Bac Philo – I.1. La Conscience – Fiche n° 3.a. Vous avez demandé la conscience, ne quittez pas

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Modèles d’Homonculus sensoriel et moteur (Natural History Museum, London) – source : Wikipedia

Les leçons de Philosophie – Bac Philo – Partie I. Le Sujet – Chapitre 1. La Conscience – Fiche n° 3.a. Vous avez demandé la conscience, ne quittez pas

Fiche n° 3.a. Vous avez demandé la conscience, ne quittez pas

Nous avons examiné dans la partie précédente les conceptions de la conscience selon différents philosophes. Cette démarche était quelque peu similaire aux méditations cartésiennes, qui examinait ce qu’est la conscience dans l’esprit – ou l’âme -, tout en se détachant des sens, donc du corps physique. Si nous inversons cette démarche visant l’esprit pour la porter sur le corps, qu’en est-il d’une conscience “biologique”? Y a-t-il un endroit en nous où siègerait physiquement la conscience ?

Conscience sans neurosciences n’est que ruine de l’âme, ou pas…

Les neurosciences, sciences qui étudient le système nerveux et son fonctionnement, sont apparues vers la fin du XIXe siècle, avec notamment les recherches de Broca, médecin qui localisa des aires cérébrales responsables du langage (aphasie de Broca, perte des fonctions du langage).

Aujourd’hui, les neurosciences cognitives reprennent ces anciennes questions pour tenter de leur apporter des réponses fondées sur l’expérimentation. Leur principe de base est qu’à tout « état mental » (vécu, subjectif) correspond un « état neural » (une configuration du cerveau, observable, objective). Leur programme de recherche consiste donc à identifier les corrélats neuronaux de la conscience, c’est-à-dire les processus physiques qui accompagnent telle ou telle manifestation de la conscience. Fédération pour la Recherche sur le Cerveau, La Conscience.

Cette recherche de la localisation des activités mentales a commencé dès l’Antiquité avec Aristote, qui pensait que leur siège était le coeur. Plus tard, Descartes a émis l’hypothèse d’une partie du cerveau liant l’âme et le corps (la glande pinéale). Les neurosciences ont considérablement évolué avec les approches en lien avec l’informatique (cybernétique, intelligence artificielle) et l’imagerie médicale. Voici quelques exemples de ces recherches.

Tegmentum, insula et cortex cingulaire

En 2016, des chercheurs américains ont identifié des zones dans le cerveau qui pourraient être liées à la conscience (voir l’article Cerveau : la conscience localisée par des scientifiques de Harvard). La notion de conscience en langue anglaise (consciousness) se divise en deux concepts : l’éveil et la conscience (respectivement arousal et awareness dans l’article).

[Consciouness :] State of somebody when awake, aware of the immediate environment, and able to use his intellect. Harrap’s Dictionary of Medicine and Health.

[État de quelqu’un quand il est éveillé, conscient de son environnement immédiat, et capable d’utiliser son intellect.]

La recherche de Harvard a lié l’état d’éveil (arousal ou awakening) à une région précise du tronc cérébral (partie du système nerveux reliant le cerveau à la moelle épinière). Cette région, le tegmentum pontique, était associée au coma (lésions du tegmentum chez 10 sur 12 patients inconscients). Les chercheurs ont identifié deux aires du cortex, travaillant ensemble en réseau avec le tegmentum du tronc cérébral, pour former la conscience (consciousness) : l’insula antérieure et le cortex cingulaire prégénual. La vérification de ces résultats par des IRM (imageries à résonnance magnétique) sur 45 patients en coma ou en état végétatif a montré que le réseau des trois régions était rompu. La conclusion de ces recherches est que ce réseau physique joue un rôle dans la conscience humaine.

Trois remarques peuvent être formulées au vu des recherches décrites dans cet article.

D’une part, il existerait donc bien un lieu, un endroit du cerveau, en lien avec la conscience, sans pouvoir affirmer ici si elle y demeure ou si elle y transite.

