Luz y Caballero, Los Filósofos [Les Philosophes] – II

Essais Philosophiques CubainsJosé de la Luz y Caballero, Aforismos

Los Filósofos – Les Philosophes – II

Notes de Schelling1 sur Kant.
Or, que la raison, à travers ses lois, connaisse celles du monde ou, pour mieux dire, qu’elle sache que le monde est soumis à des lois, et qu’ainsi l’homme est lié à la Nature, ou appartient au plan tout entier : rien de bon.
L’homme réfléchit également sur lui-même à partir du monde, et dérive ainsi
médiatement des lois de l’univers la connaissance des siennes.
C’est si vrai que Schelling lui-même confesse que pour avoir ne serait-ce qu’imaginé un tel système, il était indispensable d’avoir d’abord été un vétéran dans toutes les sciences (comme le furent Kant et Leibniz), pour sentir ainsi leurs besoins – et la marche de l’esprit humain –, j’ajoute.
Ces formateurs du monde n’ont pas non plus pris en compte, en le sortant du
moi, qu’en parlant simplement d’idéalisme, cela implique déjà une réalité extérieure et vice versa. C’est ici ma façon de voir : la réalité du monde, matière et occasion et démarcation des idées, formées par l’entendement, qui ensuite, en s’élevant, conçoit que la réalité repose sur l’idée antérieure et continue – dans le plan – dans l’esprit [ 2] idéalisme transcendantal – et rationnel dans tous les sens du terme.

Suite des notes de Schelling sur Kant.
Kant niait que les « représentations » soient en elles-mêmes des copies des choses – en attribuant cependant à celles-ci une réalité. Schelling en tire une conséquence : « il ne peut donc y avoir de choses en soi, et pour notre représentation
aucun original en dehors d’elle : dans le cas contraire celle-là ne pourrait pas se combiner avec celui-ci ».
1º Kant a été très cohérent en niant que les représentations soient des
copies, étant donné qu’il démontrait dans l’entendement des opérations et des lois (fonctions) pour les produire.
2º Or, que cela exclut le monde extérieur pour la formation des
idées, rien de tel ; parce que l’élaboration même ou la génération de la compréhension repose sur la matière à travers le monde extérieur offert (à l’intérieur, dans l’homme lui-même ; à l’extérieur, dans le monde).
3º Les objets offrent également une
occasion pour l’exercice des facultés et une démarcation pour confectionner la représentation ; sous le dernier aspect selon lequel les représentations sont des copies, ou pour mieux dire des approximations de la réalité objective (la réalité subjective existe toujours). Et enfin, nul autre que Kant n’a insisté sur la nécessité de considérer « le temps et l’espace comme conditions de l’intuition », et pour cette raison elle a aussi des f3

La coïncidence des deux points de vue qui embrasse toute la page 214 de Schelling (tome I, en allemand) est très remarquable : l’un sur l’interprétation de Kant, et l’autre sur le peu de synthèse dont font preuve certains philosophes négatifs avec tout ce qui a été déclaré de façon réitérée sur deux sujets depuis 1839. Aujourd’hui, je vois pour la première fois cette Dissertation de l’illustre Allemand.
[p.] 215. Il offre une perspective magnifique aux adeptes de Kant, et à la seule vérité digne et due. Mais je ne suis pas d’accord avec la traduction de Kant par Schelling selon laquelle « les lois de l’univers sont des formes originaires de la raison humaine », disant : « ou ce qui revient au même : des manières d’agir de notre esprit », supprimant par conséquent le monde de notre esprit. Cependant, s’il avait dit : la conception du monde, passe.
Si je ne me trompe, l’idée de Kant est que l’esprit forme indéfectiblement des inductions certaines et déterminées, qui sont ses lois, ou le résultat de celles-ci, et que celles-ci ne peuvent être apodictiques. Bonne ou mauvaise, telle est l’idée de Kant.

Suite des notes à Schelling sur Kant : p. 224, in fine.
On ne peut donc pas concéder absolument que « l’objet, primitivement, soit, en tant que tel, par précision, fini ». Proprement l’objet est ce qui s’offre à la contemplation – et ainsi il peut être fini ou infini primitivement. Je vois bien ce que Schelling me dira que pour être perçu par notre entendement…

(À la page 216 et 217, in fine) [Suite]
Il peut très bien s’agir « des lois de la nature, des manières d’agir de notre esprit », (ou pour mieux dire des manières d’agir de notre esprit, des lois de la nature) conditions sous lesquelles devient possible notre intuition ou notre contemplation sans en inférer l’origine du monde, de l’entendement humain, et cependant « la Nature n’est rien d’autre qu’une action permanente de l’Esprit infini », entendu comme
Dieu. L’esprit humain…4 en harmonie avec la Nature ; ainsi, ses lois lui ont été données, pour connaître les lois de la Nature ; l’une de ces lois étant l’assujettissement aux conditions de temps et d’espace pour pouvoir exercer les autres au moyen desquelles il en vient à la connaissance du monde et de soi-même.
On remarque chez
Schelling la détermination à tout conformer à son idée globale d’identification. Mais si nous concédons que l’esprit humain, parce qu’il fait partie du tout, qui est le tout de l’Esprit, nous en aboutirons logiquement à ce que n’importe quelle partie du monde est le monde.

