FL – Platon, Phèdre ou De la Beauté

Fiche de lecture n° 47

Éléments biographiques et de doctrine

Cf. Doctrines et vie des philosophes illustres : Socrate.

L’œuvre

Le Phèdre fait partie des œuvres de la période de maturité (385-370). Il comprend deux personnages : Socrate et son ami Phèdre, aristocrate athénien, partisan des Sophistes.

Les incontournables

La palinodie : 243a-d.

Le mythe de l’attelage ailé : 246a-d.

Le mythe des cigales : 259c.

La psychagogie : 271c.

Le mythe de Theuth (l’invention de l’écriture) : 274e-275a.

Synthèse globale

Le dialogue entre Socrate et Phèdre se divise en quatre parties, et a pour sujet la Beauté.

La première partie est construite autour du discours de Lysias, qui porte sur l’amour. L’argument est qu’il vaut mieux céder à celui qui n’aime pas qu’à celui qui aime. Après une critique des propos de Lysias, Socrate fait, à la demande de Phèdre, un premier discours, reprenant en partie l’argument de Lysias.

La deuxième partie fait intervenir le démon de Socrate, qui le pousse à faire un discours contraire, une palinodie, avec pour argument qu’il vaut mieux céder à celui qui aime, car il est sous l’emprise d’un délire divin. Le second discours de Socrate porte sur la destinée des âmes immortelles. Il expose notamment deux mythes : celui de l’attelage ailé, où l’âme est représentée par un cocher conduisant deux chevaux, l’un bon et l’autre mauvais ; et le mythe des cigales où les hommes se métamorphosent en ces insectes pour chanter et honorer les Muses.

La troisième partie traite des conditions de la rhétorique, en différenciant le vraisemblable du vrai. Les discours de Lysias et de Socrate servent d’exemple d’application de la méthode. L’art oratoire est une psychagogie : il a pour fonction d’éduquer les âmes.

La quatrième partie présente le mythe de Theuth, dieu égyptien, inventeur de l’écriture. Elle examine les différences entre la parole et l’écrit.

Plan du texte, synthèse et extraits

Prologue

Socrate rencontre Phèdre, qui revient de chez le rhéteur Lysias.

Scène de comédie

Phèdre va relater à Socrate le discours tenu par Lysias sur l’amour.

Lysias a écrit sur les entreprises envers un beau garçon d’un homme qui cependant n’en est pas amoureux, mais c’est précisément là que réside la finesse : car, d’après lui, c’est aux vœux de celui qui n’aime pas, qu’on doit céder, plutôt qu’à ceux de celui qui aime. 227c.

Mythologie

L’endroit où se trouvent Socrate et Phèdre est lié à des récits mythologiques. Phèdre préfère se scruter lui-même, avant de chercher à déchiffrer la signification des mythes et des êtres légendaires.

Que si, ayant des doutes à leur sujet, on réduit chacun de ces êtres à ce qu’il a de vraisemblable, en recourant à je ne sais quel grossier bon sens, on aura besoin de beaucoup de temps libre ! Or je n’en ai pas du tout, moi, pour des occupations de cette sorte, et en voici, mon cher, la raison : je ne suis pas capable encore, ainsi que le demande l’inscription delphique, de me connaître moi-même ! 229e.

Le cadre de l’entretien

Socrate et Phèdre s’installent sous un platane, près d’une source, pour leur dialogue. Socrate apprend simplement en observant “ce que font les hommes qui sont dans la ville”, comme un étranger dans son pays.

Toi cependant, tu as découvert, je crois, la drogue propre à me faire sortir. Je ressemble en effet aux bestiaux quand ils ont faim : en agitant devant eux un branchage ou un fruit, on les fait avancer ; toi pareillement, en tendant au-devant de moi des discours en un cahier, tu me feras, c’est bien évident, faire le tour de l’Attique entière, et me mèneras, ailleurs encore, où cela te plaira ! 230d-e.