D’autre part, la structure de l’article souligne la place de la langue anglo-saxonne dans la définition de la conscience (arousal et awareness). L’usage de cette langue a-t-elle eu une influence sur l’orientation des recherches ?

Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé. Pascal, Pensées 553.

Nous pourrions ici faire l’hypothèse que les termes utilisés dans une langue spécifique ont pu jouer un rôle dans l’orientation des recherches : “nous cherchons où se trouve l’éveil, et où se trouve la conscience, parce que, avec nos mots, nous concevons la conscience comme constituée de deux parties”. Pourrions-nous être ici dans le risque d’erreur lié au langage, souligné par Descartes :

Au reste, parce que nous attachons nos conceptions à certaines paroles afin de les exprimer en bouche, et que nous nous souvenons plutôt des paroles que des choses, à peine saurions-nous concevoir aucune chose si distinctement que nous séparions entièrement ce que nous concevons d’avec les paroles qui avaient été choisies pour l’exprimer. Descartes, Principes de la philosophie, I, art. 74.

Il ne s’agit pas bien entendu de remettre en cause la validité de ces recherches, car nous sommes à mille lieues d’en avoir les compétences et la légitimité. Attardons-nous juste à réfléchir sur l’impact de notre représentation du monde au travers des mots, du langage que nous employons pour le signifier (la notion de langage sera abordée dans le thème de la culture).

Enfin, notons que, dans cet article, la conscience est définie par ce qu’elle n’est pas (ou n’est plus) : les résultats des expériences ont reposé en grande partie sur des observations auprès d’êtres humains dans le coma ou dans un état végétatif, autrement dit “inconscients”. Ce qui est observé est un négatif (au sens photographique ou radiographique) d’une image, une ombre qui pourrait rappeler celles qui se projettent sur la caverne de Platon ou des empreintes témoignant d’une présence disparue.

What is Consciousness ?

C’est aussi la notion d’empreintes qui est le sujet de l’article What is consciousness de Christof Koch (“Qu’est-ce que la conscience ?” – voir bibliographie). La conscience est définie ici comme tout ce dont nous faisons l’expérience (approche empiriste, cf. la partie précédente sur les philosophes et la conscience). La recherche porte sur les “corrélats neuronaux de la conscience”, c’est-à-dire les mécanismes minimaux mis en oeuvre conjointement pour la moindre expérience consciente. L’observation des lésions isolées de la moelle épinière ou du cervelet ne montrent pas d’interruption de la possibilité d’expérience consciente. L’apparition de la conscience nécessite des interactions entre différentes parties du cerveau, impliquant le cortex cérébral.

L’article décrit l’expérience suivante, qui consiste à présenter des stimuli visuels différents : l’image de Donald Trump est présentée à l’oeil gauche, et celle d’Hillary Clinton est présentée à l’oeil droit. Il se produit une “rivalité binoculaire” : le cerveau, soumis à des données ambiguës, n’arrive pas à décider s’il voit Trump ou Clinton. L’imagerie cérébrale montre l’activité de plusieurs zones cérébrales – les “corrélats neuronaux de la conscience” -, situées dans la partie postérieure du cortex (lobes pariétal, occipital et temporal). Une observation comparable est faite lors de la stimulation de ces zones à l’aide d’électrodes lors d’interventions de neurochirurgie : les patients éprouvent des sensations diverses (flashs lumineux, hallucinations visuelles ou auditives, etc.). Une autre expérience, faite en envoyant un courant magnétique intense dans le crâne, montre des réactions du cerveau à l’électroencéphalogramme, même chez certains patients inconscients. Toutefois, toutes ces expériences montrent une activité cérébrale, mais est-il possible de parler de conscience ?