Schelling est la personnification de son système. En lui se trouve l’identité dans la science. Il tient de Platon et d’Aristote. Influence forcée de son système sur toutes les sciences et notamment sur les sciences naturelles.
Lui et Kant ont été les étoiles de première magnitude dans le ciel de la science moderne.
La place de Hegel, particulièrement dans l’histoire, est celle de Krause
5. Il doit une grande partie de sa fortune à l’idée de progrès.
Schelling est essentiellement un fécondateur.
Revenir des régions élevées de la philosophie allemande vers les hauteurs françaises ou écossaises, c’est comme forcer un mathématicien
leibnizien à descendre dans l’arithmétique ou l’algèbre, bonnes et nécessaires en elles-mêmes, mais qui ne parviennent pas à satisfaire ses besoins impérieux. C’est ici la loi du progrès.

Ils étaient à mille lieues, à La Havane (en 1840), de comprendre ce qu’était l’absolu de Schelling, en imaginant qu’il enseignait que la science devait commencer par Dieu. Maintenant que je lis son Idéalisme transcendantal, je me confirme dans le concept que je me formais alors ; sa procédure est d’autant plus éminemment relative qu’elle part du MOI tanquam a radice6 ; et ainsi il est, en bref, aussi sensualiste, ou pour mieux dire, aussi fondé dans la sensation que Locke. Notons que Gioberti7 considère les panthéistes comme essentiellement sensualistes ; et cela conforte ma façon de voir.

Seul Dieu est plus profond que le moi de Fichte.
Point de départ, échelon, instrument et base de la connaissance humaine, dont le terme est interminable. Dieu, principe et fin de toute investigation.
N.B. Le moi mémorable de Fichte n’a généralement pas été compris de cette manière.
De plus il se caractérise comme éminemment logique, voire chronologique.
Cela ne veut pas dire, cependant, qu’il contient l’ensemble, ou toute la synthèse qui constitue un système philosophique.

1º En quoi consiste véritablement le système de Krause ?
2º Est-ce réellement un système ?
3º Suffit-il que les idées soient exactes et originales pour constituer un système ?
4º Quel est le biais que les sciences ont pris le plus naturellement en vertu des idées de Krause ? Ses points de vue mathématiques.
À propos de la langue.
Son analyse du
moi.
Morale. Coïncidence de la sienne avec celle de saint Paul, saint Augustin et autres P.P
8., ainsi qu’en théologie dogmatique.
Est-il facile, de ne pas dépasser, même d’atteindre les P.P. dans ces matières ?
Cependant, Krause donne une vigueur scientifique aux démonstrations
kantiennes.

J’admire Krause pour Ahrens ; mais Schelling est du genre des fécondateurs ; « Merci à celui qui nous a apporté les poules. »
Ceux qui complètent et qui arrondissent viennent plus tard ; et de cela nous tenons tous un peu.

Journal intime.
Je suis désolé pour
Ahrens, pour Sn. Millán et la jeunesse de La Havane.
Les élèves de
Malebranche et de Spinoza restent sur leur faim après l’idée d’Ahrens ; avertissant que c’est également faux.
On ne peut pas décrire un système dans un espace court, mais les penseurs savent toujours le caractériser à grands traits.
Il n’attaque pas
Locke pour sa part vulnérable : Gruppe a fait mieux, et même Demaistre, malgré son exagération.
La citation de
Berkeley est l’une des choses les plus creuses de ce philosophe, qui est d’autre part un grand penseur.
L’exposé sur la contestation de Leibniz est une lapalissade.
L’œil, bien qu’il n’ait pas encore vu, personne ne lui refusera la faculté de voir, etc.
Le sage Damiron
9 a passé deux jours à parler à la Sorbonne autour de Spinoza, allant jusqu’à nous dire de quelle façon il s’asseyait et se couchait, sans en dire jamais le mot10, sans le caractériser. (C’était en mai 1844.)
La meilleure introduction (pour nous) pour connaître
Spinoza est l’article de J. Reynaud11 dans L’Encyclopédie nouvelle.