Première partie

I. Le discours de Lysias

Phèdre lit le discours de Lysias. Ce dernier énumère les différents arguments en faveur de ceux qui n’aiment pas : l’absence de repentir d’avoir été bienfaisant envers l’aimé, la raison, la maîtrise de soi, l’absence de jalousie et d’inimitié, la connaissance de la personne avant tout désir, l’utilité, la reconnaissance du mérite, l’absence de reproches et de dommages.

Critique.

Phèdre et Socrate commencent par louer ironiquement l’éloquence quasi divine du discours, puis procèdent à la critique sur sa rhétorique.

De vrai, mon sentiment à moi, Phèdre, à moins que tu n’y trouves à redire, est qu’il a répété deux et trois fois les mêmes idées, comme s’il n’était pas bien à son aise pour trouver beaucoup à dire sans changer de sujet […]. Aussi me faisait-il l’effet d’un blanc-bec qui fait montre, en disant les mêmes choses, et comme ceci et comme cela, de son aptitude à les exprimer dans chaque cas d’une façon parfaite ! 235a.

Il y avait d’autres choses à dire.

Socrate se souvient de bien meilleurs discours, et évoque son sentiment de pouvoir lui-même “dire d’autres choses, et qui ne soient pas pires” (235c). Il rappelle son ignorance.

Or ce n’est pas par moi-même, au moins, que j’ai eu l’idée de ces choses, je le sais fort bien, étant, en moi-même, conscient de mon ignorance. Reste donc, me semble-t-il, qu’à des sources étrangères je me sois, par l’oreille, empli quelque part, comme s’emplit un vase […]. 235c-d.

Il donne quelques conseils sur la structure d’un discours.

Des développements indispensables de ce genre, il faut au contraire, selon moi, les concéder à celui qui parle, les lui pardonner ; et ce n’est pas l’invention de pareils développements qu’il y a lieu de louer, mais leur arrangement ; tandis que, pour les développements qui ne s’imposent pas et dont l’invention est difficile, ce n’est pas seulement sur l’arrangement, c’est sur l’invention aussi que doit porter la louange. 236a.

Socrate contraint de parler.

Phèdre donne le thème que Socrate devra développer dans son discours : “que l’amoureux est malade d’esprit, plutôt que celui qui n’aime pas” (236a).

II. Premier discours de Socrate

Socrate implore le soutien des Muses, et commence son discours en modifiant un peu le thème de Lysias.

Il y avait une fois un jeune garçon, bien plutôt un adolescent, qui était extrêmement beau et avait toute une foule d’amoureux. Or, dans le nombre, il y en avait un qui était un rusé et qui, sans être moins amoureux qu’aucun autre, avait persuadé au jeune garçon qu’il ne l’aimait point. Un jour même, qu’il lui adressait sa requête, il entreprit de lui persuader précisément ceci, que l’on doit céder aux vœux de celui qui n’aime pas, plutôt que de celui qui aime, et voici le langage qu’il lui tenait […]. 237b.

Deux principes nous gouvernent : la jouissance et la perfection. Selon que l’un surpasse l’autre, c’est la modération ou la démesure qui nous caractérise. L’amour est le désir qui a pour objet la beauté, notamment celle des corps.

Le discours s’interrompt : l’inspiration des Nymphes.

Socrate est gagné par une émotion presque surnaturelle, puis il revient à son discours au jeune garçon.

Le discours reprend.

Celui qui désire, et est esclave de la jouissance, veut retirer tout le plaisir possible de l’aimé, et cherche à l’isoler par jalousie.

Or, c’est précisément l’office de la divine philosophie, bien loin de laquelle forcément un amoureux écarte ses amours, ayant grand’peur d’en être dédaigné ; forcément, il met tout en œuvre pour que l’être aimé soit ignorant de tout et qu’il regarde tout avec les yeux braqués sur l’amoureux. 239b.

Il est donc impossible de devenir un homme accompli avec celui qui aime, et qui cherche un “tendron” plutôt qu’un “garçon solide” (239c). Pour s’assurer de conserver l’aimé, celui qui aime voudra le voir privé de qui lui est le plus cher (sa famille, ses biens, etc.). La différence d’âge augmentera l’emprise de celui qui aime, sur un plus jeune.

