NC – Pierre Hadot, Plotin ou la simplicité du regard

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 60

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[Les références au texte des Ennéades sont données sous la forme suivante : V 1, 12, 1 [;] V (numéro de l’Ennéade) ; 1 (numéro du traité dans l’Ennéade), 12 (numéro du chapitre du traité), 1 (numéro de la ligne du chapitre […]).]

Nos discours n’ont rien de nouveau, et ils ne sont pas d’aujourd’hui, mais ils ont été dits, il y a déjà longtemps, toutefois sans être développés, et nos discours de maintenant ne sont que les exégètes des anciens discours ; ce sont les écrits de Platon lui-même qui nous assurent que ces théories sont anciennes. (V 1, 8, 10). p. 14.

Le philosophe est un professeur et un directeur de conscience qui ne cherche pas à exposer sa vision de l’univers, mais à former des disciples, grâce à des exercices spirituels. Les écrits de Plotin sont donc avant tout des discussions ou des exhortations, qui sont souvent très étroitement liées aux cours professés publiquement. p. 15.

Reviens à toi-même et regarde : si tu ne te vois pas encore toi-même beau, fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle : il enlève, il gratte, il polit, il nettoie, jusqu’à ce qu’il fasse apparaître un beau visage dans la statue. Toi aussi, enlève tout ce qui est superflu, redresse tout ce qui est tortueux, nettoyant tout ce qui est sombre, rends-le brillant, et ne cesse de “sculpter” ta propre “statue” jusqu’à ce que resplendisse pour toi la divine splendeur de la vertu, jusqu’à ce que tu voies “la Sagesse, debout sur son socle sacré”. (I 6, 9, 7.) p. 20-21.

Chaque âme est et devient ce qu’elle regarde. (IV 3, 8, 15.)

“Plotin avait honte d’avoir un corps.” […] La vulgarisation du platonisme explique en partie ce sentiment : on considère le corps comme un tombeau et une prison, l’âme doit s’en séparer parce qu’elle est parente des Idées éternelles, notre vrai moi est purement spirituel. p. 25.

Si les âmes, comme on le raconte, étaient de la race du Seigneur, elles habiteraient toujours la cour du Roi et n’auraient point quitté ce lieu de la béatitude… elles n’eussent point, par un mouvement irréfléchi, gagné ces lieux terrestres où elles habitent des corps opaques, étroitement mêlées aux humeurs et au sang, dans ces outres d’excrément, dans ces jarres immondes d’urine. Arnobe, Contre les Gentils, II, 37. p. 26-27.

Il faut cesser de regarder ; il faut, fermant les yeux, échanger cette manière de voir pour une autre et réveiller cette faculté que tout le monde possède, mais dont peu font usage. (I 6, 8, 24.) p. 35.

Que l’on se souvienne, à ce sujet, que, même ici-bas, lorsqu’on exerce une activité de contemplation, surtout lorsqu’elle se réalise dans une grande clarté, on ne fait pas alors de retour vers soi-même par un acte de pensée, mais l’on se possède soi-même, et l’activité de contemplation est toute tournée vers l’objet, on devient cet objet… l’on n’est plus soi-même que d’une manière potentielle. (IV 4, 2, 3.) p. 39-40.

On trouverait facilement, même dans l’état de veille, alors que nous pensons ou agissons, de belles activités, que ce soit des contemplations ou des actions, qui ne sont pas accompagnées de la conscience que nous pourrions avoir d’elles. Car il n’est pas nécessaire que celui qui lit ait conscience qu’il lit, surtout lorsqu’il lit avec intensité ; et de même celui qui fait un acte de courage n’a pas conscience qu’il agit en conformité avec la vertu de courage, au moment où il accomplit son acte. (I 4, 10, 21.) p. 41.

[Il] faut, devenu soi-même l’Esprit, se faire soi-même vision. (VI 7, 15, 24.) p. 63.

En voyant les êtres [c’est-à-dire les Formes], l’Esprit se voit lui-même ; son regard se réalise et il est lui-même cette réalisation. Car le pensant et son acte de pensée ne font qu’un. Il se voit lui-même tout entier par lui-même tout entier. (V 3, 6, 5.12.) p. 63.

C’est ce dont témoigne l’impression qu’éprouvent les amants. Tant que cette impression se trouve dans quelqu’un qui s’arrête à la forme sensible, celui-là n’éprouve pas encore l’amour. Mais lorsque, à partir de cette forme sensible, il produit lui-même en lui-même une forme non sensible dans la partie indivisible de son âme, alors l’amour prend naissance. Et si l’amant désire voir l’objet aimé, c’est seulement afin d’arroser cette forme non sensible qui se dessèche. Mais s’il prenait conscience du fait qu’il faut toujours aller au-delà vers ce qui est plus “sans forme”, c’est le Bien lui-même qu’il désirerait. Car ce qu’il a ressenti depuis le début, c’était à partir d’une faible lueur, l’amour de cette immense lumière. (VI 7, 33, 22.) p. 75.