Ce matin. Leçon 6. de Ahrens. C’est un tantinet amplificateur et bouleverse quelque peu l’ordre de l’exposé, puisqu’il se met à faire le compte rendu des inconvénients de l’application du matérialisme avant d’apporter les preuves du spiritualisme.

Demaistre : ses raretés.
« Jamais l’orgueil n’a dit : « j’ai tort »…
« Le miroir de l’intelligence, c’est le
nombre12 ».
« L’intelligence ne se prouve à l’intelligence que par le
nombre.
« La Géologie, c’est le paradis de l’orgueil.
« L’ordre est aussi visible que le désordre.

Cette maxime de Demaistre est terrible : Tout châtiment qui n’exige pas la présence du patient est tolérable13. Si l’application est l’exil, c’est insoutenable.
Elle remonte à la destruction de
Port-Royal et à la dispersion de ses membres au temps de Louis XIV ; Même ainsi c’est difficile à avaler.
Et le retour à l’
exil : sans religion ni philosophie, l’exil est l’enfer de la vie. Je crois que Demaistre y a goûté quelque peu.
Mais quand ils touchent à son
sancta-sanctorum, il s’effondre. C’est le Dieu qui l’inspire — et le diable qui le séduit —, origine de ses succès, qui sont nombreux, et de ses égarements, qui ne sont pas rares.
Cependant, je le vénère en tant que penseur et je l’admire en tant qu’écrivain.

Balmes14 a un talent analytique, comme il y en a peu, et cependant, il est généralement malheureux lorsqu’il applique un exemple à un principe ou vice versa.
Il semble contradictoire qu’un talent discriminateur par essence commette précisément cette faute. Telles sont les particularités de l’esprit humain : et Balmes lui-même se scandalise jusqu’à le scander lorsqu’il entend de la bouche de
Schelling qu’il existe des préoccupations, filles naturelles de l’entendement : une vérité qui passe pour être triviale parce qu’elle est évidente, et qui peut-être ne l’aurait pas choqué dans la bouche d’un autre.
Balmes, avec toute la supériorité de son esprit, ne peut pas être impartial avec la philosophie protestante : cela demande du cœur, et le sien a toujours été de proue devant tout Allemand.
Cela me fait mal à l’âme d’être juste parce que j’aime et vénère Jaime Balmes, mais il ne pouvait pas être indépendant.
La même chose arrive à Gioberti, et pour une raison identique à Descartes.
Balmes, pour être cohérent, devrait faire la guerre à la fois contre lui et contre Luther. Car Descartes est le Luther de la philosophie et Luther le Descartes de la religion.

Il est inévitable d’être juste et impartial – but fair15 – : sans cela, il n’y a pas de philosophie possible ; Il n’y a pas ce jugement supérieur et cette âme tranquille qui observe et regarde l’ensemble des choses – il n’y a pas de synthèse.
D’après la description que Balmes fait (dans sa
Filosofía elemental) de la philosophie allemande, il n’est pas possible que la jeunesse se fasse une idée exacte, ni même lointaine : en partie, elle se forme contraire à la réalité, ce qui est pire.
S’il y a au milieu des
protestants, il ne faut pas compter sur Balmes : cela nous peine de le dire, mais il faut être juste ; Il extrait lui-même la vérité de certains aveux – voyez ce qu’il dit du discours de Schelling de 1841.

Sans le vouloir, il fait la véritable histoire de la réforme.
Page 44, tome I. Son point de vue est vrai : cela ne rabaisse pas le protestantisme ; mais peut-être, ou peut-être pas, cela le justifie.
Les poètes allemands sont les pères du Protestantisme. Son berceau est la nation de beaucoup de philosophes synthétiques, et les plus synthétiques.

À propos de Balmes. « Les Biens du clergé ». À la page 5a. in fine.
La vérité est souvent en conflit avec les
faits dans l’ordre moral : comme souvent c’est le droit ou le devoir. Sans néanmoins enlever aux faits (bons ou mauvais) leur caractère d’existence, dans ce sens ce sont des vérités.
Je voudrais plus de rigueur scientifique dans l’exposé, et ici Balmes souffre de la même infirmité qu’il attribue à la
pseudo-philosophie.
Notons un certain francisme dans les généralisations, tantôt inexactes, tantôt suffisantes.
Locutions parfois très belles, parfois
catalanement16 défectueuses.
Il n’est pas heureux dans les exemples, comme je l’ai déjà remarqué dans son ouvrage
El Criterio17.

Le père [Balmes] n’est pas celui qu’on m’avait dit, mais après tout, il parle européen, ce qui est rare en Espagne.
Il est connu pour être un disciple des Français. Et qui ne l’est pas en Espagne ? Seule la redondance est espagnole, même si les Français ne sont pas en reste. Cependant, il s’est beaucoup amélioré, comme le montre sa
Filosofía fundamental y elemental18. J’ai senti sa mort dans mon âme. Il est de loin supérieur aux Français d’aujourd’hui.