L’amoureux, lorsqu’il revient à la raison par la modération, est soumis à la honte et cherche la fuite. Il vaut donc mieux ne pas céder aux vœux d’un homme “qui aime et forcément n’a point sa tête, mais bien plutôt, au contraire, à ceux d’un homme qui n’aime pas et qui a toute sa tête” (241b-c).

Voilà donc, mon jeune ami, ce à quoi il faut bien penser, voilà ce qu’il faut savoir de l’amitié d’un amant : de bonnes intentions n’en accompagnent point la naissance ; c’est plutôt comme de manger en vue de se rassasier et telle la tendresse des loups à l’égard des agneaux, telle aussi l’amitié des amants pour un jeune garçon… 241c-d.

On ne peut continuer en ce sens.

Phèdre s’étonne que Socrate termine son discours sans l’équilibrer par la description des avantages de céder à celui qui n’aime pas.

Deuxième partie. Le démon de Socrate

Pendant qu’il prononçait son discours, Socrate a reçu le signal divin de son démon, qui ne l’alerte que quand il doit cesser d’agir.

En fait, tu le vois, je suis devin, un devin sans doute qui n’a pas grande valeur, mais à la façon des gens qui ne savent pas bien lire et écrire, juste autant qu’il m’en faut, pour moi seulement. En conséquence, déjà, je comprends clairement l’existence d’une faute, attendu qu’en vérité, l’âme est bien aussi quelque chose de divinatoire […]. 242c.

Son discours, comme celui de Lysias, peut faire penser que le divin Éros, l’Amour, serait “une chose mauvaise” (242e).

La palinodie.

Socrate veut se purifier, tel le poète, en déclamant un discours opposé, sur la nécessité “de céder aux vœux d’un amant, plutôt que d’un homme qui n’aime pas” (243d).

Deuxième discours de Socrate.

Non ! ce langage n’est pas vrai, d’après lequel, alors que l’amant existe, on doit plutôt céder aux vœux de celui qui n’aime pas, pour cette raison justement que le premier est en proie à un délire, tandis que l’autre a sa tête à lui. 244a.

Le délire de celui qui aime est d’origine divine.

Le délire divin : ses formes.

Les délires des prophétesses sont inspirés par les dieux. Le délire, la “mania”, n’a rien de mauvais, c’est une belle chose, plus que le bon sens humain. Celui qui est “droitement délirant” y trouvera le moyen de sa libération. Le poète sera inspiré par le délire des Muses. Le “délire” commun à celui qui aime et à celui qui est aimé est donc une belle chose.

Quant à nous, notre tâche est, pour son compte, de prouver inversement que c’est en vue d’une bonne fortune, la plus grande qui puisse venir des Dieux, que l’un et l’autre ont été dotés d’un pareil délire. La preuve, il est vrai, ne trouvera pas créance auprès des habiles, mais créance auprès des sages. 245b-c.

L’âme, son immortalité.

Socrate rappelle la nature immortelle de l’âme.

Tout ce qui se meut soi-même est immortel en effet, tandis que ce qui, mouvant autre chose, est lui-même mû par autre chose, cesse d’exister quand cesse son mouvement. 245c.

Tout ce qui est principe est inengendré et incorruptible. Le principe est à l’origine de l’existence, mais il ne commence ni ne finit jamais.

Ainsi donc, si ce qui se meut soi-même est principe de mouvement, il n’est pas possible, ni que cela s’anéantisse, ni que cela commence d’exister, sinon, ce serait un affaissement du ciel tout entier, de la génération tout entière ; ce serait leur immobilité, sans qu’ils pussent jamais, d’autre part, avoir à nouveau un point de départ pour leur mise en mouvement et pour leur existence. 245e.

Tout corps mû du dehors un inanimé, tout corps mû du dedans est animé. L’âme est donc inengendrée et immortelle.

Le mythe de l’attelage ailé.

