Bac Philo – I.3. L’Inconscient – Fiche n° 2. Des Inconscients et des hommes

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Source : Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, NRF, 1971 (Couverture)

Les leçons de Philosophie – Bac Philo – Partie I. Le Sujet – Chapitre 3. L’Inconscient – Fiche n° 2. Des Inconscients et des hommes

Fiche n° 2 – Des Inconscients et des hommes

Introduction

Socrate (470-399 av. J.-C.)

Mais est-ce justement chose facile de se connaître soi-même ? Et était-ce un pauvre sire, celui qui a été consacrer cette maxime au sanctuaire d’Apollon Pythien ? N’est-ce pas plutôt une chose difficile, et qui n’est pas à la portée de tout le monde ? Platon, Alcibiade, 129 a.

Sur le fronton du temple de Delphes, dédié à Apollon, et où la Pythie son oracle réalisait ses prophéties, était gravée l’inscription “Connais-toi toi-même”, en grec gnôthi seauton. Socrate en fait sa devise dans sa recherche de la sagesse. Deux sens se dégagent de cette devise : l’ignorance de l’homme, et la recherche de la vérité. C’est la déclaration d’ignorance de Socrate : “Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien”. C’est ensuite la recherche de l’essence de l’être humain.

Il ne s’agit donc pas d’une maxime invitant à une introspection individuelle (traits de caractère) mais d’une élucidation philosophique de ce qui est universellement humain. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.

Quel lien pouvons-nous faire entre cette devise socratique et la notion de l’Inconscient ? Nous avons vu, dans la fiche n° 1. “L’Inconscient – De quoi parlons-nous ?”, que l’étymologie du terme “conscience” venait du latin conscire, avoir conscience, de scire, savoir. Le préfixe in- de “in-conscient” est un préfixe privatif et négatif : être “in-conscient”, c’est être privé de conscience, c’est ne pas être conscient. Autrement dit, c’est être privé de savoir ou encore ne pas savoir. Nous retrouvons ici la déclaration d’ignorance de Socrate, qui affirme qu’il ne sait rien.

L’inconscient serait donc ici ce que nous ne savons pas, ce que nous ne connaissons pas, ou du moins pas encore. Car Socrate recherche la sagesse et la vérité : ce savoir dont nous sommes actuellement privés serait possiblement atteignable. Nous pourrions avoir accès à ce savoir en cherchant à nous connaître nous-mêmes, à connaître l’essence véritable et universelle de l’être humain. L’inconscient “socratique” serait en l’occurrence accessible à notre connaissance.

Et il serait accessible grâce à la maïeutique, ancêtre lointain de la psychanalyse, qui est la méthode utilisée par Socrate pour “accoucher les esprits” (la mère de Socrate était maïeuticienne, c’est-à-dire sage-femme, et elle accouchait pour sa part les enfants). Cette méthode se fonde sur la théorie de la réminiscence : nous possédons tous en nous un savoir que nous ignorons. Selon cette théorie, c’est l’âme qui possède ce savoir, et à chaque réincarnation, son passage dans un corps lui fait oublier ce savoir. Socrate en fait la démonstration dans le Ménon : il aide un jeune esclave à résoudre un problème géométrique, dont il ne connaît pas a priori la solution, mais qu’il va trouver dans le fond de son âme, et ce au moyen de la maïeutique. Connaître, c’est se souvenir. La première séance de psychanalyse vient d’avoir lieu.

Épictète (50-130)

Lorsque Épictète, philosophe stoïcien, présente les principes fondamentaux qui mènent à la sagesse, il distingue ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Ce qui dépend de nous est “tout ce en quoi c’est nous qui agissons” (Manuel d’Épictète) : par exemple nos opinions, nos jugements, nos désirs. Ce qui ne dépend pas de nous est “tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons” : notre corps sujet à la maladie et à la mort, notre réputation, la richesse. Retenons ici qu’il y a une certaine notion de forces agissantes, s’accompagnant de liberté ou de contrainte. Les choses qui dépendent de nous sont libres, et peuvent nous rendent libres. Au contraire, celles qui ne dépendent pas de nous peuvent nous contraindre jusqu’à en être esclave. Retenons cette distinction entre ce que nous pouvons faire librement et ce qui va nous contraindre si nous cédons à la force de son attraction.

Épictète donne une première voie pour se libérer de cette contrainte :

Aussi, à propos de toute idée pénible, prend soin de dire aussitôt : “Tu es une idée, et non pas exactement ce que tu représentes.” Ensuite, examine-la, éprouve-la selon les règles que tu possèdes, et surtout selon la première, à savoir : concerne-t-elle les choses qui dépendent de nous ou celles qui ne dépendent pas de nous ? Et si elle concerne l’une des choses qui ne dépendent pas de nous, que la réponse soit prête : “Voilà qui n’est rien pour moi.” Ibid.
Voici donc ce qui pourrait être la première prescription du docteur Épictète dans l’analyse du psychisme : une idée nous est désagréable, nous devons alors l’examiner, l’analyser à l’aide de notre conscience pour savoir si nous agissons librement en suivant cette idée, ou si une force nous contraint à la suivre, au prix de sa pénibilité. Si c’est bien ce dernier cas, le remède est radical : cette idée n’est “rien pour moi”. S’agirait-il là un premier refoulement conscient ?