Deux théories sur la conscience sont évoquées en fin d’article : l’espace de travail neuronal global (GNN : global neuronal workspace) et la théorie de l’information intégrée (ITT : integrated information theory). Le GNN se rapproche d’un modèle basé sur l’informatique : la conscience émerge lorsqu’une information entrante est diffusée au travers d’un réseau de neurones, situé dans les lobes frontal et pariétaux. L’information devient disponible globalement et émerge à la conscience. L’ITT part de l’expérience elle-même, composée de différentes propriétés et parties non séparables (comme les images qui composent un film). Cette complexité, qui s’unifie dans l’expérience, va correspondre à un certain niveau de conscience. Pour mieux saisir cette théorie, nous pourrions faire appel aux “petites perceptions” de Leibniz (cf. les philosophes et la conscience) : si chaque goutte d’eau de mer contribue à créer une vague, qui contribue elle-même à créer le bruit des vagues, nous n’aurons conscience que du bruit “réuni” de ces gouttes formant des vagues, et pourtant chaque gouttelette est indispensable pour créer ce bruit.

Notons que l’approche GNN (informatique) postule que les ordinateurs du futur pourront avoir la capacité d’être conscients, mais que l’ITT que la conscience ne peut pas être informatisée compte tenu de sa sophistication, de sa complexité et du fait que la conscience doive être construite dans la structure du système.

L’article conclut sur l’immense effort qu’il faudra encore déployer pendant des décennies, malgré toutes ces observations et théories, pour réussir à expliquer “comment un organe de trois livres, ayant la consistance du tofu, peut exprimer la sensation de la vie”.

“Conscience, où es-tu ?”

Pour terminer cette partie consacrée à l’étude de la conscience dans les neurosciences, nous allons évoquer l’article Consciences, où es-tu ? de Sébastien Montel, professeur de psychopathologie et neuropsychologie.

Mais en fait, la conscience, qu’est-ce que c’est ? La définir n’est pas simple. Les Anglo-Saxons utilisent même deux termes distincts, l’éveil (arousal) et la conscience proprement dite (awareness). Aujourd’hui, on s’accorde à dire que la conscience est cette capacité de nous rapporter subjectivement nos propres états mentaux. Les recherches actuelles montrent que chaque aspect de notre pensée, y compris la prise de conscience, est le résultat d’opérations chimiques et électriques dans le cerveau. Montel S., Conscience, où es-tu ?

Nous retrouvons la différenciation du terme “conscience” en anglais : le langage, et donc la manière de concevoir et d’exprimer le concept de conscience utilise “deux termes distincts”. Soulignons surtout que l’article s’intéresse à un aspect de la conscience : la “prise de conscience”, autrement dit, la phase qui suit la stimulation du cerveau par une information et qui correspond à la perception effective de cette information par le cerveau, qui en “prend conscience”.

Une première expérience consiste à présenter un mot écrit en l’intercalant de façon très brève entre deux images. Selon la durée d’affichage, le mot est perçu par le système visuel soit de manière subliminale, c’est-à-dire invisible à la conscience, ou soit de manière supraliminale : “le mot accède à la conscience, et l’observateur affirme l’avoir vu”. Lorsqu’il y a accès à la conscience, il se produit “un embrasement intense et soudain des régions pariétales et préfrontales des deux hémisphères du cerveau”. Cette observation rappelle la notion d’espace de travail neuronal global (GNN : global neuronal workspace), que nous venons de voir précédemment : l’expression utilisée dans cet article est “l’espace de travail conscient”. La notion d’accès à la conscience sera aussi évoquée ci-après dans le domaine des sciences cognitives.

Une autre expérience a été réalisée auprès de patients épileptiques, dont l’activité cérébrale était mesurée avec des électrodes intracrâniennes, lors de la présentation visuelle de mots. Les résultats ont montré deux temps différents dans le phénomène de la perception.

Le premier temps est toujours inconscient, et dure à peu près deux dixièmes de secondes. Le second temps n’est pas automatique, et c’est lui qui correspond à la prise de conscience. Montel, Op. cit.

L’accès d’une information à la conscience n’est ni instantané, ni automatique : elle nécessite un “temps de trajet”. Sans que cette expérience ait pu localiser précisément la conscience, les chercheurs ont identifié un “chemin d’activité cérébrale”, qui suit un mouvement depuis l’arrière du cerveau vers l’avant, puis de l’avant vers l’arrière.

