NC – Milton, De la liberté de la presse et de la censure (1644)

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 18

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Page de titre

Celui qui veut enchaîner la liberté de la presse a besoin d’étouffer quelque vérité ou de propager quelque mensonge.

Avant-propos

[Discours sur la liberté de la presse, prononcé au conseil des Cinq-Cents, par le marquis de Pastoret, pair de France].

Lorsque les voix les plus éloquentes se sont élevées en faveur de la liberté de la presse, lorsque les hommes les plus vertueux et les philosophes les plus éclairés ont démontré son utilité et ses bienfaits, comment se fait-il que, sous un gouvernement constitutionnel, on ose encore réclamer l’esclavage de la pensée ? C’est au nom du bonheur public qu’on propose cette funeste mesure, mais ce n’est qu’un vain prétexte à l’ambition d’audacieux hypocrites qui, sous le nom sacré de religion et de morale, étalent insolemment leur orgueil et foulent aux pieds les droits de la nation. p. 6-7.

Le temps n’est plus où l’opinion d’un seul gouvernait… La presse est le sens universel du corps politique, comme le tact l’est du corps humain. Sa liberté est d’ailleurs une conséquence nécessaire de la faillibilité universelle : il faut ou la permettre ou soutenir que l’erreur est impossible à ceux qui gouvernent. p. 7-8.

L’organisation politique perfectionnée, l’infraction aux droits du peuple connue, l’intrigue surveillée et aperçue jusque dans les derniers replis de sa marche tortueuse, les complots de l’ambition découverts, l’usurpation tremblante de ses propres projets, et finissant par en être la victime : voilà les bienfaits de la liberté de penser et d’écrire […]. p. 9.

Concevez-vous qu’un pays soit libre, quand la pensée, ou la parole qui en est l’expression, ne le sont pas, quand il y a des pensées sujettes et une pensée souveraine ? p. 10.

De la liberté de la presse et de la censure

[Discours adressé au Parlement d’Angleterre, par Milton].

[…] un livre n’est point une chose absolument inanimée : il est doué d’une vie active comme l’âme qui le produit ; il conserve même cette prérogative de l’intelligence vivante qui lui a donnée le jour. p. 14-15. 

[…] je soutiens que l’existence d’un bon livre ne doit pas plus être compromise que celle d’un bon citoyen : l’une est aussi respectable que l’autre, et l’on doit également craindre d’y attenter. Tuer un homme, c’est détruire une créature raisonnable ; mais étouffer un bon livre, c’est tuer la raison elle-même. p. 15.

[…] c’est une espèce d’homicide, quelquefois un martyre, et toujours un vrai massacre, si la proscription s’étend sur la liberté de la presse en général. p. 16.

[…] afin qu’on ne m’accuse pas d’introduire une licence pernicieuse en m’opposant à la censure des livres, j’entrerai dans quelques détails historiques, pour montrer quelle fut, à cet égard, la conduite des gouvernements les plus célèbres, jusqu’au moment où l’Inquisition imagina ce beau projet de censure que nos prélats et nos prêtres adoptèrent avec tant d’avidité. p. 16-17.

Telle est l’origine de la coutume d’approuver les livres. Nous ne la trouvons établie par aucun gouvernement ancien, ni par aucun statut de nos ancêtres, elle est le fruit du concile le plus anti-chrétien et de l’inquisition la plus tyrannique. p. 26.

Le bien et le mal ne croissent point séparément dans le champ fécond de la vie ; ils germent l’un à côté de l’autre, et entrelacent leurs branches d’une manière inextricable. La connaissance de l’un est donc nécessairement liée à celle de l’autre. Peut-être même dans l’état où nous sommes, ne pouvons-nous parvenir au bien que par la connaissance du mal ; car, comment choisira-t-on la sagesse ? p. 29.

Si donc il est démontré que les livres qui paraissent influer le plus sur nos moeurs et sur nos opinions, ne peuvent être supprimés sans entraîner la chute des connaissances humaines, et que lors même qu’on parviendrait à les soustraire tous, les mœurs ne laisseraient pas de se corrompre par une infinité d’autres voies qu’il est impossible de fermer ; enfin si, malgré les livres, il faut encore l’enseignement pour propager les mauvaises doctrines, ce qui pourrait avoir tout aussi bien lieu, quoiqu’ils fussent prohibés, on sera forcé de conclure qu’envisagé sous ce point de vue, le système insidieux des approbations est du moins parfaitement inutile, et ceux qui le mettent en pratique, dans un sincère espoir d’élever une barrière contre le mal, pourraient être comparés à ce bonhomme qui croyait retenir des corneilles en fermant la porte de son parc. p. 32-33.

Si nous voulons subordonner la presse à des règlements avantageux pour les mœurs, il faudra soumettre à la même inspection les plaisirs et les divertissements ; il faudra des censeurs pour le chant, qui ne permettront que des sons graves et doriques ; car la musique est encore une source de corruption. Il en faudra pour la danse, afin qu’on enseigne aucun geste indécent à notre jeunesse, chose à laquelle Platon n’a pas manqué de faire attention. […] Et comment empêcher la contrebande des soupirs, des déclarations et des madrigaux qui s’échapperont à voix basse dans les appartements ? Ne seront-ce pas autant de marrons (1) qui circuleront sous les yeux même du censeur ? p. 36-38.

