Lettre ouverte au maire de Lorette et aux chèvres d’icelui

Écrits, nouvelles et contes philosophiques (ou pas)


https://www.ladepeche.fr/2021/12/19/loire-des-chevres-sauvages-accusees-de-ravager-un-cimetiere-le-maire-les-fait-abattre-10001672.php
Copie d’écran de l’article du journal “La Dépêche” du 19 décembre 2021 – Source : La Dépèche @ladepechedumidi

Monsieur le Maire de Lorette,

En préambule de ce modeste et indigent courrier, je tiens à vous assurer de tout le respect que je porte aux élus, notamment communaux, dont la tâche s’avère de plus en plus difficile dans nos sociétés de l’égocentrique instantané et du passage à l’acte destructeur. Par ailleurs, je souhaite préciser que je ne suis ni un écologiste forcené, comme il semble bon de l’être en ces temps électoraux d’échéance majeure, ni un antispéciste illuminé défendant à tout prix l’égalité entre le lombric et l’animal raisonnable qu’est en théorie l’homme. J’avoue cependant une non négligeable inimitié envers la gent des chasseurs, mais là n’est pas le sujet principal de mon écrit.

Toutefois, à la lecture des événements qui se sont déroulés sur votre circonscription, je tenais à vous faire part de mon émotion, de mon indignation, de ma colère, de ma résignation… J’interromps là l’énumération de mon dépit, mais voyez que ce bouquet d’ires diversement éprouvées se mesure, au moins, à la hauteur de ceux, éphémères et floraux, que vous avez cru bon de défendre face à un supposé ennemi caprin.

Demain, dès l’aube, elles partiront

Voici les faits dans leur froideur – non parce qu’hivernale en cette époque de l’année, mais glaçante par leur carence d’humanité -, tels qu’ils sont relatés dans le journal de votre région. Quelques chèvres, a priori sauvages, ont été tuées un dimanche à Lorette, commune de la Loire. Elles ont été occises lors d’une battue organisée par ladite commune, parce qu’elles étaient “accusées de saccager le cimetière”. Le week-end précédent, c’est un bouc et une chèvre qui ont subi le même sort, au motif que les usagers se plaignaient “d’avoir à remplacer régulièrement les fleurs et plantes qui ornent les tombes”. Voici leur épitaphe énoncée par l’édile local :

« Les neuf bêtes tuées, dont j’ai constaté qu’une seule était baguée, se trouvaient toutes en train de manger le fleurissement de sépultures, lorsque les chasseurs sont intervenus au lever du jour », a raconté à l’AFP le maire de Lorette.

Notons le paradoxe entre l’article qui indique que le troupeau vit sur une colline à proximité, et n’a pas de propriétaire connu, et le constat par le maire du baguage d’un des animaux. Or, qui dit baguage, dit identification de l’animal et du propriétaire [1].

Quoi qu’il en soit, les faits se résument ainsi : dimanche, dès l’aube, elles sont parties. Vois-tu, elles ne savaient pas qu’elles étaient attendues…

De quoi accuse-t-on mes clientes ?

Le Code pénal définit la violation de sépulture dans son article 225-17 :

La violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. (Source : Legifrance).

Des verbes “saccager” et “ravager” le cimetière, l’article passe aux “dégradations commises”, puis au “manger le fleurissement des sépultures”, pour terminer sur les plaintes des usagers de devoir “remplacer régulièrement les fleurs et plantes qui ornent les tombes”.

Y a-t-il ici matière à qualifier les faits de violation ou de profanation de sépultures et autres éléments “édifiés à la mémoire des morts” ? Si nous en restons au “quelque moyen que ce soit”, cela pourrait s’entendre : un troupeau de chèvres est un moyen pour dégrader un lieu de mémoire. Cela dit, les chèvres étant qualifiées de sauvages, nonobstant celle qui était baguée, elles n’étaient le moyen de personne. 

Ensuite, si l’on s’en réfère à l’article, aucun édifice ne semble avoir subi de dommage lors des “exactions” du troupeau. Des fleurs ont été mangées et ont dû être remplacées, puis mangées à nouveau, et ainsi de suite.

