se promène en haillons, Loppi, comme la femme d’un mendiant. Allez, Loppi, allez, la magicienne ne verra pas de mal que tu veuilles que ta petite femme soit bien habillée.

Source : Gallica

Il sembla à Loppi que Masicas avait tout à fait raison, et qu’il n’était pas juste de s’asseoir à cette table luxueuse avec une si pauvre robe. Mais sa voix lui résista quand au petit matin il appela la crevette enchantée :

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire.

La crevette sortit le corps entier hors de l’eau.

– Que veut le bûcheron ?

– Pour moi, rien ; qu’est-ce que je pourrais vouloir ? Mais ma femme est triste, madame la magicienne, parce qu’elle se voit si mal habillée, et elle veut que sa seigneurie me donne le pouvoir de lui faire porter une robe de dame.

La crevette se mit à rire, elle rit un moment, puis dit à Loppi : « Rentre chez toi, bûcheron, ta femme aura ce qu’elle désire. »

– Oh, Seigneur Crevette ! Oh, madame la magicienne ! Laisse-moi embrasser ta jambe gauche, celle qui est du côté du cœur ! Laisse-moi l’embrasser !

Et il s’en alla en fredonnant une chanson qu’il avait entendue d’un oiseau doré qui faisait tourner une rose : et quand il entra dans sa maison, il vit une belle dame, et la salua jusqu’aux pieds ; et la dame se mit à rire, car c’était Masicas, sa charmante Masicas, qui était comme un soleil de beauté. Et ils se tinrent par la main, et ils dansèrent en rond, et ils se mirent à faire des bonds.

Source : Gallica

Quelques jours plus tard, Masicas était pâle, comme quelqu’un qui n’a pas dormi, et avec les yeux rougis, comme si elle avait beaucoup pleuré. “Et dis-moi, Loppi”, lui dit-elle un après-midi, avec un mouchoir de dentelle à la main : “À quoi me sert d’avoir une si belle robe sans un miroir pour me regarder, ni un voisin qui puisse me voir, et pas d’autre maison que cette bicoque ? Loppi, dis à la magicienne que cela ne peut pas être. » Et Masicas pleurait, et elle séchait ses yeux rougis avec son mouchoir en dentelle : « Dis-lui, Loppi, à la magicienne pour qu’elle me donne un beau château, et je ne lui demanderai rien de plus.”

– Masicas, tu es folle ! Tu tires sur la corde et elle va céder. Contente-toi, femme, de ce que tu as, sinon la magicienne te punira d’être ambitieuse.

– Loppi, tu ne seras jamais plus qu’un fouineur ! Celui qui parle avec peur se retrouve sans ce qu’il désire ! Parle à la magicienne comme un homme. Parle-lui, je serai là pour [voir] ce qui arrive.

Source : Gallica

Et le pauvre Loppi retourna à la flaque, comme avec des jambes artificielles. Il tremblait de partout. Et si la crevette se lassait de tant lui demander, et lui enlevait ce qu’il lui avait donné ? Et si Masicas le laissait sans un cheveu s’il revenait sans le château ? Il appela très doucement :

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire.

– Que veut le bûcheron ? dit la crevette en sortant peu à peu de l’eau.

– Rien pour moi : qu’est-ce que je pourrais vouloir de plus ? Mais ma femme n’est pas contente et elle me torture, madame la magicienne, avec autant d’envies.

– Et que veut la dame, qui ne va jamais cesser de vouloir ?

– Eh bien, une maison, madame la magicienne, un petit château, un château. Elle veut être la princesse du château, et elle ne demandera plus jamais rien.

– Bûcheron, dit la crevette, d’une voix que Loppi ne connaissait pas : « Ta femme aura ce qu’elle désire. » Et soudain elle disparut dans l’eau.

Il en coûta beaucoup  d’efforts à Loppi de mal pour parvenir chez lui, car tout le pays avait changé, à la place de broussailles, il y avait du bétail et de belles semailles, et au milieu de tout ça une maison très riche avec un jardin plein de fleurs. Une princesse descendit pour l’accueillir à la porte du jardin, vêtue d’une robe d’argent. Et la princesse lui donna la main. C’était Masicas : “Maintenant, Loppi, je suis heureuse. Tu es très bon, Loppi. La magicienne est très bonne.” Et Loppi se mit à pleurer de joie.

Masicas vivait avec tout le luxe de sa seigneurie. Les barons et baronnes se disputaient l’honneur de lui rendre visite : le gouverneur ne donnait aucun ordre sans savoir s’il lui convenait bien : il n’y avait dans tout le pays personne qui eût un château plus opulent, ni des voitures avec plus d’or, ni des chevaux plus beaux. Ses vaches étaient anglaises, ses chiens étaient des saint-bernards, ses poules de Guinée, ses faisans de Terán, ses chèvres étaient suisses. Que manquait-il à Masicas, toujours si remplie de regrets ? se disait Loppi en posant sa tête sur son épaule. Masicas voulait quelque chose de plus. Masicas voulait être reine : “Ne vois-tu pas que je suis née pour être reine ? Ne vois-tu pas, mon Loppi, que toi-même me donnes toujours raison, même si tu es plus têtu qu’une mule ? Je ne peux plus attendre, Loppi. Dis à la magicienne que je veux être reine. »

Source : Gallica

Loppi ne voulait pas être roi. Il avait bien déjeuné, il avait encore mieux mangé ; À quoi bon travailler à commander les hommes ? Mais quand Masicas dit vouloir, il n’y a pas d’autre choix que d’aller à la flaque d’eau. Et il est allé à la flaque d’eau au lever du soleil, essuyant sa sueur, et avec le sang à moitié gelé. Il est arrivé. Il a appelé.