Socrate compare l’âme à un attelage et son cocher, tous pourvus d’ailes. Chez les dieux, chevaux et cochers sont tous bons. Chez les humains, le cocher a l’autorité, mais un des chevaux est beau et bon, et l’autre est de nature contraire. L’âme immortelle s’élève par sa perfection. L’âme précipitée dans un corps forme avec lui un ensemble “qui est un assemblage, [auquel] on a donné le nom de vivant, c’est lui qui possède l’épithète de mortel” (246c).

La procession céleste des âmes.

Les chars des dieux, commandés par Zeus, font route vers le festin. Les âmes doivent lutter pour conserver l’équilibre de leur attelage.

Le lieu qui est au-dessus du ciel.

Les âmes immortelles contemplent le vrai, la Justice, la Sagesse, le Savoir.

Âmes non divines.

Les âmes non divines luttent pour aller se nourrir dans la “Plaine de la Vérité” (248b).

Destinée finale des âmes : A) après la chute et pendant la vie ;

Selon leur degré de vision des réalités véritables durant la révolution de la procession, les âmes conservent ou non leurs ailes et s’incarnent dans différents types d’humains, de l’ami du savoir jusqu’à l’homme tyrannique.

B) après la mort.

La destinée des âmes varie selon que leur vie passée parmi les hommes a été juste ou injuste. Le cycle entier dure dix mille ans. L’âme de celui qui pratique la philosophie durant trois révolutions retrouve ses plumes. Les autres tirent au sort leur nouvelle existence à la millième année.

Le ressouvenir des Idées.

La pensée ailée du philosophe le fait se ressouvenir des réalités supérieures que sont les Idées. Parce qu’il est possédé par un dieu, la foule croit dérangé l’homme qui devient parfait.

Retour à la quatrième forme du délire : le délire d’amour.

Ce délire survient devant la beauté qui participe à la beauté véritable, autrement dit l’Idée du Beau. Il est déclenché par le don du ressouvenir.

Action spéciale de la Beauté.

Certains parviennent à contempler ce qui imite la Beauté, dans des apparitions mystérieuses qui dépassent “ce sépulcre que nous promenons avec nous et que nous appelons le corps” (250c). Leur âme alors se remplume avec le délire d’amour, dû à Éros.

Tandis que Amour ailé est assurément le nom dont l’appellent les mortels, les Immortels, de leur côté, le nomment l’Emplumé en raison de son pouvoir de faire pousser des plumes. 252b-c.

Chaque âme a son Dieu.

Celui qui aime cherche à rendre l’aimé le plus semblable au dieu dont il participe.

Retour sur le mythe de l’attelage ailé.

Socrate revient sur la division de l’âme en trois parties, deux en forme de cheval et une en forme de cocher. Dans l’état amoureux, le cheval bon se retient de bondir sur l’aimé, et le cheval vicieux se porte violemment vers lui. Le cocher, se souvenant de la Beauté absolue, tire sur les rênes pour faire asseoir ses chevaux.

Psychophysique de l’amour : le contre-amour.

Sous la force du désir de celui qui aime, l’aimé, devenu comme l’égal d’un dieu, se remplit aussi d’amour : c’est le contre-amour, venant en miroir de l’amour de celui qui aime.

Hiérarchie de récompenses pour les vrais amoureux.

Selon le régime de vie des amoureux, dans la sagesse et la modération ou dans la recherche grossière des honneurs, les âmes s’allègent grâce à leurs ailes ou finissent sans ailes.

Punition des faux amants.

L’âme de celui qui n’aime pas, atteinte de bassesse de sentiments, finit dans la déraison, roulant autour et sous la terre pendant neuf mille ans.

Envoi.

Socrate conclut sa palinodie, encourageant indirectement Lysias à se tourner vers la philosophie rendant hommage à Éros, plutôt que de prononcer de pareils discours.

La “logographie” : être un écrivain.

