Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 32
Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Notes de lecture
Fonder la morale, ce n’est pas en fixer des principes, mais établir sa légitimité possible. Dire au nom de quoi elle est justifiée – autrement que comme commandement de Dieu ou par son utilité sociale. […] Nous ne nierons pas avoir une conscience morale, mais nous craignons la mystification. p. 7.
[Quiconque] voit un enfant sur le point de tomber dans un puits est saisi d’une violente frayeur et se précipite pour le sauver […]. Aucun autre intérêt n’entre en jeu, le geste fait pour porter secours est incontrôlé. Aussi cette situation mérite-t-elle d’être érigée en paradigme. Car elle met à nu une conduite absolument désintéressée, où l’individuel est dépassé : voici soudain que je ne suis plus maître de mon initiative et de ses fins égoïstes ; c’est l’existence elle-même, à travers moi, qui s’insurge en faveur d’autrui. p. 11.
L’accomplissement des soins funéraires […] n’est pas qu’une convention : elle est révélatrice d’un lien, d’existence à existence, que même la mort ne peut défaire. p. 12.
“À partir de la nature humaine obtenir la moralité, c’est comme à partir de l’osier obtenir une corbeille”. Autrement dit, la nature humaine est un matériau brut (celui de la capacité d’être en vie) et la moralité, à partir d’elle, est le fruit d’un travail ajouté. […] Si l’on fait violence à l’osier pour en obtenir la corbeille, on fera également violence à l’homme pour en obtenir la moralité – et cela conduit à la lui faire détester. p. 48.
[La] morale n’est naturelle qu’à titre de disposition ; la “bonté” est originelle en l’homme – mais comme un potentiel. p. 60.
Pour ne pas perdre sa nature, il lui suffit [à l’homme] de ne pas perdre conscience de sa conscience, mais de la maintenir présente, actuelle. p. 72.
De Confucius (le Sage), on ne pourra toujours dire que ceci : “de la sagesse, il est le moment”. Il n’offre pas de trait défini puisqu’il est ce qu’exige de lui chaque occasion, ce qu’implique par elle-même chaque situation ; mais c’est pourquoi il est le sage accompli […] : celui dont la conscience n’est jamais en défaut ni la conduite en porte à faux. Opportuniste à bon escient. p. 77.
[Que] le prince soit humain et le monde connaît la paix. p. 87.
Aussi, en puisant à notre seul fonds d’humanité, en valorisant une conscience soucieuse plutôt que souffrante ou qu’angoissée, le confucianisme serait, parmi les grandes options connues, la plus à même de fonder la morale. Car tandis que les religions ne font que recouper la morale […], le confucianisme, lui, est parti d’elle. Il est issu de sa seule exigence et ne vise qu’à la déployer. p. 91.
“Si vous portez les vêtements du Sage, prononcez les mêmes paroles et exécutez les mêmes actes que lui”, vous serez à nouveau lui. p. 102.
La formation morale, par simple fréquentation, ressemble à l’apprentissage d’une langue : la meilleure pédagogie, on le sait, est d’envoyer l’enfant séjourner là où elle est le plus couramment parlée ; car le conditionnement du milieu est tel alors que, au bout de quelques années, on ne pourra plus obtenir de lui, même de force, qu’il parle autrement. […] La logique du conditionnement atteint ici son maximum de profondeur : parce que, en le suivant, je le mets en situation de servir d’exemple, l’autre se sent naturellement encouragé à bien se conduire. p. 108.
Aussi, plus qu’à la transcendance de l’action, les Chinois croient à l’immanence de la transformation : on ne se voit pas vieillir, on ne voit pas la rivière creuser son lit et, pourtant, c’est ce déroulement imperceptible qui fait la réalité de la nature et de la vie. p. 131.
[Le] peuple vers un prince humain de même que l’eau tend vers le bas. […] Si un prince consentait à être humain, […] tous les autres princes chasseraient si bien les populations vers lui que, désirerait-il ne pas exercer la royauté, il ne pourrait pourtant s’en défendre. p. 133.
Même la lecture, en Chine, dont l’art est pourtant si développé, n’est pas une explication du sens (la Chine est sans herméneutique) : selon les métaphores les plus communes, elle consiste à laisser “dissoudre” le texte dans l’esprit, à en « imbiber » sa conscience, à le “savourer” ; là encore, elle ne se conçoit pas comme une construction théorique, donc hypothétique (comme action délibérée), mais se vit comme un processus (de familiarisation et d’assimilation). Note, p. 162-163.
“Qui déploie complètement sa conscience prend conscience de sa nature, et qui prend conscience de sa nature, dès lors, prend conscience du Ciel. Maintenir sa conscience et nourrir sa nature, c’est par quoi on sert le Ciel.” Citation de Mencius, p. 166.
[Le] sage transforme les autres aussi bien qu’il se transforme lui-même. p 173.
À l’instar de la nature, [le sage] ne cesse d’être en procès ; aussi, se transformant au gré des situations, sa grandeur est sans contours, partant elle est sans raideur. p. 174.
Bibliographie
JULLIEN F., Dialogue sur la morale, Le Livre de Poche, 2014.
Voir aussi
Carnet de vocabulaire philosophique : Éthique – Herméneutique – Immanent – Métaphysique – Morale – Transcendant – Vertu.
Doctrines et vies des philosophes illustres : Épictète.
Fiches de lecture : Le “Manuel” d’Épictète – Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs – Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Notes contemplatives de lecture : L. Eul sou Youn, Confucius – Sa vie, son œuvre, sa doctrine – E. Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du Tir à l’Arc – F. Jullien, Si parler va sans dire – Sun Tzu, L’art de la guerre.
Dsirmtcom, juin 2022.
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