Suite des « Notes à Balmes sur les propriétés du clergé ».
(Page 5.) Le plus singulier, c’est que de telles propositions lui échappent, précisément dans le but de défendre du
droit contre le fait.
Faute d’avoir trop prodigué des maximes – et même si je n’en suis pas avare, puisqu’en matière philosophique il faut
parfois aspirer au style aphoristique19, cependant, il ne faut pas les accumuler, mais les semer. Si elles sont analogues, cela suffit ; Si elles sont différentes, elles déconcertent.
Naïf et tranquille, ce me semble.

Il est un auteur20 qu’un certain groupe a eu l’audace de qualifier d’infâme, et c’est le même qui mérite d’être qualifié d’éminemment religieux.

Note sur le Poète d’Emerson21.
En quoi se distingue-t-il du philosophe ? Celui-ci découvre les
choses – l’autre l’expression.

Bibliographie

LUZ Y CABALLERO J. (de la), Obras – Aforismos, La Habana, Ediciones Imagen Contemporánea, 2001.


Traduction et annotations : Patrick Moulin, MardiPhilo.fr, mars 2024.

Haut de page

Essais Philosophiques CubainsJosé de la Luz y Caballero, Aforismos

Philosophie, Filosofía, Cuba, #SamediCestPhilosophieCubaine, #SabadoEsFilosofíaCubana, José de la Luz y Caballero, Aforismos, Aphorismes, Articulo, Article, Filósofos, Philosophes

José de la Luz y Caballero, Los Filósofos [Les Philosophes] – II #Philosophie #Filosofía #Cuba #SamediCestPhilosophieCubaine #SabadoEsFilosofía #Luz #Caballero #Aforismos #Aphorismes #Articulo #Article #Filósofos #Philosophes

Notes

  1. Friedrich Wilhelm Joseph (von) Schelling (1775-1854) est un philosophe allemand, grand représentant de l’idéalisme allemand et proche du romantisme. Disciple de Kant et de Fichte, il tente de dépasser la philosophie transcendantale en élaborant son propre système qui rompt avec la pensée de ses maîtres, mais qui se rapproche du spinozisme, la Naturphilosophie ou philosophie de la nature. ↩︎
  2. Passage en blanc dans le texte d’origine. ↩︎
  3. Probablement “des fonctions”. (note n° 17, p. 118). ↩︎
  4. Manque deux mots dans le manuscrit original (note n° 19, p. 120). ↩︎
  5. Karl Christian Friedrich Krause (1781-1832) est un philosophe allemand connu pour avoir développé la théorie du panenthéisme. ↩︎
  6. Tanquam a radice : comme racine. ↩︎
  7. Vincenzo Gioberti (1801-1852) est un philosophe et homme politique italien. ↩︎
  8. P.P. : “Padres de la Iglesia” [Pères de l’Église] (note n° 21, p. 122). ↩︎
  9. Jean-Philibert Damiron (1794-1862) est un philosophe français. ↩︎
  10. En français dans le texte. ↩︎
  11. Jean Ernest Reynaud (1806-1863) est un philosophe et homme d’État français. L’Encyclopédie nouvelle : Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines au XIXe siècle est une encyclopédie française en huit volumes écrits par Pierre Leroux et Jean Reynaud et publiés de 1834 à 1847 par Charles Furne, également éditeur de Balzac. L’article de Reynaud sur Spinoza est disponible en ligne (Encyclopédie nouvelle, volume VIII, p. 253-273). ↩︎
  12. En français dans le texte. ↩︎
  13. En français dans le texte. ↩︎
  14. Jaime Balmes y Urpiá (1810-1848) est un écrivain religieux espagnol parmi les plus influents du XIXe siècle. Malgré la brièveté de sa vie, il laisse une œuvre volumineuse. Ses traités philosophiques, en réfutant les erreurs de la philosophie moderne et en s’appuyant sur la scolastique chrétienne, influencèrent notablement la formation du néothomisme.
    ↩︎
  15. En anglais dans le texte. ↩︎
  16. Acatalanadamente : néologisme soulignant l’origine catalane des locutions. ↩︎
  17. Jaime Balmes, El Criterio, texte intégral en espagnol sur le site de la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes. ↩︎
  18. Jaime Balmes, Filosofía fundamental, tome I, texte en ligne. ↩︎
  19. Aphoristique : Qui tient de l’aphorisme, par le fond ou la forme. ↩︎
  20. Michelet (note n° 33, p. 127). ↩︎
  21. Ralph Waldo Emerson (1803-1882) est un essayiste, philosophe et poète américain. ↩︎

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.