Une dernière expérience est décrite dans cet article, réalisée auprès de nourrissons âgés de deux mois. L’observation montre la même série d’étapes que chez l’adulte : les images sont d’abord traitées, puis elles sont suivies “d’un embrasement global du cerveau”. Cette “prise de conscience” n’est toutefois pas totalement comparable à celle de l’adulte, compte tenu d’un niveau de maturité cérébrale différent. Si ces phases de la prise de conscience d’une information sont bien présentes dans le fonctionnement cérébral, il reste impossible de fournir “une explication scientifique complète et satisfaisante de la conscience”. La conscience ne se réduirait donc pas à un support physique, même aussi complexe que peut l’être notre cerveau.

Les sciences cognitives

Nous allons examiner ici deux approches différentes dans le domaine des sciences cognitives : celle des fonctionnalistes de Daniel Dennet, et celle des physicalistes de Ned Block, tous deux philosophes.

La célébrité des homoncules chez les fonctionnalistes

[Fonctionnalisme :] Théorie qui met l’accent sur les caractères fonctionnels, sur l’usage effectif de ses objets plutôt que sur leur structure ou leurs propriétés statiques. Lalande.

Le fonctionnalisme va s’intéresser au “comment” fonctionne l’esprit, tel une machine ou un ordinateur. C’est une conception similaire à celle de l’espace de travail neuronal global (GNN : global neuronal workspace) que nous avons vu précédemment. Le fonctionnalisme ne s’intéresse pas au support ou au moyen concret qui permettent ce fonctionnement (le cerveau dans l’exemple de l’esprit).

Selon les fonctionnalistes, l’esprit est “l’ensemble des relations de cause et d’effet des états mentaux internes” (Laberge). La théorie fonctionnaliste comprend trois phases (nous prendrons ici l’exemple de la douleur liée à une brûlure)  :

  • Les entrées (inputs) qui causent des états internes ou états mentaux : je pose ma main sur une plaque brûlante – l’entrée est la stimulation calorique ;
  • Les états internes, interactions entre états mentaux et causes : je ressens la chaleur et la douleur ;
  • Les sorties (outputs) qui sont les actions ou comportements produits, causés par les états mentaux : je retire ma main de la plaque brûlante.

Pour Dennet, une stimulation ne parvient à la conscience que si elle parvient à être diffusée de manière globale dans le cerveau : elle devient “célèbre” :

L’idée de base est que la conscience ressemble davantage à la célébrité qu’à la télévision : ce n’est pas un “moyen de représentation” spécial dans le cerveau au sein duquel des événements porteurs de contenus devraient être convertis afin de devenir conscients. (…) Au lieu de changer de moyens ou d’aller quelque part afin de devenir conscients; les contenus jusqu’ici inconscients, en restant là où ils sont, peuvent obtenir quelque chose qui ressemble plutôt à la célébrité dans la compétition avec d’autres contenus recherchant la célébrité (ou simplement trouvant potentiellement la célébrité). Et, selon cette approche, c’est cela même qu’est la conscience. Dennet D., Are we explaining consciousness yet ?

Dennet évoque plus loin la conception du cerveau “comme composé de hordes de démons (ou homoncules)” [Les homonculus moteur et sensoriel sont issus des expériences de stimulations électriques du cortex par le neurochirurgien canadien Wilder Penfield : ils décrivent la place occupée par les parties du corps selon l’emplacement sur le cortex]. On pourrait alors imaginer que ces homoncules pourraient élever l’un d’eux au rang de célébrité. Toutefois ceux-ci ne peuvent avoir assez d’intelligence pour concurrencer l’intelligence du cerveau qui les héberge. La célébrité est plus de l’ordre de l’influence, du processus qui va parvenir à accéder à la conscience parce qu’il est le plus influent. Une idée devient “féconde” : à l’instar du spermatozoïde, seul parmi ses condisciples à être choisi pour féconder l’ovule, un contenu, un processus parmi tous les autres, devient célèbre et donc conscient. Nous pourrions aussi prendre la comparaison suivante : dans une émission de télévision où les candidats chanteurs potentiels sont choisis – ou non – par un jury, lors d’une audition à l’aveugle, seuls quelques candidats parviennent à l’étape suivante où ils chanteront face à face avec le jury. Ils deviennent célèbres, connus par les consciences, pour un temps.