Après cette distinction entre ce qui dépend ou non de nous, voyons comment Épictète considère le désir :

Quant au désir, supprime-le complètement pour l’instant ; car si tu désires l’une des choses qui ne dépendent pas de nous, il est impossible que tu sois heureux ; quant à celles qui dépendent de nous, et qu’il serait beau de désirer, aucune n’est encore à ta portée. Ibid.

Il faut préciser que le manuel d’Épictète est destiné à celui qui veut apprendre à philosopher, et qui cherche à atteindre la sagesse : ainsi, nous ne devons rien désirer, pas même ce que nous pourrions désirer. S’agirait-il là un deuxième refoulement conscient ?

Descartes (1596-1650)

Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose que penser. Descartes, Principes de la philosophie, I, 9.

Pour Descartes, pensée et conscience d’exister (entendre, vouloir, imaginer, sentir) sont une seule et même chose : la chose qui pense, “vraie et vraiment existante” (Méditations). Nous nous apercevons immédiatement, autrement sans rupture temporelle, et par notre seule conscience, que nous pensons.

Il est d’usage, lorsque l’on évoque Descartes, de dire qu’il concevait la conscience comme transparente à elle-même. Pour découvrir le cogito [“Je suis, j’existe” (Méditations métaphysiques) ou “Je pense, donc je suis” (Discours de la méthode)], Descartes va rejeter ses perceptions sensibles (ce qu’il a appris par les sens, qui se sont révélés trompeurs) ainsi que ses préjugés (ce qu’il a appris par l’éducation ou l’expérience). Après avoir douté de tout – le doute “hyperbolique” -, il ne va retenir comme “nécessairement vraie” que la seule chose qui se présente “clairement et distinctement” à son esprit : le principe premier “Je suis, j’existe” est une certitude, une évidence, chaque fois qu’il prononce ou conçoit cette proposition.

Si nous relions la pensée/conscience et le cogito, nous obtenons le raccourci suivant : je suis conscient que j’existe. Est-ce à dire que ce qui n’est pas conscient n’existe pas ? Si rien ne vient à notre conscience, donc si nous n’apercevons rien – immédiatement ou pas ? – il n’existe rien d’autre que notre conscience. Et quand bien même ce “rien” existerait, il ne pourrait pas être vrai, puisqu’il ne pourrait pas être conçu “clairement et distinctement”.

Retenons pourtant ici que Descartes reconnaît une existence, d’une part, à ce qu’il perçoit par ses sens, même lorsque ceux-ci le trompent. Il voit de loin la tour ronde qui s’avère carrée de près : l’illusion est bien présente, comme dans un rêve. D’autre part, il a identifié “que la première et principale cause de nos erreurs sont les préjugés de notre enfance” et “que nous ne pouvons pas oublier ces préjugés” (Principes de la philosophie, 71, 72). Nous avons en nous des forces qui guident nos actes, nos opinions, et que la raison nous fait apparaître comme douteuses lorsqu’elle les examine. Il y a donc en nous quelque chose qui agit, qui n’est pas nous véritablement, que nous ne pouvons pas effacer et qui influe sur nous jusqu’à nous faire commettre des erreurs dans nos jugements ou dans nos actes. Il nous faut amener ces choses à la raison, les soumettre à notre examen pour prendre conscience qu’elles nous trompent. La conscience cartésienne n’est peut-être pas aussi transparente qu’elle ne le paraît. Difficile pourtant de pouvoir parler déjà clairement et distinctement de préconscient, de subconscient ou encore d’inconscient.  

Leibniz (1646-1716)

L’une des plus certaines origines de la notion d’inconscient se trouve bien en amont de Freud, chez le philosophe allemand Leibniz. (…) Pour mesurer l’importance de ce qui a ainsi émergé avec Leibniz, il faut partir de cette “erreur de Descartes” comme disent aujourd’hui les neurosciences contemporaines, qu’il dénonça bien avant elles : avoir identifié la pensée à la conscience. Renaut, Leçons de la Philosophie.

La notion d’inconscient est décrite par Leibniz dans sa Monadologie : là où Descartes ne retenait pour pensée que ce que nous percevons “immédiatement par nous-mêmes”, c’est-à-dire les pensées dont nous avons conscience tout de suite, Leibniz conçoit la perception comme inclut les états mentaux conscients et inconscients. Il distingue ainsi la Perception de l’aperception. L’aperception est une “prise de conscience réfléchie” (Morfaux) :

Il est bon de faire la distinction entre la perception, qui est l’état antérieur de la monade représentant les choses externes et l’aperception, qui est la conscience réflexive de cet état antérieur. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain.

Les monades leibniziennes sont des unités de la matière, simples ou composées, des “atomes de la nature” : les êtres humains sont des monades composées, douées de raison, et donc d’aperception et de conscience. Leibniz évoque les “petites perceptions”, qui existent même si nous n’en avons pas – ou pas encore – conscience. L’exemple classique de ces “petites perceptions” est le bruit de la mer :

(…) la “petite perception” du bruit que fait chaque vague en s’étirant sur le rivage contribue en moi à susciter cette “grande perception” (…) dont j’ai conscience quand je me promène sur la plage et que j’entends se produire, inlassablement, le flux et le reflux. Renaut, Op. cit.