(1) On sait que ce mot marrons est le terme d’argot en librairie, pour exprimer un livre défendu ou publié en contravention aux règlements : les livres et leurs auteurs sont les nègres des censeus. Ces sobriquets populaires sont en général des indices assez sûrs de la situation d’un peuple. [Note de l’ouvrage, p. 37].

Tous les inconvénients existent, et ils doivent exister. Un sage gouvernement ne cherche pas à les détruire, il n’en a ni le droit, ni le pouvoir ; mais à combiner leur action avec le bien général de la société. p. 39.

La négligence et l’impunité ne peuvent qu’être funestes à tous les gouvernements : le grand art consiste à savoir les choses que l’on doit prohiber, celles qu’on doit punir, et celles où il ne faut employer que la persuasion. Si toutes les actions, bonnes ou mauvaises, qui appartiennent à l’âge mûr, pouvaient être taillées, prescrites et contraintes, la vertu ne serait plus qu’un nom. p. 40.

Lorsque Dieu lui donna [à l’homme] la raison, il lui donna la liberté de choisir, car c’est cette faculté qui constitue la raison : autrement, l’homme n’eût été qu’une machine. p. 41.

Nous naviguons diversement sur le vaste océan de la vie : la raison en est la boussole, mais la passion en est le vent. p. 42-43.

Celui qui, dans sa patrie, se voir privé de la liberté de ses actions, n’a-t-il pas lieu de croire qu’on l’y regarde comme un étranger ou comme un fou ? p. 48.

Un homme qui écrit appelle toute sa raison à son secours. Après avoir pris tous les renseignements possibles sur le sujet qu’il traite, il ne se contente pas de ses recherches et de ses médications ; il consulte encore des amis. p. 48.

Comment un écrivain qui craint de voir mutiler ses meilleures pensées, et d’être forcé de publier un ouvrage imparfait, ce qui sans doute est la plus cruelle vexation, comment cet écrivain osera-t-il donner l’essor à son génie ? Où trouvera-t-il cette noble assurance qui convient à celui qui enseigne des vérités nouvelles, et sans laquelle vaudrait autant qu’il se tût ; s’il sait que toutes ses phrases seront soumises à l’inspection et à la correction d’un censeur qui peut, au gré de son caprice, effacer ou altérer ce qui ne s’accordera point avec son humeur réprimante qu’il appelle son jugement ? p. 49-50.

L’intelligence et la vérité ne sont pas des denrées propres au monopole, ni dont on doive soumettre le commerce à des règlements particuliers. p. 52.

En un mot, on ne peut pas regarder la censure des livres comme une méthode dictée par la sagesse ; car, si c’était un moyen sage, il faudrait l’appliquer à tout ; il n’y aurait pas de raison pour qu’on s’en servit pour les livres, plutôt que pour toute autre chose ; c’est là sans doute une invincible démonstration que ce moyen n’est bon à rien. p. 54.

Otez-moi toutes les autres libertés ; mais laissez-moi celle de parler et d’écrire selon ma conscience. p. 58.

Lorsqu’un homme a creusé la mine des connaissances humaines, lorsqu’il en a extrait les découvertes qu’il veut mettre au grand jour, il arme ses raisonnements pour leur défense, il éclaircit et discute les objections ; ensuite, il appelle son adversaire dans la plaine, et lui offre l’avantage du lieu, du vent et du soleil ; car se cacher, tendre des embuscades, s’établir sur le pont étroit de la censure, où l’agresseur soit nécessairement obligé de passer, quoique toutes ces précautions puissent s’accorder avec la valeur militaire, c’est toujours un signe de faiblesse et de couardise dans la guerre de la vérité. p. 59-60.

Pourquoi nous parler continuellement du danger des nouvelles opinions, puisque l’opinion la plus dangereuse est celle des personnes qui veulent qu’on ne pense et qu’on ne parle que par leur ordre ou par leur permission ? p. 61.

Enfin, les erreurs sont presque aussi communes dans les bons gouvernements que dans les mauvais ; car quel est le magistrat dont la religion ne puisse être surprise, surtout si l’on met des entraves à la liberté de la presse ? Mais redresser promptement et volontairement les erreurs dans lesquelles on est tombé, et préférer au triste plaisir d’enchaîner les hommes celui de les éclairer : c’est une vertu qui répond à la grandeur de vos actions, et à laquelle seule peuvent prétendre les mortels les plus dignes et les plus sages. p. 62.

Bibliographie

John Milton, De la liberté de la presse et de la censure, texte en ligne sur Gallica (traduction en français). La pagination indiquée dans cette note correspond à celle du fichier pdf téléchargeable sur le site gallica.bnf.fr. 

Wikipédia : John Milton ; Areopagitica, ou De la liberté de la presse et de la censure.


Dsirmtcom,  juin 2021.

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