Cette théorie conçoit donc l’esprit comme ayant un fonctionnement comparable à celui d’une machine, qui traite des informations et produit des actions en réponses. Un exemple de cette conception est la machine de Turing : cette machine (qui n’est qu’une conception abstraite à ce jour) traite, telle une personne virtuelle, des données au moyen d’algorithmes pour produire des réponses adaptées. Un simulateur de machine de Turing est disponible sur le lien suivant : https://files.inria.fr/interstices/machine-turing/index.html

Vous pouvez essayer en choisissant le programme “Inverser les 0 et 1”, saisir la valeur binaire “1010”, la machine rendra après l’exécution du programme le résultat “0101”. Il s’agit là bien sûr d’un fonctionnement très simple, mais que notre esprit pourrait exécuter lui-même, une fois la procédure rendue “célèbre” à notre conscience.

Les objections à cette théorie ont été nombreuses. Elle a été surnommée “fonctionnalisme de la boîte noire”, car elle ne dit rien des états internes, des aspects subjectif, qualitatif des expériences singulières que nous pouvons faire.

Voici une expérience qui montre ces aspects : un accord de guitare est jouée une première fois, puis une des notes composant cette accord est jouée seule, enfin, le même accord est joué à nouveau. L’inscription dans la mémoire de la note jouée seule modifiera qualitativement l’expérience subjective lors de la deuxième exécution de l’accord : l’harmonique produite par cette note sera perçue consciemment alors qu’elle ne l’était pas la première fois.

Une autre objection appelée “l’argument de la chambre chinoise” apporte une réfutation forte du fonctionnalisme. Un homme est placé dans une pièce fermée qui dispose d’une fente dans le mur où il reçoit des questions sur des fiches et doit y répondre en glissant des fiches par la fente. Les questions et les réponses sont en chinois, l’homme ne parle pas chinois. Toutefois, il dispose d’un manuel de conversion, qui permet d’associer certains ensemble de signes chinois (questions) à d’autres (les réponses à ces questions). Il traite donc des entrées (les questions en chinois) et produit des sorties (les réponses en chinois). De l’autre côté de la pièce, des chinois pourraient croire qu’il y a un chinois dans la pièce fermée, mais ce n’est pas le cas. L’homme ne parle pas le chinois, il associe des signes sans comprendre leur signification. Il n’y a pas ici de “conscience” du contenu de l’information (c’est du “chinois” pour l’homme, au propre et au figuré).

La vision aveugle ou “blindsight” des physicalistes

Les physicalistes cherchent à connaître ce qui se passe concrètement dans le cerveau lors du phénomène de la conscience : aires cérébrales impliquées, interactions entre les différentes zones du cerveau. Contrairement aux fonctionnalistes qui n’examinent que le circuit de causes à effets qui permet à une information d’accéder à la conscience, sans se préoccuper du support physique de ce circuit d’entrées et de sorties, les physicalistes cherchent ce support physique.

Pour Block, l’approche physicaliste est une théorie de la conscience-phénomène, et l’approche fonctionnaliste , une théorie de la conscience-accès, et on peut faire l’expérience de la première sans la seconde, elle en est la condition non suffisante. O. Putois, Op. cit.

Ned Block est professeur à New York et du courant des physicalistes. Nous avons vu précédemment que les fonctionnalistes décrivaient l’accès à la conscience par la “célébrité” acquise par une information, par sa diffusion globale dans le cerveau. Une expérience démontre la possibilité qu’une information, un phénomène soit clairement identifié par le cerveau, sans pourtant que ce phénomène accède à la conscience : c’est l’expérience de vision aveugle (blindsight).