Les “petites perceptions” sont des perceptions inconscientes, qui peuvent venir à la conscience : il existe donc des pensées inconscientes – pensées : au sens d’une activité de l’esprit via la perception -, qui peuvent devenir des pensées conscientes. L’“erreur de Descartes” est démontrée : la pensée ne se confond pas avec la conscience, mais elle englobe une part inconsciente. Les neurosciences montrent effectivement qu’une activité cérébrale peut exister, sans pour autant que le sujet en ait conscience (voir les notions de Conscience et de Perception).

Auguste Comte (1798-1857)

Lors de ses Méditations, Descartes s’explore lui-même, à la recherche de tout ce qu’il pourra recevoir “clairement et distinctement” dans son esprit. Cette “observation méthodique des faits de conscience”, c’est ce qui se nomme l’introspection (Morfaux). Le terme “introspection” vient du latin introspicere, qui signifie regarder à l’intérieur.

Auguste Comte fonde la sociologie : il forme ce terme à partir du latin socius, compagnon, allié et du grec logos, science (Morfaux). Il fait de la sociologie la dernière des sciences fondamentales (une “physique sociale”, après les physiques céleste, terrestre, organique). Il exclut par ailleurs toute science psychologique. C’est ainsi qu’il considère que l’introspection est une “pure illusion”.

Mais, quant à observer de la même manière les phénomènes intellectuels pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité manifeste. L’individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l’un raisonnerait, tandis que l’autre regarderait raisonner. L’organe observé et l’organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l’observation pourrait‑elle avoir lieu ? Auguste Comte, Cours de philosophie positive.

Est-ce pour cela que Descartes n’a pas perçu la part d’inconscient qu’il recelait en lui ? Nous voyons ici que l’accès d’un sujet à son propre inconscient semble impossible à réaliser. Si tant est que notre inconscient existe bel et bien, nous ne pourrons l’examiner par nous-mêmes : il nous faudra trouver une autre méthode.

Marx (1818-1883)

La morale, la métaphysique, la religion et tout le reste de l’idéologie, ainsi que toutes les formes de la conscience qui leur correspondent, n’ont pas d’histoire, pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Marx et Engels, L’Idéologie allemande.

Karl Marx est le théoricien du communisme et du concept de la “lutte des classes”. Dans une société industrielle, matérialiste, coexistent ceux qui possèdent les moyens de production (les usines, les machines) et ceux qui travaillent pour produire des biens – les “prolétaires”. La notion de “lutte des classes” est liée à celle de “conscience de classe” (Morfaux). Chaque classe – selon sa “vie” de classe – devrait développer sa propre culture, et ainsi voir sa vie déterminer sa propre conscience, mais il en va autrement. Pour Marx, “Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.” (Critique de l’Économie politique). Avec l’idéologie, toute conscience est “fausse conscience”. La notion de “lutte des classes” implique une classe dominante sur la ou les autres, et donc une culture dominante :

Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste.

La classe dominante impose ses idées sur les autres classes, et forme – ou déforme – ainsi la conscience. Cette influence sur la pensée va jusque dans la notion d’un inconscient : la conscience ainsi conditionnée va agir en fonction de l’idéologie dominante : .“Je veux absolument le dernier smartphone d’Apple parce que c’est un Apple”. Il est ici évident que l’idéologie liée à Apple empêche la conscience, en la conditionnant jusque dans son inconscient, de savoir grâce à une conscience libre que le dernier Samsung est mille fois mieux que le dernier Apple. Je le sais : j’achète toujours le dernier Samsung car c’est un Samsung. Voilà deux exemples de consciences “éclairées” par deux simili-idéologies (ceci n’est qu’un exemple donné à titre de démonstration, achetez Samsung).

L’inconscient est ici “comme une conscience manipulée de l’extérieur, y compris dans ses activités de connaissance, par des forces socioéconomiques que la conscience ne contrôle pas et qui conditionnent ses productions mentales” (Renaut). On parle alors d’un “inconscient social”.

Eduard von Hartmann (1842-1906)

L’ouvrage principal de Hartmann, philosophe allemand du XIXe siècle, s’intitule Philosophie de l’Inconscient. Il y présente la théorie d’un inconscient qui est à l’origine de tout ce qui existe. Cet inconscient comprend trois niveaux :

  • L’Inconscient absolu : “individu suprême”, “Un-tout”, “âme universelle”, principe universel à l’origine de toutes les formes de vie ;
  • L’Inconscient physiologique : il se manifeste dans la vie corporelle (fonctions nerveuses, mouvements volontaires et réflexes, instinct, guérisons naturelles, formation de l’organisme) ;
  • L’Inconscient psychologique : il est à la source de notre vie mentale consciente.

L’Inconscient absolu rappelle la conception que Spinoza a de Dieu : Dieu est la substance unique qui est cause de toute chose.

La puissance qui permet aux choses singulières et par conséquent à l’homme, de conserver leur être, est la puissance même de Dieu, c’est-à-dire la Nature. Spinoza, L’Éthique.

