Poésie – Antonio Machado, Proverbios y cantares (Caminante) [Proverbes et chansons (Voyageur)]

Poésie et Philosophie

Poésie n° 30

Antonio Machado, Champs de Castille

Proverbios y cantares (extractos)

Nunca perseguí la gloria
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y gentiles
como pompas de jabón.
Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul, temblar
súbitamente y quebrarse.

Nuestras horas son minutos
cuando esperamos saber,
y siglos cuando sabemos
lo que se puede aprender.

En preguntar lo que sabes
el tiempo no has de perder..
Y a preguntas sin respuesta
¿quién te podrá responder?

¡Ojos que a luz se abrieron
un día para, después,
ciegos tornar a la tierra,
hartos de mirar sin ver!

Es el mejor de los buenos
quien sabe que en esta vida
todo es cuestión de medida:
un poco más, algo menos…

Cantad conmigo en coro: Saber, nada sabemos,
de arcano mar vinimos, a ignota mar iremos…
Y entre los dos misterios está el enigma grave;
tres arcas cierra una desconocida llave.
La luz nada ilumina y el sabio nada enseña.
¿Qué dice la palabra? ¿Qué el agua de la peña?

El hombre es por natura la bestia paradójica,
un animal absurdo que necesita lógica.
Creó de nada un mundo y, su obra terminada,
«Ya estoy en el secreto—se dijo—, todo es nada.»

Ayer soñé que veía
a Dios y que a Dios hablaba;
y soñé que Dios me oía…
Después soñé que soñaba.

¿Dónde está la utilidad
de nuestras utilidades?
Volvamos a la verdad:
vanidad de vanidades.

Caminante, son tus huellas
el camino, y nada más;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante, no hay camino,
sino estelas en la mar.

El que espera desespera,
dice la voz popular.
¡Qué verdad tan verdadera!
La verdad es lo que es,
y sigue siendo verdad
aunque se piense al revés.

Fe empirista. Ni somos ni seremos.
Todo nuestro vivir es emprestado.
Nada trajimos; nada llevaremos.

¿Dices que nada se crea?
Alfarero, a tus cacharros.
Haz tu copa y no te importe
si no puedes hacer barro.

¿Dices que nada se pierde?
Si esta copa de cristal
se me rompe, nunca en ella
beberé, nunca jamás.

Dices que nada se pierde,
y acaso dices verdad;
pero todo lo perdemos
y todo nos perderá.

Todo pasa y todo queda;
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre la mar.

Morir.. ¿Caer como gota
de mar en el mar inmenso?
¿O ser lo que nunca ha sido:
uno, sin sombra y sin sueño,
un solitano que avanza
sin camino y sin espejo?

Mirando mi calavera
un nuevo Hamlet dirá:
He aquí un lindo fósil de una
careta de carnaval.

Luz del alma, luz divina,
faro, antorcha, estrella, sol…
Un hombre a tientas camina;
lleva a la espalda un farol.

Ya hay un español que quiere
vivir y a vivir empieza,
entre una España que muere
y otra España que bosteza.
Españolito que vienes
al mundo, te guarde Dios.
Una de las dos Españas
ha de helarte el corazón.

Proverbes et chansons (extraits)

Jamais je n’ai cherché la gloire
ni voulu dans la mémoire
des hommes laisser ma chanson ;
mais j’aime les mondes subtils,
aériens et délicats
comme des bulles de savon.
J’aime les voir se colorer
de soleil et de pourpre, voler
sous le ciel bleu, trembler
subitement puis éclater.

Nos heures sont des minutes
lorsque nous espérons savoir,
et des siècles quand nous savons
ce qui se peut apprendre.

À demander ce que tu sais
il ne faut pas perdre ton temps…
Et à des questions sans réponses
qui pourrait te répondre ?

Yeux qui s’ouvrent à la lumière
un jour pour retourner ensuite
aveugles à la terre,
lassés de regarder sans voir !

Il est le meilleur parmi les meilleurs
celui qui sait qu’en cette vie
tout est question de mesure :
un peu plus, un tantinet moins…

Chantez en chœur avec moi : savoir, nous ne savons rien,
venus d’une mer pleine de mystères, à une mer inconnue nous irons…
Et entre les deux mystères est la grave énigme,
une clé inconnue ferme trois coffres.
La lumière n’éclaire rien et le savant n’enseigne rien.
Que disent les mots ? Que dit l’eau du rocher ?

L’homme est par nature la bête paradoxale,
un animal absurde qui a besoin de logique.
De rien il a créé un monde et puis son œuvre terminée :
“Enfin je connais – se dit-il – le secret ; tout est néant.”

Hier j’ai rêvé que je voyais
Dieu et qu’à Dieu je parlais ;
et j’ai rêvé que Dieu m’entendait…
Puis j’ai rêvé que je rêvais.

Où est l’utilité
de nos utilités ?
Revenons à la vérité :
vanités des vanités.

Voyageur, le chemin
ce sont les traces de tes pas, et rien de plus ;
voyageur, il n’y a pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.
En marchant se fait le chemin
et quand on tourne les yeux en arrière
on voit le sentier que jamais
on ne doit à nouveau fouler.
Voyageur, il n’est pas de chemin,
rien que sillages sur la mer.

Qui espère désespère
dit la voix populaire.
Qu’elle est vraie cette vérité !
La vérité est ce qui est vrai
et reste vrai même
si on la pense à l’envers.

Foi empiriste. Nous ne sommes ni ne serons.
Toute notre vie est empruntée.
Nous n’apportâmes rien ; nous n’emporterons rien.

Tu dis que rien ne se crée.
Potier, à tes ustensiles.
Fais ta coupe et qu’il ne t’importe
si tu ne peux faire la glaise.

Tu dis que rien ne se perd ?
Si cette coupe de cristal
se brise, je n’y boirai jamais,
jamais plus.

Tu dis que rien ne se perd
et peut-être dis-tu vrai,
mais nous perdons tout
et tout nous perdra.

Tout passe et tout demeure,
mais notre affaire est de passer,
de passer en traçant des chemins,
des chemins sur la mer.

Mourir… Tomber comme une goutte
de la mer dans la mer immense ?
Ou être ce que jamais je n’ai été :
seul, sans ombre et sans songe,
un solitaire qui s’avance
sans chemin et sans miroir ?

Regardant mon crâne mort
un nouvel Hamlet dira :
Que voici un joli fossile
de masque de carnaval.

Lumière de l’âme, lumière divine,
phare, flambeau, étoile, soleil…
Un homme chemine à tâtons ;
derrière lui il porte une lanterne.

Il y a désormais un Espagnol qui veut
vivre et commence à vivre,
entre une Espagne qui se meurt
et une autre Espagne qui bâille.
Petit Espagnol qui vient
au monde, que Dieu te garde.
L’une de ces deux Espagnes
te glacera le cœur.

Bibliographie

MACHADO A., Champs de Castille, Paris, Gallimard, 2023.

Proverbios y cantares, texte intégral en espagnol sur le site de la Biblioteca Virtual Universal.


Patrick Moulin, MardiPhilo.fr, février 2024.

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