Les sujets atteints de certaines lésions aux cortex visuels primaires ont certaines parties de leur champ visuel totalement obscurcies. Pourtant, si l’on présente un signal lumineux dans ces zones et qu’on les interroge sur la présence ou l’absence d’une lumière, ils “tombent juste” dans la plupart des cas. Autrement dit, ils ont bien vu le signal lumineux, mais sans en avoir aucune conscience perceptive. Ils ont vu sans voir. FRC Neurodon, La Conscience.

Block décrit aussi l’exemple du bruit d’un marteau, que nous percevons soudainement “durant une conversation intense), et dont nous nous rendons compte que ce bruit durait déjà depuis un certain temps, sans que nous n’en ayons eu conscience, sans qu’il ait eu accès à notre conscience, alors trop affairée à sa conversation. Ces exemples montrent que certaines parties du cerveau peuvent percevoir quelque chose sans que nous en ayons conscience : c’est la description des “petites perceptions” de Hegel, lorsqu’il évoque le bruit des vagues, que nous entendons consciemment, sans pour autant percevoir au niveau de notre conscience les multiples petites bruits composés de chaque vague ou gouttes d’eau. Le phénomène se produit, sans qu’il ait accès à la conscience. Il y a donc corrélation entre certaines zones cérébrales actives et la conscience, mais cette dernière nécessite des interactions particulières entre ces supports physiques pour que l’information y ait accès.

La conscience n’est pas le cerveau

Les différentes théories que nous venons d’examiner montrent que la conscience ne peut être limitée ni à un circuit, ni au seul support physique qu’est le cerveau. La dernière approche que nous allons étudier, dans cette partie consacrée aux neurosciences et aux sciences cognitives, va rappeler celle de la phénoménologie (Husserl, Sartre) car elle présente la thèse d’une conscience qui serait extérieure à notre cerveau.

Alva Noë, est professeur de philosophie à Berkeley et travaille sur les théories de la perception et de la conscience. Sa thèse (voir l’article de T. Lepeltier, La conscience est-elle dans le cerveau dans la bibliographie) est que la conscience n’est pas une chose qui réside en nous. Nous voyons ici que la substance/chose pensante de Descartes risque d’être mise en doute hyperbolique. La conscience est “une manière d’être dans le monde” (à comparer avec le concept de Dasein de Martin Heidegger) : nous sommes des êtres vivants, dotés d’un cerveau, et surtout en interaction avec notre environnement. Il serait donc impossible d’expliquer la conscience dans le cerveau, comme est expliqué le mécanisme de la digestion dans le système digestif (sans évoquer ici le “deuxième cerveau” récemment mis en avant qu’est l’intestin). Après le morceau de cire de Descartes, Noë donne à son tour un exemple pour décrire sa conception de la conscience :

Qu’est-ce qui fait qu’un morceau de papier représente “un dollar” ? Là encore, il serait vain de chercher la réponse dans la constitution physique de ce bout de papier. Sa valeur monétaire dépend certes de cette constitution, mais provient avant tout du rapport qu’il entretient avec un ensemble de conventions et d’institutions qui lui sont extérieures. Il en irait de même pour la conscience. T. Lepeltier, La conscience est-elle dans le cerveau ?

Pour paraphraser Husserl, la conscience d’un billet de un dollar est toujours conscience de quelque chose : ce quelque chose est l’ensemble de ce qui a été convenu entre certains humains pour accorder une valeur particulière à un morceau de papier, qui équivaut à d’autres éléments de notre environnement (un sandwich à 1 dollar, un livre de poche, du temps de parking, etc.). La conscience serait donc alors – au moins en partie – externe à notre cerveau. Attention cependant à ne pas croire que notre cerveau réside dans le billet de un dollar…

Et l’inconscient dans tout ça ?