Hartmann conçoit cette “âme universelle” comme une “intelligence supraconsciente”, qui “réalise sa fin dans la création et l’histoire du monde”. Même si pour Spinoza Dieu n’a pas créé le monde, puisque le monde existe de tout temps, sans fin ni commencement, pour lui et pour Hartmann, Dieu est dans tout et tout est dans Dieu.

Avec un regard moderne, l’Inconscient physiologique correspond d’une part aux manifestations biologiques qui sont hors de la conscience (influx nerveux, mouvements réflexes, etc.) et d’autre part à la génétique (expression de l’ADN dans la formation des organismes vivants). Nous étudierons cet inconscient biologique dans la fiche n° 3, Les trois inconscients et la Liberté.

L’Inconscient psychologique est le plus proche de la conception freudienne de l’inconscient.

[L’]origine des actes auxquels nous donnons les qualifications de moraux et d’immoraux se trouvent dans l’Inconscient. Hartmann, Op. cit.

Si Freud a pu être inspiré par les travaux de Hartmann – notamment sur le rôle des rêves -, la notion d’inconscient que ce dernier a développé ne correspond pas à celle de la psychanalyse, qui sépare les domaines physiologique et psychologique, alors que Hartmann les considère comme des niveaux de l’Inconscient global (les trois niveaux décrits ci-dessus).

Nietzsche (1844-1900)

Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, nous les hommes de la connaissance, et nous sommes nous-mêmes inconnus à nous-mêmes. A cela il y a une bonne raison : nous ne nous sommes jamais cherchés, – pourquoi faudrait-il qu’un jour nous nous trouvions. (…) Chacun est pour soi-même le plus lointain. Nietzsche, Généalogie de la morale, avant-propos.

Dans son avant-propos de la Généalogie de la morale, Nietzsche évoque les philosophes sous les termes “hommes de la connaissance”. Étendons sa réflexion à l’ensemble des êtres humains. Nous avons tous en nous une part d’inconnu. Nietzsche va l’explorer pour “savoir quelle est véritablement l’origine de notre bien et de notre mal” (Ibid.). Tout est venu selon lui d’une transformation profonde : lorsque l’homme a quitté son état animal, sauvage, instinctuel, pour devenir “définitivement captif sous le joug de la société et de la paix”. Dans son état animal, l’homme disposait d’instincts pour pouvoir survivre : les instincts guidait l’homme “en toute sécurité et inconscience”. Dans son état d’inconscience, l’homme vivait librement, sans conscience : ses instincts s’exprimaient naturellement, comme des repères dans le monde sauvage exposé “à la guerre, à l’aventure”. Puis advint la “mauvaise conscience” :

Tous les instincts qui ne se déchargent pas vers l’extérieur se tournent vers l’intérieur – c’est ce que j’appelle l’intériorisation de l’homme : c’est alors seulement que pousse en l’homme ce qu’on appellera plus tard son “âme”. Tout le monde intérieur, aussi mince à l’origine que s’il était tendu entre deux membranes, s’est élargi et gonflé, a acquis de la profondeur, de la largeur et de la hauteur à mesure que la décharge vers l’extérieur des pulsions a été inhibé. (…) L’hostilité, la cruauté, le plaisir de traquer, d’attaquer, de contrecarrer, de détruire – tout cela se retournant contre les détenteurs de ces instincts : voilà l’origine de la “mauvaise conscience”. Ibid.

Nous retrouvons ici des notions qui seront évoqués dans la théorie psychanalytique dont Freud est à le fondateur : les pulsions et les forces conflictuelles qui leur sont liées, l’inhibition des pulsions qui deviendra le mécanisme de refoulement. Nous sommes ici devant la conception d’un inconscient psychique qui s’est développé avec l’évolution sociale des êtres humains. Notons aussi la notion de souffrance indissociable de la “séparation violente d’avec le passé animal”. Il y a dans ce changement d’état un parallèle sans doute à établir avec l’Ancien Testament, où Adam et Eve, ayant goûté au fruit de la connaissance, ont été chassés du jardin d’Eden, pour subir la souffrance de la condition humaine : enfanter dans la douleur, travailler à la sueur de son front. Enfin, avec la notion de “mauvaise conscience”, Nietzsche pose la question de la valeur des valeurs morales :

(…) la morale serait justement le danger des dangers”. Ibid.

Ce sont les notions de faute, de culpabilité, de honte, de ressentiment, que Nietzsche va développer dans la Généalogie de la morale. C’est la croyance des “nostalgiques de la croix” dans le fait qu’il n’y a pas de “souffrance absurde” : l’homme souffre de son inconscient, de ses instincts qui se sont retournés contre lui, car il a pris conscience de sa faute, liée au “péché originel”. La “mauvaise conscience”, en intériorisant les instincts et les règles sociales, a nourri et fait croître l’inconscient psychique.

Freud (1856-1939)

L’inconscient est pareil à un grand cercle qui enfermerait le conscient. Il ne peut y avoir de conscient sans stade antérieur inconscient, tandis que l’inconscient peut se passer de stade conscient et avoir cependant une valeur psychique. L’inconscient est le psychique lui-même et son essentielle réalité. Sa nature intime nous est aussi inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur lui d’une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde extérieur. Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves.