Lysias est un logographe, un fabricant de discours. Phèdre décrit les politiques qui craignent d’écrire leur discours par peur du jugement de l’histoire. Socrate évoque ceux qui sont désireux de laisser leurs écrits à la postérité, en prenant la précaution d’indiquer d’abord ceux qui les approuvent. Il n’y a rien de mauvais à écrire un discours, sauf à l’écrire d’une mauvaise manière.

Le mythe des cigales

Avant la naissance des Muses, les hommes ne connaissaient pas le chant. Une fois les Muses nées, ils se mirent à chanter sans plus penser ni à boire ni à manger. Ils cessèrent de vivre sans s’en rendre compte.

C’est de ces individus, une fois morts, qu’est né le peuple des cigales, doté par les Muses de ce privilège de n’avoir, après avoir vu le jour, nul besoin de nourriture, mais tout de suite, sans manger ni boire, de se mettre cependant à chanter jusqu’au terme de la vie ; puis ce terme venu, de se rendre auprès des Muses pour leur faire connaître quelle est celle d’entre elles qui est honorée ici-bas par tel ou tel. [Les Muses] font connaître ceux qui passent leur vie à philosopher et qui cultivent la musique propre aux Muses en question ; elles […] font entendre des accents d’une supérieure beauté. 259c.

Les raisons de parler, de passer sa vie à philosopher, sont donc multiples.

Troisième partie

I.1. Conditions générales d’une œuvre d’art, parlée ou écrite.

Socrate et Phèdre examinent les conditions de la beauté d’une œuvre. Il faut différencier la persuasion, qui fait que la foule juge un discours comme bon ou beau, de la vérité.

2. Application de la rhétorique.

Un orateur peut faire passer un mal pour un bien, s’il suit les opinions de la multitude. Il pourrait faire l’éloge de l’âne en le faisant passer pour un cheval à longues oreilles.

“Sans attache à la vérité, dit le Laconien, il ne pourra jamais y avoir un art de parler authentique !” 260e.

Socrate envisage l’art de parler comme une psychagogie, l’éducation des âmes, comme la pédagogie éduque les enfants. Certains s’adonnent à la controverse dans leurs discours.

Or, le Palamède d’Élée, ne savons-nous pas qu’il parlait avec un art capable de faire apparaître les mêmes choses, à ceux qui l’écoutaient, semblables et dissemblables, unes et multiples, ou encore aussi bien au repos qu’en mouvement ? 261d.

Il s’agit de Zénon d’Élée, connu pour ses paradoxes (Achille et la tortue, la flèche lancée et au repos, etc.). L’art de la controverse vaut pour tout usage de la parole, et pas seulement dans les tribunaux ou les assemblées.

L’illusion se produit lorsque les choses diffèrent peu, et qu’on ignore la vérité. L’art oratoire qui ne se fonde ainsi que sur des opinions est “risible et dépourvu d’art” (262c).

3. Vérification : A) sur l’exemple du discours de Lysias.

Socrate compare le discours de Lysias et le sien, inspiré par les Muses puisqu’il affirme ne “posséder aucun art de parole” (262d). Lysias joue sur le fait que l’amour fait partie des “choses sujettes à contestation” (263c). Il traite “la traversée du sujet […] en nageant sur le dos à reculons” (264a). Lysias part de la fin de son discours, et ne tient pas compte de la “nécessité logographique” (264b) de le structurer.

[Tout] discours doit être organisé à la façon d’un être vivant ; avoir lui-même un corps à lui, de façon à n’être ni sans tête ni sans pieds ; mais à avoir un milieu aussi bien que des extrémités, tout cela ayant, dans l’écrit, convenance mutuelle et convenance avec l’ensemble. 264c.

B) des deux discours de Socrate.

Socrate a fondé son discours sur cette vérité : le délire d’amour est le plus beau de tous. Son “hymne” à l’Amour a été “composé avec autant de convenance que de piété” (265c).

4. Les deux procédés de la méthode dialectique.

La dialectique ascendante part du multiple pour parvenir à l’unité de l’Idée, ici la Beauté liée à l’Amour. La dialectique descendante va de l’unité au multiple, ce qui a permis ici l’éloge et le blâme sur le même sujet de discours.

