NC – Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 31

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. p. 11.

On ne se baigne pas deux fois dans un même fleuve, parce que, déjà, dans sa profondeur, l’être humain a le destin de l’eau qui coule. […] L’être voué à l’eau est un être de vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écoule. La mort quotidienne […] est la mort de l’eau […] la peine de l’eau est infinie. p. 13.

L’individu n’est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières. p. 14.

L’eau anonyme sait tous mes secrets. Le même souvenir sort de toutes les fontaines. p. 15.

Une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et dissoudre la nuit. p. 17.

L’art est de la nature greffée. p. 18.

L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. p. 25.

La vraie poésie est une fonction d’éveil. p. 25.

Les eaux ne construisent pas de « vrais mensonges”. Il faut une âme bien troublée pour se tromper vraiment aux mirages de la rivière. p. 29.

[L’eau] sert à naturaliser notre image, à rendre un peu d’innocence et de naturel à l’orgueil de notre intime contemplation. Les miroirs sont des objets trop civilisés, trop maniables, trop géométriques ; ils sont avec trop d’évidence des outils de rêve pour s’adapter d’eux-mêmes à la vie onirique. p. 32.

On ne rêve pas profondément avec des objets. Pour rêver profondément, il faut rêver avec des matières. p. 32.

L’homme veut voir. Voir est un besoin direct. La curiosité dynamise l’esprit humain. Mais dans la nature elle-même, il semble que des forces de vision sont actives. Entre la nature contemplée et la nature contemplative les relations sont étroites et réciproques. La nature imaginaire réalise l’unité de la natura naturans et de la natura naturata. p. 39.

L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve. p. 42.

La fée des eaux, gardienne du mirage, tient tous les oiseaux du ciel dans sa main. Une flaque contient un univers. Un instant de rêve contient une âme entière. p. 63.

Le passé de notre âme est une eau profonde. p. 66.

Ici, une question m’oppresse : La Mort ne fut-elle pas le premier Navigateur ? / Bien avant que les vivants ne se confiassent eux-mêmes aux flots, n’a-t-on pas mis le cercueil à la mer, le cercueil au torrent ? Le cercueil, dans cette hypothèse mythologique, ne serait pas la dernière barque. Il serait la première barque. La mort ne serait pas le dernier voyage. Elle serait le premier voyage. p. 87-88.

L’homme, hélas ! n’est pas si raisonnable ! Il découvre l’utile aussi difficilement que le vrai… p. 88.

En somme, tous les bateaux mystérieux, si abondants dans les romans de la mer, participent au bateau des morts. On peut être à peu près sûr que le romancier qui les utilise possède, plus ou moins caché, un complexe de Caron. p. 93.

Le suicide, en littérature, se prépare […] comme un long destin intime. C’est littéralement, la mort la plus préparée, la plus apprêtée, la plus totale. Pour un peu, le romancier voudrait que l’Univers entier participe au suicide de son héros. Le suicide littéraire est donc fort susceptible de nous donner l’imagination de la mort. Il met en ordre les images de la mort. p. 96.

On ne se guérit jamais d’avoir rêvé près d’une eau dormante… p. 106.

L’eau mêlée de nuit est un remords ancien qui ne veut pas dormir… p. 119.

Ce n’est pas la connaissance du réel qui nous fait aimer passionnément le réel. C’est le sentiment qui est la valeur fondamentale et première. La nature, on commence par l’aimer sans la connaître, sans bien la voir, en réalisant dans les choses un amour qui se fonde ailleurs. Ensuite, on la cherche en détail parce qu’on l’aime en gros, sans savoir pourquoi. p. 132.

La chronologie du cœur est indestructible. p. 133.

Chacun possède à la maison une fontaine de Jouvence en sa cuvette d’eau froide, dans un énergique matin. […] L’eau fraîche réveille et rajeunit le visage, le visage où l’homme se voit vieillir, où il voudrait tant qu’on ne le voit pas vieillir ! Mais l’eau fraîche ne rajeunit pas tant le visage pour les autres que pour nous-mêmes. Sous le front réveillé s’anime un œil nouveau. L’eau fraîche redonne des flammes au regard. Voilà le principe de l’inversion qui va expliquer la véritable fraîcheur des contemplations de l’eau. C’est ce regard qui est rafraîchi. p. 166-167.

Tous les mythes racontent la même histoire : le triomphe du jour sur la nuit. Et l’émotion qui anime les mythes est l’expression primitive entre toutes : la peur des ténèbres, l’anxiété que vient enfin guérir l’aurore. p. 175.

La pensée dans le vent ; [Nietzsche] a fait de la marche un combat. Mieux, la marche est son combat. C’est elle qui donne le rythme énergique de Zarathoustra. Zarathoustra ne parle pas assis, il ne parle pas en se promenant, comme un péripatéticien. Il donne sa doctrine en marchant énergiquement. Il la jette aux quatre vents du ciel. p. 183.

En fait, le saut dans la mer ravive, plus que tout autre événement physique, les échos d’une initiation dangereuse, d’une initiation hostile. Il est la seule image exacte, raisonnable, la seule image qu’on peut vivre, du saut dans l’inconnu. Il n’y a pas d’autres sauts réels qui soient des sauts “dans l’inconnu”. Le saut dans l’inconnu est un saut dans l’eau. p. 188.

C’est par des rêves que la volonté de puissance est la plus offensive. Dès lors, celui qui veut être un surhomme retrouve tout naturellement les mêmes rêves que l’enfant qui voudrait être un homme. Commander à la mer est un rêve surhumain. C’est à la fois une volonté de génie et une volonté d’enfant. p. 202.

L’eau est la maîtresse du langage fluide, du langage sans heurt, du langage continu, continué, du langage qui assouplit le rythme, qui donne une manière uniforme à des rythmes différents. p. 209.

Tombant de la feuillée après l’orage, il est des gouttes qui clignotent ainsi et qui font trembler la lumière et le miroir des eaux. À les voir, on les entend frémir. p. 212.

La voix projette des visions. Lèvres et dents produisent alors des spectacles différents. Il est des paysages qui se conçoivent avec les poings et les mâchoires… Il est des paysages labiés, si doux, si bons, si faciles à prononcer… p. 213.

La liquidité est un principe du langage ; le langage doit être gonflé d’eaux. p. 215.

L’art a besoin de s’instruire sur des reflets, la musique a besoin de s’instruire sur des échos. C’est en imitant qu’on invente. On croit suivre le réel et on le traduit humainement. p. 216.

Tout est écho dans l’Univers. Si les oiseaux sont, au gré de certains linguistes rêveurs, les premiers phonateurs qui ont inspiré les hommes, ils ont eux-mêmes imité les voix de la nature. p. 217.

Celui qui écoute les choses sait bien qu’elles vont parler trop fort ou trop doucement. Il faut se hâter de les entendre. p. 218.

Bibliographie

BACHELARD G., L’Eau et les Rêves, Paris, Le Livre de Poche, 2015.

Voir aussi

Carnet de vocabulaire philosophique : Nature Naturante et Naturée, Volonté de puissance.

Doctrines et vies des philosophes illustres : Nietzsche.

Fiches de lecture : Camus, Le mythe de Sisyphe.

Notes contemplatives de lecture : Héraclite.


Dsirmtcom, juin 2022.

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