Parler d’inconscient sans évoquer Sigmund serait comme parler de la Joconde sans évoquer son père (artistique bien entendu, et non biologique) : le premier semble aussi énigmatique que le sourire de la seconde. Dans la description ci-dessus que donne Freud de l’inconscient, la conscience cartésienne, perçu clairement et distinctement, première certitude indubitable et accessible, est particulièrement mise à mal. Elle doit son existence au seul inconscient, imperceptible et inaccessible en grande partie par la conscience. Nous ne sommes plus en présence du “Je pense donc je suis”, mais du “Ça pense en moi”.

Pour Freud, l’appareil psychique est composé de trois instances (voir aussi la notion de Conscience) :

  • Le Ça : le “véritable” inconscient, qui comprend toutes les pulsions, c’est le “refoulé”, il est soumis au principe de plaisir et ne tient pas compte de la réalité ;
  • Le Surmoi : gardien moral, censeur, fondé sur notre éducation, il compare le Moi “réel” au Moi idéal et ça ne va jamais ;
  • Le Moi : notre pauvre conscience bien écornée, qui tente de concilier son plaisir avec la réalité.

L’inconscient se manifeste à notre conscience dans nos rêves, dans nos actes manqués, dans nos lapsus. Les pulsions refoulées vont tenter de venir (ou de revenir) à la conscience, mais le Surmoi et le Ça les transformeront en des représentations souvent incompréhensibles au premier abord. C’est la théorie du refoulement, le conflit entre conscient et inconscient : je rêve que j’ai un smartphone Apple alors que je désire en réalité un Samsung, mais le Surmoi est contrôlé par la marque à la pomme, et il censure tout ce qui ne s’apparente pas à un IPhone.

Alain (1868-1951)

Alain, pseudonyme choisi par Émile-Auguste Chartier, est un philosophe rationaliste (voir quelques éléments de doctrines de philosophes appartenant au rationalisme classique – Descartes, Malebranche, Spinoza et Leibniz – dans la fiche n° 2 de la notion de Perception). Dans son ouvrage Éléments de philosophie, Alain consacre un chapitre entier à Descartes “l’ami et le frère de l’apprenti”, intitulé “Éloge de Descartes”.

Je crois que le principal [à retenir pour l’apprenti] est le célèbre “Je pense donc je suis” qui fonde la vérité des pensées comme pensées ; c’est le monde où le philosophe est maître de ses combinaisons. C’est alors qu’il pense sa pensée, ce qui est proprement philosopher. Alain, Eléments de philosophie.

La pensée vraie ne peut être qu’une pensée consciente : celui qui philosophe est le “maître” des pensées. Autrement dit, la conscience est maître(sse) en sa maison. alors, quand la pensée d’Alain rencontre la pensée de Freud, qui affirme que “le moi n’est pas maître dans sa propre maison” (Essais de psychanalyse appliquée), c’est le drame. Pour Alain, la conscience a toujours le pouvoir d’être juge d’elle-même : comme dans l’exemple du philosophe, la conscience “pense sa pensée”.

Veut-on comprendre enfin que la conscience morale, c’est la conscience même ? Ibid.

La conscience est donc conscience morale, et, comme nous venons de le voir, maître et juge de ses pensées. Voilà qui met à mal le Surmoi freudien, qui surveille le Moi conscient. Dans la description de l’appareil psychique de Freud, le Surmoi est effectivement formé à partir du Moi, donc de la conscience. Mais le Surmoi retire le rôle au moral au Moi en devenant son juge et son censeur.  

L’homme est obscur à lui-même, cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi, un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensées en nous sinon par l’unique sujet, Je ; cette remarque est d’ordre moral. Il ne faut point se dire qu’en rêvant on se met à penser. Il faut savoir que la pensée est volontaire. Ibid.

S’il y a un juge de la conscience, ce ne peut être qu’elle-même, et donc ni le Surmoi, ni l’Inconscient qui serait alors proche du malin génie de Descartes.

Alain s’insurge par ailleurs contre l’assimilation des instincts à l’inconscient. Chez l’animal, l’instinct ne peut être dit inconscient, puisqu’il n’y a pas de conscience animale devant lequel il se présenterait. Chez l’homme, l’instinct relève du corps et de la croyance. C’est l’exemple classique du “bouton rouge” : si quelqu’un vous dit en décrivant votre poste de travail sur une machine, et avec une voix forte et autoritaire : “Quoi qu’il arrive, ne touchez pas au bouton rouge !”. La machine se met en route, et soudain des lumières s’allument, des sirènes hurlent, et notre “instinct” nous pousse quitter notre conscience obéissante aux ordres donnés, et à vouloir toucher le bouton rouge en croyant qu’il va nous sauver de cette situation. Pour Alain, l’homme naturellement a la capacité de s’habituer à avoir un corps et des instincts, mais c’était sans compter la venue de Freud.

Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité. Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Ibid.