Enfin, la raison principale pour laquelle il semble impossible de qualifier une telle situation de profanation de sépulture se démontre dans ce syllogisme : 

Seuls les rapports entre les humains sont concernés par la Justice,
Or les chèvres n’appartiennent pas à l’espèce humaine,
Donc les chèvres ne sont pas concernées (en tant qu’espèce) par la justice. 

Alors, s’il ne peut y avoir violation de sépulture, comment justifier de recourir en première intention à l’abattage d’animaux, pour des dégradations commises sur des végétaux installés avec la conscience d’un risque possible puisque récurrent ?

D’autres solutions étaient envisageables, et sont d’ailleurs énumérées dans l’article : recours à un berger et à son chien pour capturer les chèvres, utilisation d’un fusil hypodermique, mise en place d’une clôture sur “le terrain escarpé où se réfugient les caprins une fois rassasiés”. Cette dernière solution est par ailleurs une injonction faite au propriétaire du terrain en question, la société SFR.

Les fleurs c’est périssable

Les fleurs et plantes qui ornent les tombes sont donc installées par les humains, mangées par les chèvres, remplacées par les humains, mangées à nouveau par les chèvres, dans un cycle qui semble logiquement inépuisable, voire perpétuel. Il faut donc introduire un élément nouveau si l’on veut interrompre ou modifier ce cycle. Quels sont les éléments en présence ? Trois types d’acteurs sont identifiés : les humains vivants, les chèvres, les humains morts. Pour simplifier la lecture, nous nommerons “hommes” les humains vivants, et “défunts” les humains morts. Un médiateur intervient entre chacun des acteurs : les fleurs (et les plantes, que nous sous-entendrons désormais sous le seul terme de fleurs). Enfin, il est question d’un lieu : le cimetière.

Les humains vivants actuels et futurs morts conçoivent culturellement les fleurs comme un lien entre eux et les morts actuels, et comme lien entre les futurs morts qu’ils seront et les vivants à venir. Les chèvres voient instinctivement dans les fleurs et autres végétaux le moyen de se nourrir afin de conserver leur être et leur espèce. Les fleurs, a priori, ne font que se nourrir et croître.

Ouvrons la boîte de Pandore de la philosophie. Spinoza nous apprend qu’il existe une force dans toute chose, qui la fait persévérer dans son être. Ainsi, le Conatus, puisque c’est le nom que lui donne l’auteur de l’Éthique, conduit à ce que nous nous réalisions dans ce que nous sommes en vérité. Comment se manifeste le Conatus dans la situation que nous évoquons ? La plante se réalise dans la fleur. La chèvre se réalise en se nourrissant de la fleur. L’homme, en tant qu’individu, se réalise, en tant qu’être humain en communion avec les autres individus de son espèce, vivants et morts, dans l’acte de mémoire à l’égard d’un défunt. Tout cela est juste, ou du moins en accord avec l’essence de chacun : végétal, animal, humain. Donc, chacun s’exprime selon son propre Conatus, selon sa propre vérité.

Sortons à présent Aristote, le roi du move, de la boîte sus-nommée. Pour le Stagirite, tout dans l’Univers est mouvement, le principal étant le passage de la puissance à l’acte, que nous allons aborder ensuite. Le mouvement, c’est le changement, et le changement, c’est maintenant. Selon Aristote, il y a trois sortes de mouvements : l’altération, l’accroissement ou le décroissement, et le mouvement local ou déplacement. Tentons d’appliquer les distinctions aristotéliciennes au cas qui nous intéresse. L’altération, ou changement de qualité, est produite par les chèvres sur les fleurs, et par les hommes sur les chèvres : la chèvre mange la fleur, l’homme la tue. En mangeant les fleurs, les chèvres altèrent le cimetière, du point de vue des hommes. En tuant les chèvres, les hommes les altèrent définitivement. L’altération des défunts n’entre pas en ligne de compte dans la situation examinée. De même, l’accroissement des chèvres fait décroître les fleurs, et l’accroissement des hommes fait décroître les chèvres. La dernière sorte de mouvement semble prometteuse, mais revient à un dilemme : déplacer les fleurs, les chèvres, les hommes, les défunts, ou le cimetière ? Notons que le choix du déplacement des chèvres, avec par exemple la proposition du recours à un berger, n’a pas été retenu en première intention, sauf à considérer le passage de vie à trépas des caprins comme équivalent à un mouvement local aristotélicien. Le même Aristote nous vend un quatrième mouvement pour le prix de trois : ce qui est en acte a d’abord été en puissance, ou, en clair, ce qui est réalisé, qui existe, a d’abord été une simple possibilité. La plante contient en puissance des fleurs, qui sont en acte lorsqu’elles éclosent. La chèvre contient en puissance sa propre mort, lorsqu’elle accomplit l’acte de manger la fleur. Nous sentons ici implicitement un paradoxe gênant ou une gêne paradoxale : manger la fleur devrait plutôt faire se réaliser la chèvre, ou du moins continuer de se réaliser, c’est-à-dire, spinozistement parlant, persévérer dans son être.