II. La rhétorique.

La rhétorique est une méthode qui structure le discours : préambule, exposition, arguments, preuves, présomptions, confirmation, confirmation de la confirmation, réfutation, réfutation de la réfutation. Socrate cite quelques orateurs et leurs techniques : Évènos et ses éloges et blâmes détournés, Prodicos et sa juste mesure, Pôlos et son “Musée du style”, Protagoras, etc.

Les discours doivent se terminer par une récapitulation, qui reprend chacun des points évoqués.

Discussion.

Ceux qui ignorent la rhétorique et veulent faire des discours sont comme le non-médecin qui se prétend capable de traiter une maladie, ou comme celui qui, en musique, se dit compétent en harmonie sans la connaître.

III. La vraie rhétorique : 1. ses conditions.

Pour acquérir l’art oratoire, il faut ajouter au don naturel “le savoir et la pratique” (269d). Socrate compare l’art oratoire à l’art médical.

Dans tous les deux, on a une nature à analyser : le corps dans le premier, et l’âme dans le second ; sans quoi, c’est sur la routine et l’expérience seules, mais non pas sur l’art, qu’on devra se fonder, en appliquant à l’un remèdes et régime, pour produire en lui bonne santé et vigueur, pour conférer à l’autre, en lui appliquant propos et pratiques en accord avec la règle, telle conviction qu’on voudra, je veux dire telle excellence. 270b.

L’objet sur lequel porte le discours est l’âme, dans sa “réalité essentielle” (270e). Le type de discours s’adapte ainsi à la nature de l’âme, aux formes qu’elle prend, afin de persuader au mieux.

2. sa méthode.

Puisque la parole a précisément pour fonction de mener les âmes, d’être une psychagogie, celui qui veut être un jour habile à parler doit nécessairement savoir combien d’espèces comporte l’âme […]. Puis, une fois ces distinctions faites, il passera aux discours : il y en a, dira-t-il, tant et tant d’espèces, et chacune est de telle sorte. 271c-d.

Une fois maîtrisé cet accord entre l’âme et le discours, par la pratique et par l’intuition, l’art oratoire atteint la beauté.

Le vraisemblable et le vrai.

Celui qui veut devenir rapidement capable de parler avec art, pour persuader, n’a pas besoin de connaître la vérité, mais de chercher simplement le vraisemblable. C’est le cas dans les tribunaux, pour l’accusation comme pour la défense. Le vraisemblable est “l’opinion de la multitude” (273b). La vraisemblance se produit “dans l’esprit de la multitude en raison d’une similitude avec la vérité” (273d).

Devenir technicien dans l’art de parler nécessite un long travail, pour atteindre le sublime et la beauté supérieure.

Quatrième partie

L’invention de l’écriture : mythe de Theuth.

Socrate et Phèdre examinent enfin les conditions pour qu’un discours plaise à la Divinité. Socrate raconte le mythe de Theuth, dieu égyptien inventeur notamment du calcul, de la géométrie, de l’astronomie et surtout des lettres de l’écriture. Theuth présente au roi Thamous cette dernière invention, qui palliera “le défaut de mémoire et le manque de science” (274e). Le roi y voit cependant un possible dommage.

Et voilà que toi, en ta qualité de père des lettres et de l’écriture, tu te plais à doter ton enfant d’un pouvoir contraire de celui qu’il possède. Car cette invention, en dispensant les hommes d’exercer leur mémoire, produira l’oubli dans l’âme de ceux qui en auront acquis la connaissance ; en tant que, confiants dans l’écriture, ils chercheront au-dehors, grâce à des caractères étrangers, non point au-dedans grâce à eux-mêmes, le moyen de se ressouvenir […]. 275a.

Thamous craint que l’écriture dispense les humains de se servir de la réminiscence, et qu’elle donne l’illusion d’être savant dans le domaine de la science, par l’accès à une “information abondante” (275a).

Enseignement écrit et enseignement parlé.