L’expression “freudisme” montre bien toute l’animosité d’Alain envers la théorie freudienne. On pourrait presque s’imaginer Alain-Platon, se battant contre Freud le Sophiste (Platon abhorrait les Sophistes, qui ne cherchait selon lui qu’à séduire leur auditoire au moyen d’arguments fallacieux et de tournures de phrases issues de la rhétorique). Freud réduirait l’homme à son état animal, et plus particulièrement à son corps, devenu le “semblable” de l’esprit doué de conscience.

L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps. (…) Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. Ibid.

Alain résume ainsi l’inconscient à n’être que de l’ordre d’un mécanisme, et absolument pas une pensée ou une autre conscience. Quels que soient les “fantômes” que sont l’inconscient ou notre “hérédité” (notre histoire personnelle), nous devons repartir de zéro, tout recommencer, volontairement :

Je veux ce que je pense et rien de plus. Ibid.

Carl Gustav Jung (1875-1961)

Carl Gustav Jung est un psychiatre suisse, qui s’intéresse aussi aux sciences naturelles, à la philosophie, et à la religion. Il découvre les travaux de Freud et le rencontre, mais leurs conceptions deviennent divergentes (voir ici une présentation de la doctrine jungienne).

Il développe en particulier la notion d’un inconscient collectif, qui est un fond commun à toute l’humanité, et qui se manifeste par des archétypes ou “représentations collectives fondamentales à tout homme” (Morfaux).

Jung distingue plusieurs strates dans l’inconscient collectif :

  • 1ère couche : c’est l’inconscient individuel ;
  • 2ème couche : c’est l’inconscient collectif familial auquel on appartient : dans certaines familles il y a par exemple certains chiffres qui reviennent génération après génération ;
    3ème couche : c’est l’inconscient collectif du groupe ethnique et culturel auquel appartient la famille ;
  • Au dessus : il y a un inconscient collectif primordial. C’est ce qui est le plus général à l’humanité, comme par exemple la peur commune de l’obscurité, les instincts… etc. Dans cet inconscient collectif, il y a des structures de base, un code général où cet inconscient s’exprime et ce sont les « archétypes ». Ils puisent dans la matière indifférenciée, le magma, le chaos de l’origine. Psychiatrie infirmière, Carl Gustav Jung.

L’inconscient collectif est donc une accumulation culturelle et historique, qui est commune à tous dans sa forme primordiale. Les archétypes sont issus des légendes, des mythologies, des contes. Ils se manifestent dans les rêves, les délires et dans les arts (Morfaux). C’est l’exemple du dragon, du paradis perdu, de la Mère. Notons que la notion d’archétype apparaît pour la première fois avec la théorie des Idées de Platon : les Idées sont les modèles idéaux de toutes choses (le Bien, le Beau, le Juste, etc.).

Jacques Lacan (1901-1981)

L’inconscient est structuré comme un langage.

Lacan décrit l’inconscient sous la forme d’un langage comparable au hiéroglyphes égyptiens. On peut y voir “des vautours, des poulets, des bonhommes debout, assis ou s’agitant”. Si l’on ne dispose pas sous la main de la pierre de Rosette -, l’ancêtre de Google traduction -, ces signes sont indéchiffrables. L’approche psychanalytique lacanienne va être celle d’un linguiste.

Ouvrons ici une parenthèse linguistique avec Ferdinand de Saussure. Ce linguiste distingue deux éléments dans les signes utilisés par le langage : le signifiant et le signifié. Le signifiant est le son utilisé pour le signe linguistique qu’est le mot : un poulet, soit, en transcription phonétique “pulɛ”. Le signifié est le concept auquel le signifiant renvoie : un gallinacé, ou encore, selon le contexte, une poule, un agent, un policier, un poulot, une poulaille, un poulaga, une missive, une lettre, un flic, un coq, une bafouille, un poussin, une poulette, une poularde, un perdreau, un lardu, un coquelet, un chapon, un cafard, un biquet, un billet, une babillarde, un quiqui (source cnrtl.fr). Fermeture de la parenthèse poulaillère.

Pour comprendre le vautour qui plane dans l’inconscient, le psychanalyste doit donc se parer des atours de Saussure et de Champollion réunis : il va chercher à retrouver le sens de ce que “dit” l’inconscient, notamment au moyen de l’interprétation des rêves, qui sont “la voie royale de l’inconscient”. Lacan lie l’efficience de l’analyse “au fait de parler, “qu’elle est une expérience de parole”. Nous sommes assujettis au langage, même avant d’être né : c’est la métaphore du hamac :

L’homme qui naît à l’existence a en premier lieu affaire au langage ; c’est une donnée. Il y est même pris dès avant sa naissance, n’a-t-il pas un état-civil ? Oui, l’enfant à naître est déjà, de bout en bout, cerné dans ce hamac de langage qui le reçoit et en même temps l’emprisonne. Lacan, cité dans histophilo.com).

Nous sommes donc cernés par l’inconscient, nourri par le langage avant même que le sujet parvienne à l’existence.

Karl Popper (1902-1994)

Karl Popper est un philosophe des sciences. Il conteste le caractère scientifique de la psychanalyse. Pour lui, une théorie n’est scientifique que si on vérifie sa falsifiabilité. En clair, la science procède par l’élimination d’hypothèses. Une théorie est scientifique si la démarche expérimentale a bien inclus des tentatives de réfutation de ses hypothèses. Tant qu’elle n’a pas été réfutée par l’expérience, elle est bonne, à défaut de pouvoir prouver qu’elle est vraie. La psychanalyse, selon Popper, ne cherche pas à tester sa validité, et ne peut donc être considérée comme une science.