Au travers des approches des neurosciences et des sciences cognitives, nous avons pu constater qu’il existait quelque chose, à côté de la conscience, sans pouvoir forcément déterminer ni où, ni dans quelle temporalité : ce que n’est pas la conscience, ce qui pourrait être ses localisations anatomiques, son fonctionnement, sa possible extériorité. Il y a donc autre chose que la conscience, qui n’est pas elle mais qui est étroitement liée à elle. Nous allons aborder maintenant l’approche psychanalytique, qui formule l’existence d’un inconscient dans la vie psychique des êtres humains. Pour décrire l’inconscient, Freud construit des “topiques” qui sont des cartes

psychiques :

Mais nous voyons qu’il y a deux sortes d’inconscient : celui qui est latent, tout en étant capable de devenir conscient, et le refoulé, qui est en soi, et pour tout dire, incapable de devenir conscient. (…) Le latent, qui n’est inconscient que du point de vue descriptif, et non au sens dynamique, nous l’appelons préconscient ; quant au nom d’inconscient, nous le réservons au refoulé qui est inconscient au sens dynamique. Freud, Le Moi et le Ça.

Notre appareil psychique, selon la première topique, serait constitué :

  • Du Conscient : “perception la plus immédiate et la plus certaine” ;
  • Du Préconscient : ce qui est capable de devenir conscient, donc accessible à la conscience ;
  • De l’Inconscient : faits psychiques refoulés, inaccessibles à la conscience.

L’inconscient va malgré tout avoir la possibilité d’agir sur nos comportements sans que nous en ayons conscience (actes manqués, lapsus, rêves). Dans le modèle freudien du rêve, l’inconscient peut avoir accès à la conscience en parvenant à traverser le préconscient. Mais l’analyse des rêves montre la présence d’un système de censure “endopsychique” : les rêves sont oubliés, incompréhensibles ou absurdes. Il y a donc “quelque chose qui détermine l’accès d’un contenu à la conscience” (Gautier). Freud observe aussi l’existence d’une “voix” qui joue un rôle critique, moraliste, sur les comportements et actions : cette “voix de la Conscience” qui joue aussi un rôle de censure est appelé le Surmoi dans la deuxième topique. Cette dernière va comprendre également trois instances :

  • Le Ça (inconscient) : soumis au principe du plaisir, atemporel, ne tenant pas compte de la réalité ;
  • Le Moi (la Conscience) : le Moi est une partie différenciée du Ça, qui tente de transformer le principe de plaisir en principe de réalité ;
  • Le Surmoi : héritier du complexe d’Oedipe, qui compare inlassablement le Moi à l’idéal du moi (ce que le Moi devrait être idéalement).

Le Moi conscient doit donc servir d’interface entre le monde extérieur – la réalité – et le monde interne – l’appareil psychique.

Pour arriver à ce résultat le Moi doit “servir trois maîtres” que sont le Ça, le Surmoi et le Monde Extérieur. Freud le compare tantôt à l’Auguste de cirque ou à un cavalier obligé de suivre sa monture pour ne pas être désarçonné… Gautier, Première et deuxième topique freudienne.

Cette conception montre que la marge de liberté de la conscience n’est pas aussi grande qu’il serait possible de le penser. Nos actions ou comportements ne seraient pas entièrement déterminés par nos seules décisions ou nos seuls choix, mais soumis à d’autres éléments que notre seule conscience.

En bref/L’essentiel

Neurosciences : recherche de la localisation des activités mentales dans le cerveau ; localisation biologique de la conscience.

Sciences cognitives : fonctionnement du cerveau ; fonctionnalistes (fonctionnement de la machine de la conscience), physicalistes (support physique de la conscience).

Inconscient : Freud, psychanalyse ; instance de l’appareil psychique : Moi, Surmoi (censure), Ça (inconscient, refoulé).

Thème et notions connexes

Thème Notions connexes Fiches “La Conscience”
Le Sujet La Conscience

La Perception

L’Inconscient

Autrui

Le Désir

L’Existence et le Temps

1. La Conscience – De quoi parlons-nous ?

2. Des consciences et des hommes

3.a. Vous avez demandé la conscience, ne quittez pas

3.b. Les trois consciences : d’objet, de soi, morale

4. La Conscience – Bibliographie

Voir aussi

Les différents articles du site.

Les Fiches de lecture.

Le Carnet de Vocabulaire Philosophique.

Les Citations.

La Grande Bibliothèque Virtuelle de la Philosophie

 

Dsirmtcom, janvier 2019.