Chaque forme, par elle-même, n’est que ce qu’elle est. Mais elle devient objet de désir, lorsque le Bien la colore, en lui donnant la grâce en quelque sorte et en infusant l’Amour à ceux qui la désirent. (VI 7, 22, 5.) p. 78.

Pour ceux qui ignorent cet état, qu’ils imaginent d’après les amours, d’ici-bas ce que peut être la rencontre de l’être le plus aimé. (VI 9, 9, 39.) p. 86.

Car même ici-bas deux centres qui coïncident sont un. Ils ne redeviennent deux que lorsqu’ils se séparent. (VI 9, 10, 12.) à. 92.

La forme n’est que la trace du “sans forme”. En effet le “sans forme” engendre la forme. (VI 7, 33, 30.) p. 93.

L’Esprit n’était pas encore Esprit, au moment où il dirigeait son regard vers le Bien, mais il regardait d’une manière non intellectuelle… il ne voyait en aucune façon, il vivait auprès de lui, il était suspendu à lui, il était tourné vers lui. (VI 7, 16, 13.) p. 96.

Pourquoi donc ne reste-t-on pas là-haut ? (VI 9, 10, 1.) p. 111.

Les âmes sont nécessairement comme “amphibies”. Elles vivent en partie de la vie de là-haut, en partie de la vie d’ici-bas. (IV 8, 4, 31.) p. 112.

Autre est l’homme véritable ; il est pur de tout ce qui touche en nous à l’animalité. Il possède les vertus qui sont de l’ordre de la pensée, qui ont leur siège dans l’âme qui se sépare du corps, qui se sépare, et même qui est déjà complètement séparée, tout en étant ici-bas. (I 1, 10, 7.) p. 120.

Ainsi, il était en même temps présent à lui-même et à autrui. (V. P. 8, 8.) p. 145.

On peut connaître le caractère d’un homme lorsqu’on le regarde dans les yeux ou lorsque l’on considère certaines parties de son corps. On peut y lire les dangers qu’il court, et les moyens qu’il a d’y échapper. (II 3, 7, 9.) p. 156.

Un jour, il sentit que je pensais à me suicider. Subitement, il survint, alors que j’étais chez moi, et il me dit que ce dessein ne procédait pas d’un état d’âme vraiment spirituel, mais qu’il s’agissait tout simplement d’une mélancolie maladive. Il me conseilla de voyager. Je lui obéis et je partis pour la Sicile… Je fus ainsi délivré de mon projet de suicide, mais cela m’empêcha de rester près de Plotin jusqu’à sa mort. (V. P. 11, 11.) p. 157.

Celui qui se plaint de la nature du monde ne sait pas ce qu’il fait et jusqu’où va son audace. C’est qu’il ignore l’ordre continu des choses, des premières aux secondes, puis aux troisièmes, et ainsi de suite jusqu’aux dernières, et il ne sait pas qu’il ne faut pas insulter des êtres parce qu’ils sont inférieurs aux premiers ; mais il faut accepter avec douceur la nature de tous les êtres. (II, 9, 13, 1.) p 160.

Meilleur on est, plus on est bienveillant envers toutes choses et envers les hommes. (II 9, 9, 44.) p. 163.

Le Bien est plein de douceur, de bienveillance et de délicatesse. Il est toujours à la disposition de qui le désire. (V 5, 12,33.) p. 163.

L’épreuve du mal rend la connaissance du bien plus claire chez les êtres dont la puissance est trop faible pour pouvoir connaître purement le mal sans en faire l’expérience. (IV 8, 7, 15.) p. 178.

Seul ce qu’il y a de sérieux dans l’homme peut s’appliquer de manière sérieuse aux actions sérieuses ; le reste de l’homme n’est que jouets. Ceux qui ne savent pas être sérieux et qui ne savent pas qu’ils sont eux-mêmes des jouets, prennent leurs jouets au sérieux. (III 2, 15, 31.) p. 180.

La nature de cette âme supérieure sera affranchie de toute responsabilité dans les maux que l’homme commet ou subit. Car ces maux se situent dans l’“animal”, dans le “composé” [c’est-à-dire dans la partie de nous-mêmes où se mêlent les niveaux inférieurs de l’âme et du corps]. (I 1, 9, 1.) p. 182.

Mais alors si cette vie est un bien, comment la mort n’est-elle pas un mal ? (I 7, 3, 3.) p. 185.

Il faut être quelque chose pour éprouver du mal. Mais le mort n’est plus, ou, s’il existe, il est privé de vie et souffre moins de mal qu’une pierre. (I 7, 3, 5.) p. 186.

“Retranche toutes choses”, disait Plotin. Mais, dans une vivante contradiction, ne faudrait-il pas dire aussi : “Accueille toutes choses” ? p. 201.

Bibliographie

HADOT P., Plotin ou la simplicité du regard, Paris, Gallimard Folio, 2022.

Voir aussi

Doctrines et vies des philosophes illustres : Socrate ; Aristote ; Pyrrhon ; Épicure ; Épictète.

Notes contemplatives de lecture : P. Hadot, N’oublie pas de vivre.


Dsirmtcom, mai 2023.

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