(…) la psychanalyse n’est pas testable avec ses propres méthodes car elle ne se fonde pas sur des faits objectifs mais sur l’interprétation qu’elle en postule. Aussi n’est-elle jamais en état de se falsifier, elle ne fait que s’auto confirmer en permanence. Puisqu’elle a besoin de ses propres certitudes pour les vérifier, elle n’est pas une science, elle est une croyance dogmatique ou une idéologie, caractère qu’elle partage selon l’analyse poppérienne avec le marxisme. Simone Manon, La critique de la psychanalyse.

Pour autant, si la psychanalyse ne peut pas être considérée comme une science, pouvons-nous en conclure que nous perdons un temps précieux à explorer la notion d’inconscient ? Émettons l’hypothèse que la notion d’inconscient présente, malgré tout cela, un intérêt philosophique, en poursuivant notre exploration plus avant, d’autant que nous avons pu voir précédemment que l’inconscient ne se réduisait pas à la seule psychanalyse.

Sartre (1905-1980)

Après Alain et Popper, nous sommes ici encore dans une critique de la psychanalyse et de sa notion d’inconscient. Pour Sartre, la notion d’inconscient conduit à “chosifier” la conscience, et lui retire sa subjectivité et donc sa responsabilité et sa liberté de choisir. En bref, il s’agit d’un conflit entre la notion d’inconscient guidant une conscience aveugle, et un sujet responsable et “condamné à être libre” (L’Existentialisme est un humanisme ; voir aussi la fiche n° 3 de la notion de Sujet).

(…) la démarche de Sartre aura consisté à tenter d’établir que le prétendu inconscient est en fait une conscience qui choisit de se taire comme conscience. Une conscience qui choisit de disparaître comme telle, en sorte que Sartre proposa même, pour expliciter sa contre-hypothèse, d’adopter comme principe explicatif non l’inconscient, mais la “mauvaise foi”. Renaut, Leçons de la Philosophie.

L’inconscient n’est en fait qu’une conscience, toujours libre par principe, et qui choisit par sa liberté de se mettre en scène dans sa désorganisation (Renaut). Ce choix libre s’opère pour échapper à une situation que la conscience choisit de ne pas affronter. C’est l’exemple que donne Sartre dans L’Être et le Néant d’une femme qui se rend à son premier rendez-vous avec un homme qui nourrit des intentions à son égard (l’expression est de Sartre).

L’homme qui lui parle lui semble sincère et respectueux comme la table est ronde ou carrée, comme la tenture murale est bleue ou grise. Et les qualités ainsi attachées à la personne qu’elle écoute se sont ainsi figées dans une permanence chosiste qui n’est autre que la projection dans l’écoulement temporel de leur strict présent. Sartre, L’Être et le Néant.

Sartre décrit alors les sentiments ambivalents de la femme, tiraillée entre “le désir cru et nu” qui lui fait “horreur”, et le “respect qui ne serait uniquement du respect”, et donc sans “aucun charme”. C’est là que Sartre introduit un suspense insoutenable digne d’un des meilleurs opuscules de la collection Harlequin (pardon Jean-Paul !).

Mais voici qu’on lui prend la main. Cet acte de son interlocuteur risque de changer la situation en appelant une décision immédiate : abandonner cette main, c’est consentir de soi-même au flirt, c’est s’engager. La retirer, c’est rompre cette harmonie trouble et instable qui fait le charme de l’heure. Ibid.

Devant cet acte à la fois imprévu et pourtant si prévisible, il faut décider, ou pas. C’est le choix – ou le non-choix ? – que fait la femme : elle laisse sa main entre celles de son désormais partenaire ; sa main “ni consentante ni résistante, une chose” (Ibid.). Cette femme aurait-elle choisi librement de ne pas choisir librement ?

Nous dirons que cette femme est de mauvaise foi. Ibid.

Sartre interprète le geste de chosification de la main comme un “divorce du corps et de l’âme”. Elle reste cependant une conscience, mais qui ne “s’en aperçoit pas parce qu’il se trouve par hasard qu’elle est, à ce moment, tout esprit” (Ibid.). C’est pas moi, c’est mon corps. Là où Freud voit le refoulement de l’inconscient, Sartre voit la mauvaise foi consciente mais pas trop.

Merleau-Ponty (1908-1961)

L’idée d’une conscience qui serait transparente pour elle-même et dont l’existence se ramènerait à la conscience qu’elle a d’exister n’est pas si différente de la notion d’inconscient : c’est, des deux côtés, la même illusion rétrospective, on introduit en moi à titre d’objet explicite tout ce que je pourrai dans la suite apprendre de moi-même. Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, III, I.