Utilitarisme caprin

Aristote et Spinoza ont levé un lièvre paradoxal, mais ce pseudo lapin caprin apparaît bien à leur insu. Le paradoxe est dans ce déséquilibre du mouvement naturel lié au Conatus. Ou plus précisément, ce paradoxe réside dans un traitement inéquitable de plusieurs espèces vivantes. Il ne peut en effet s’agir d’une égalité arithmétique, qui se résumerait à cette équation insoluble : une fleur = une chèvre = un homme. Il est bien question d’équité [2], au sens moral de sentiment de juste ou d’injuste selon une justice idéale, et au sens du Droit, c’est-à-dire d’une justice qui accorde plus d’importance à l’esprit de la loi qu’à sa lettre. Sollicitons à nouveau le Stagirite :

Telle est la nature de l’équitable : c’est d’être un correctif de la loi, là où la loi a manqué de statuer à cause de sa généralité. En fait, la raison pour laquelle tout n’est pas défini par la loi, c’est qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il est impossible de poser une loi, de telle sorte qu’un décret est indispensable. Aristote, Éthique à Nicomaque, 1137b.

Nous sommes bien là devant un “cas d’espèce”, et même devrions-nous ajouter un pluriel, pour parler des “espèces”. Nous l’avons démontré plus haut par syllogisme : les chèvres ne sont pas concernées, en tant qu’espèce, par la justice. Et pourtant, il nous reste un sentiment moral d’injustice. Que pouvons-nous en faire ?

Tournons-nous – mais pas trop vite pour éviter le vertige de la révolution de l’évolution des espèces – vers l’éthique utilitariste contemporaine. Rappelons tout d’abord que l’utilitarisme est cette doctrine qui repose sur le seul principe, comme son nom le fait entrevoir, de l’utilité. Jérémy Bentham, philosophe anglais (1748-1832), à cheval (si l’on peut dire, pour rester dans le thème animalier du jour) sur les XVIIIe et XIXe siècle, donc entre les Lumières et les débuts de l’industrialisation, imagine de faire la somme arithmétique des plaisirs et des peines, pour tenter de toujours faire pencher la balance vers “le plus grand bonheur du plus grand nombre”, et donc vers ce qui est utile.

Le plus grand bonheur du plus grand nombre est la mesure du juste et de l’injuste. Bentham, Fragment sur le gouvernement.

Nous retrouvons ici la notion de justice, accolée à celle du bonheur. Bentham fonde l’utilitarisme, dont il énonce ainsi le principe.

Par principe d’utilité, on entend le principe qui approuve ou désapprouve toute action, quelle qu’elle soit, selon la tendance qu’elle semble avoir à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu ou, en d’autres termes, à promouvoir de bonheur ou à s’y opposer. Bentham, Introduction aux principes de morale et de législation.

Pour faire preuve d’une honnêteté intellectuelle sans faille, il faut préciser que Bentham n’envisage ici que des actions humaines, qu’elles soient accomplies par un individu privé ou par un gouvernement. Délaissons donc le cheval des siècles lumino-industriels pour effectuer un retour vers le futur contemporain. Avec Peter Singer, l’utilitarisme de Bentham évolue en prenant en compte d’autres espèces que la seule espèce humaine. Nous voici parvenus au pluriel du cas d’espèces.

Dans l’utilitarisme classique, les chèvres n’avaient pas leur mot à dire, d’autant que nous avons appris depuis longtemps que le langage était une spécificité purement humaine. Seul l’homme parle, et c’est pour cela qu’il peut vraiment dire n’importe quoi.

Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or, seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes, la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux […]. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantage et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il y a en effet une chose propre aux hommes par rapport aux animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Aristote, Les Politiques, 1253 a.

Descartes estime également que “la parole […] ne convient qu’à l’homme seul”, et que “les bêtes ne parlent point comme nous” et “qu’elles n’ont aucune pensée” [3]. Peter Singer change le regard porté sur les animaux, en considérant leurs intérêts de la même façon que nous considérons les intérêts humains. Cette conception se nomme l’anti-spécisme, le spécisme consistant à établir une différence entre l’espèce humaine et les autres espèces animales, la première étant estimée supérieure, notamment en dignité, à la seconde.

Quelles en sont les conséquences? Il faut regarder dans chaque espèce quels sont les intérêts que tout animal de cette espèce voudrait voir préserver s’il pouvait parler. Là, nous nous apercevons que tous les animaux vertébrés sont capables d’éprouver de la souffrance et du plaisir, du bien-être et du mal-être, du confort et de l’inconfort, et surtout, qu’ils désirent vivre. Et il est exigible éthiquement de respecter ces intérêts. Il faut en effet faire venir à l’existence la plus grande quantité possible de satisfaction de ses intérêts. F. Dermange, G. Waterlot, Un champ d’application pour l’éthique utilitariste contemporaine : Peter Singer et la question de l’intérêt animal [4].

Tentons d’appliquer tous ces éléments utilitaristes à la situation qui nous occupe et nous préoccupe. Selon Bentham, le plus grand bonheur du plus grand nombre des hommes serait sans doute satisfait si les chèvres cessaient de manger les fleurs déposées par les humains sur les sépultures. L’action humaine de tuer les chèvres, ou celle de les capturer, ou encore celle d’installer une clôture aboutissent toutes au même résultat : les fleurs ne sont effectivement plus mangées par les chèvres. Ces actions augmentent le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu, en l’occurrence les hommes concernés par le cimetière, dont elles répondent toutes au principe d’utilité. Selon Singer, il faut considérer la satisfaction des intérêts de chaque partie : à celle des hommes s’ajoute donc celle des chèvres. C’est l’éthique animale. Car, rappelons-le, l’homme est un animal certes raisonnable (encore et toujours Aristote), mais un animal tout de même. Examinons les intérêts de chacune des parties. Les hommes ont un intérêt culturel, cultuel et moral à fleurir les tombes des défunts. Les chèvres ont un intérêt vital à se nourrir, notamment de fleurs, ainsi qu’un intérêt instinctif à se conserver. Il est donc fort douteux que les chèvres soient satisfaites de passer la corne à gauche, en étant trucidées par des hommes, amateurs comme elles de fleurs, mais à des fins funéraires et non alimentaires. L’objet est commun aux deux espèces, mais leurs intérêts diffèrent, parce que les fins attribuées à l’objet sont opposées. Est-il possible de concilier ces intérêts et fins contraires, au moins en apparence, et si oui, comment y parvenir ?

Il ne leur manque que la parole ; il ne nous manque que de nous taire

Si les chèvres de Lorette avaient eu la parole, que nous auraient-elles dit ? Ou plutôt, si nous avions eu la capacité de les comprendre, qu’aurions-nous entendu ? Après la boîte de Pandore philosophique, essayons-nous à présent à l’expérience de pensée. Nous sommes devenus experts en langue caprine, et voici que Chevrotine [5], la représentante syndicale des chèvres de Lorette, nous tient à peu près ce langage.

– Homme, comme toi, j’aime les fleurs, nous y prenons goût tous deux, toi pour tes morts, et moi pour mes vivants. Toi, tu me prends pour l’agneau de la fable, me considérant si hardi de troubler le lieu de ton dernier voyage. Et, tel le loup du même récit, tu emportes ma vie sans autre forme de procès : il faut que tu te venges. Soit, mais de quoi veux-tu te venger ? De l’absence des tiens toujours trop tôt partis ? De ta mort toujours trop précoce ?De l’affront que tu m’attribues en aimant à ma façon tes fleurs ? Ces fleurs que je dévore, ont-elles achevé de dévorer ton propre cœur ?