Socrate compare l’écriture à la peinture : des êtres vivants dans un tableau, ou des discours une fois écrits, ignorent ceux qui les regardent ou les lisent. Le meilleur discours est celui qui est vivant et animé : il s’accompagne de savoir et instruit l’âme de celui à qui il s’adresse spécifiquement.

[On] fait preuve […] d’un zèle beaucoup plus beau, quand, pratiquant l’art dialectique et une fois qu’on aura mis la main sur une âme appropriée à cette pratique, on y plante ou sème des discours qu’un savoir accompagne, discours qui ont ce qu’il faut pour se porter secours à eux-mêmes, ainsi qu’à celui qui les a plantés, et qui, au lieu d’être infructueux, ont en eux une semence de laquelle pousseront, en d’autres naturels, d’autres discours ayant ce qu’il faut pour procurer ce résultat en chaque occasion, impérissablement, et pour donner à qui a obtenu ce résultat la plus grande somme de bonheur qui puisse appartenir à un homme ! 276e-277a.

Retour à Lysias et récapitulation.

Le discours, fondé sur la connaissance de la vérité, doit s’adapter à l’âme qu’il veut toucher. Le mauvais discours tient à l’ignorance de celui qui l’écrit, même s’il plaît à la multitude.

[Les] meilleurs des discours sont ceux qui constituent réellement, à l’usage de gens qui savent, un moyen de se ressouvenir […]. 278a.

La parole étant supérieure à l’écrit, celui qui sait en quoi consiste la vérité sur laquelle s’appuie son discours, est l’ami de la sagesse : le philosophe. Les autres, qui ne s’attachent qu’à leurs écrits, sont poètes, auteurs littéraires ou écrivains législatifs.

Épilogue

Socrate et Phèdre se remettent en chemin. Le premier adresse une prière aux dieux.

“Ô mon cher Pan et vous toutes, autres Divinités de ces lieux ! Accordez-moi d’acquérir la beauté intérieure, et, dans les choses du dehors qui sont à moi, de trouver de l’amitié pour celles du dedans ! Puisse l’abondance de mes biens être de la mesure voulue pour que nul autre homme, sinon le tempérant, ne soit capable ni de les emporter ni de les emmener !” 279 b.

Bibliographie

PLATON, Œuvres complètes, Tome II, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2014.

Voir aussi

« Nous n’aurons pas le Temps – Consolation de l’Éphémère »

« De Socrate à Descartes », Fiche de lecture n° 4, Arrien, Le “Manuel” d’Épictète.

Carnet de Vocabulaire Philosophique : Éphémère ; Épochè ; Impermanence ; Logos.

Doctrines et Vies des Philosophes Illustres : Aristote ; Bergson ; Descartes ; Épictète ; Kant ; Pyrrhon ; Socrate.

Fiches de lecture : Platon : Cratyle, Phèdre ; Sénèque : De la brièveté de la vie, De la Tranquillité de l’âme, De l’oisiveté, Lettres à Lucilius ; Thich Nhat Hanh, Transformation et guérison.

Notes contemplatives : Agamben, Pinocchio ; Berkeley, Principes de la connaissance humaine ; Boèce, La Consolation de Philosophie ; Carroll, Alice au Pays des merveilles ; Conche, Temps et destin ; Confucius, Entretiens avec ses disciples ; Les Cyniques grecs : Fragments et témoignages ; Dante, La Divine Comédie ; De Martino, Morts et pleurs rituels ; Grenier, L’esprit du Tao ; Hadot, N’oublie pas de vivre ; Héraclite, Fragments ; Hume, Enquête sur l’entendement humain ; Kleist, Sur le théâtre de marionnettes ; Lie-Tseu, Les Fables de Maître Lie ; Marcel, Homo viator ; Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, Le Gai-Savoir ; Parménide, Le Poème ; Quignard : Les désarçonnés, les Ombres errantes, Sur le jadis ; Sénèque, Consolations ; Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes ; Tchouang-Tseu, Les Œuvres de Maître Tchouang ; Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.


Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, mai 2023.

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