Nous avons vu avec Descartes – et sa possible erreur selon Leibniz – que la conscience serait transparente à elle-même : observable “clairement et distinctement”. Nous ne pouvons pas cependant tout connaître de nous-mêmes : nous ne pouvons pas prétendre que nous avons toujours su ce que nous savons à présent ; nous ne pouvons pas non plus nous connaître “d’avance” ce que nous saurons avant d’avoir lu tel ou tel livre ou vécu telle ou telle expérience. Si le patient qui débute une analyse connaissait déjà par avance tout ce qui réside dans sa conscience et dans son inconscient, le psychanalyste se réduirait alors à l’employé qui prend la commande dans un drive : “Un menu Big Surmoi, avec un supplément de Ça sauce pulsion”. Nous retrouvons ici la dynamique de l’inconscient, qui est tout sauf figé, même s’il est atemporel.

Le petit plus : les philosophies du soupçon

Dans notre parcours des doctrines philosophiques en lien avec l’inconscient, nous avons croisé, sans doute sans le savoir d’avance (ou alors inconsciemment) les trois philosophes du soupçon : Marx, Nietzsche et Freud.

On a appelé philosophies du soupçon, le marxisme, le nietzschéisme, le freudisme, en ce qu’elles réduisent les certitudes du moi conscient à des déterminismes sociaux (infrastructures économiques) ou psychologiques (volonté de puissance, inconscient). Morfaux, Op. cit.

Descartes et sa conscience transparente à elle-même a dû entendre ses oreilles siffler longuement avec le soupçon porté sur son cogito. Marx affirme que toute conscience n’est que “fausse conscience”, déterminée par l’idéologie dominante et non par sa seule pensée d’exister. Nietzsche ne voit que la “mauvaise conscience” issue du refoulement des instincts, et un “Je” qui n’est rien de plus qu’un sujet grammatical. Freud affirme que la conscience ne pourrait exister sans l’inconscient et même que ce dernier pourrait fort bien s’en passer. Pauvre René…

En bref/L’essentiel

Socrate, avec le “Connais-toi toi-même, et Épictète, en distinguant ce qui dépend de nous et la place du désir, ont posé une partie de nous qui ne nous est pas connu et qui peut nous contraindre sans que nous le voulions. Socrate démontre, au moyen de la maïeutique, “l’art d’accoucher les esprits”, que nous pouvons nous souvenir d’un savoir dont nous ignorions jusqu’à l’existence, autrement dit inconscient, caché au fond de notre âme : c’est la théorie de la réminiscence.

Avec le cogito, Descartes affirme l’existence d’une conscience, équivalente à la pensée, transparente à elle-même. Il distingue les préjugés et les opinions qui peuvent nous tromper dans nos pensées et nos actes.

Leibniz est considéré comme le premier à évoquer la notion d’inconscient avec ce qu’il appelle les “petites perceptions”, qui ne sont pas conscientes, comme le bruit des vagues qui constitue la “grande perception” du bruit du flux et du reflux sur la plage.

Auguste Comte, fondateur de la sociologie, réfute la possibilité de pouvoir s’observer soi-même par l’introspection : on ne peut être observateur et observé.

Marx introduit la notion d’un “inconscient social”, déterminé par l’idéologie des classes dominantes.

Hartmann voit l’inconscient comme constitué de plusieurs niveaux : l’âme universelle ou individu suprême ; l’inconscient physiologique (que nous appelons aujourd’hui biologique) ; l’inconscient psychologique de chaque individu.

Nietzsche affirme que la “mauvaise conscience” est apparue lors du passage de l’homme de l’état sauvage à l’état social : les instincts se sont retournés contre lui en intériorisant ses pulsions.

Freud décrit l’appareil psychique comme composé de trois instances : le Ça (inconscient) ; le Surmoi (gardien moral, censeur du Moi) ; le Moi (la conscience).

Alain critique sévèrement le “freudisme”, qui réduit l’homme à un animal guidé par ses seuls instincts.

Jung développe la notion d’inconscient collectif, commun, à toute l’humanité, construit par les légendes et les mythologies, et se présentant sous la forme d’archétypes.

Lacan décrit l’inconscient comme structuré comme un langage, déchiffrable comme le ferait un linguiste d’une langue inconnue.

Popper conteste la validité scientifique de la psychanalyse, qui ne se fonde que sur ses propres certitudes.

Sartre considère que la notion d’inconscient n’est en réalité que la manifestation de la “mauvaise foi”, où la conscience se met en scène pour éviter de décider dans une situation qu’elle ne veut pas affronter.

Merleau-Ponty décrit comme une illusion une conscience transparente à elle-même : illusion de croire que nous avons toujours su tout ce que nous savons et aussi ce que nous saurons.

Les trois philosophes du soupçon sont Marx, Nietzsche et Freud. Ils réduisent la certitude du moi (le cogito de Descartes) à des déterminismes sociaux ou psychologiques.

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Le Sujet La Conscience

La Perception

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2. Des Inconscients et des hommes

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4. L’Inconscient  – Bibliographie

Voir aussi

Les différents articles du site.

Les Fiches de lecture.

Le Carnet de Vocabulaire Philosophique.

Les Citations.

La Grande Bibliothèque Virtuelle de la Philosophie.

Dsirmtcom, février 2019.

3 commentaires sur “Bac Philo – I.3. L’Inconscient – Fiche n° 2. Des Inconscients et des hommes

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