– Ce ne sont que quelques chèvres, répond l’homme, à la façon maladroite d’un Don Camillo défroqué.

– Ces quelques chèvres étaient mes sœurs, mes frères, mes parents, mes enfants, et ne valent désormais pas plus que tes propres défunts. N’était-ce pas toi, enfant, qui versait de chaudes larmes en écoutant raconter l’histoire d’une certaine Blanquette, propriété d’un Monsieur Seguin lui refusant de goûter à la liberté. Es-tu devenu le prédateur qui ôte la vie de la pauvre Blanquette au lever du jour ? Ne comprends-tu pas que tu ajoutes ainsi à la mort des tiens une autre mort ? Non pas ma propre mort ni celle des miens, mais la mort de ta conscience et de ton être au monde. J’aime, comme toi, les fleurs, mais  à ma manière. Ainsi, moi, j’ajoute de la vie à ton lieu de mémoire, comme toi tu y ajoutes de la pensée en pots. J’apporte ma compagnie aux tiens, pour les temps où tu es absent de leur dernière demeure. Certes, je coupe tes fleurs, mais toi tu coupes le fil de ma vie. Alors n’y aurait-il pas quelque façon de trouver un terrain d’entente, pour que ta mémoire ne se paie pas en oubli de toi-même ? Pour pouvoir fredonner, comme dans la chanson homophone, que c’était bien chez Lorette, et qu’on y retournera pour ne pas s’oublier.

Du solstice d’hiver au printemps revenu

Voilà, Monsieur le Maire, ce que je vous aurais écrit, si j’avais eu à le faire en réalité. Des pensées en friches, qui mériteraient bien d’être désherbées par quelques petites chèvres de l’esprit. Mais je ne suis point juge, là où vous êtes le premier magistrat de votre commune. Alors, vous avez pris la bonne décision, au moment où vous l’avez prise. Le passé n’existe que pour nous offrir quelque leçon sur ce qui est possiblement à venir. L’acte ici précède et engendre la puissance des possibles.

Si d’aventure, les chèvres revenaient, pourquoi ne pas imaginer un autre épilogue ou même plusieurs ? Abattre les animaux, les capturer, cerner d’enclos, pourquoi pas ? Et si les chèvres étaient une porte vers une autre vision du monde ? Organiser leur territoire pour qu’elles participent de la vie du cimetière, où dans cet oxymore des enfants les nourriraient avec d’autres fleurs que celles destinées aux sépultures ? Leur donner une place physique tout en préservant celles de votre mémoire et de votre conscience ? Cela ou autre chose, peu importe, mais simplement ne pas ajouter de la mort à la mort.

En guise de formule de politesse à cette non-lettre, j’aimerais citer un poète chilien, prix Nobel de littérature – excusez du peu. Ses fleurs à lui sont bien différentes, mais la phrase recèle, au moins, un double sens, selon que nous attribuons le sujet aux animaux caprins ou à ceux raisonnables que sont censés être les hommes sensés. 

Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas le printemps. Pablo Neruda [6].

Une prochaine fois, tentons tous ensemble de ne pas empêcher ce printemps d’advenir, non celui naturel dont l’avènement ne nous appartient aucunement, mais celui qui peut jaillir en nous-mêmes, êtres vivants, espèce parmi les autres espèces vivantes, et espèce plus redevable que toutes envers les autres, en raison de notre supposée raison.

Notes

[1] Exemple d’identification d’animaux : Identification ovine et caprine, source : Chambres d’agriculture de Bretagne.

[2] Équité : “1. Morale. Sentiment de ce qui est juste ou injuste selon une justice idéale. 2. Droit. Justice qui à égard à l’esprit de la loi plutôt qu’à sa lettre et qui peut même parfois prononcer contre celle-ci ou” corriger la loi, dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante, en raison de son caractère général” (Aristote).” L.-M. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.

[3] Descartes, Lettre au marquis de Newcastle.

[4] Université de Genève, MOOC, Le Bien, le Juste, l’Utile. Introduction aux éthiques philosophiques.

[5] Merci à @Mistymoi5 et à @katellbzh29 de m’avoir inspiré ce surnom.

[6] Citation originale en espagnol : “Podrán cortar todas las flores, pero no podrán detener la primavera.”


Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, 22 décembre 2021.

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