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire.

Il vit sortir de l’eau les deux bouches noires. Il les entendit dire « que veut le bûcheron ?  » Mais il n’eut pas la force de livrer son message. Enfin il dit en balbutiant :

– Pour moi, rien : que pourrais-je demander ? Mais ma femme est lassée d’être une princesse.

– Et que veut maintenant être la femme du bûcheron ?

– Aie, madame la magicienne ! elle veut être reine.

– Reine, rien de plus? Tu m’as sauvé la vie, et ta femme aura ce qu’elle désire. Salut, époux de la reine !

Source : Gallica

Et quand Loppi retourna chez lui, le château était un palais et Masica portait la couronne. Les laquais, les pages, les chambellans, en bas de soie et en petites casaques, marchaient derrière la reine Masicas, en portant sa traîne.

Et Loppi déjeuna avec satisfaction, et il but  dans une coupe  gobelet sculptée son anisette la plus fine, certain que Masicas possédait maintenant tout ce qu’elle pouvait posséder. Et pendant deux mois, il mangea des poitrines de faisan avec des vins parfumés, et il se promena dans le jardin avec sa cape d’hermine et son chapeau à plumes, jusqu’au jour où un chambellan en casaque cramoisie à boutons de topaze vint lui dire que la reine voulait le voir, assise sur son trône en or.

– J’en ai assez d’être reine, Loppi. Je suis fatiguée de tous ces hommes qui me mentent et qui m’adulent. Je veux gouverner des hommes libres. Va voir la magicienne une dernière fois. Va : dis- lui ce que je veux.

– Mais qu’est-ce que tu veux alors, malheureuse ? Veux-tu régner dans le ciel où sont les soleils et les étoiles, et être la maîtresse du monde ?

– Je te dis de partir, et de dire à la magicienne que je veux régner au ciel, et être la maîtresse du monde.

– Je n’irais pas, te dis-je, demander à la magicienne une semblable folie.

– Je suis ta reine, Loppi, et tu vas aller voir la magicienne, ou j’ordonne qu’on te coupe la tête.

– J’y vais, ma reine, j’y vais. – Il jeta sur son bras le manteau d’hermine, et sortit en courant par les jardins, avec son chapeau à plumes. Il s’en alla comme si on lui courait après, levant les bras, s’agenouillant par terre, frappant la casaque brodée de couleur : “Peut-être, pensa Loppi, peut-être que la crevette aura pitié de moi !” Et il l’appela depuis le rivage, avec une voix semblable à un gémissement :

Petite crevette dure,
Tire-moi d’affaire !

Source : Gallica

Personne ne répondit. Pas même une feuille ne bougeait. Il recommença à appeler, avec la voix comme un souffle.

– Que veut le bûcheron ? répondit une autre voix terrible.

– Pour moi, rien : qu’est-ce que je devrais vouloir pour moi ? Mais la reine, ma femme, veut que je dise à la magicienne son dernier souhait : le dernier, madame la magicienne.

– Que veut maintenant la femme du bûcheron ?

Loppi, épouvanté, tomba à genoux.

– Pardon madame, pardon ! Elle veut régner au ciel et être maîtresse du monde !

La crevette fit un tour, ce qui fit mousser l’eau, et vint sur Loppi, avec les bouches ouvertes :

– Dans ton coin, imbécile, dans ton coin ! Les maris lâches rendent les femmes folles ! A bas le palais, à bas le château, à bas la couronne ! À ta bicoque avec ta femme, mari lâche ! À ta bicoque avec la musette vide !

Et elle s’enfonça dans l’eau qui siffla comme lorsqu’on trempe un fer chaud.

Source : Gallica

Loppi s’étendit sur l’herbe, comme frappé par la foudre. Lorsqu’il se leva, il n’avait plus le chapeau à plumes sur la tête, ni le manteau d’hermine sur le bras, ni la casaque brodée de couleur. Le chemin était sombre et broussailleux, comme avant. Les cognassiers poussiéreux et les pins malades étaient l’unique bosquet. Le sol était, comme auparavant, des nids-de-poule et des marécages. Il portait sur son dos sa musette vide. Il marchait, sans savoir où il allait, en regardant la terre.

Et soudain, il sentit deux mains féroces lui serrer le cou.

– Tu es là, monstre ? Tu es là, mauvais mari ? Tu m’as ruiné, mauvais compagnon ! Meurs de mes mains, mauvais homme !

– Masicas, tu vas te faire mal ! Écoute ton Loppi, Masicas !

Mais les veines de la gorge de la femme se gonflèrent, et éclatèrent, et elle tomba morte, morte de fureur. Loppi s’assit à ses pieds, arrangea les chiffons sur son corps et posa sur son oreiller la musette vide. Au matin, quand le soleil se leva, Loppi gisait à côté de Masicas, mort.

Source : Gallica

Traduit de l’espagnol par Patrick Moulin @dsirmtcom.

Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, août 2021.

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