José Agustín Caballero, Philosophia Electiva – Première dissertation – La Philosophie en général

Philosophie – Fiches de lecture

Fiche de lecture n° 43-D1 – Première dissertation – La Philosophie en général



Questions fréquemment posées
sur la Philosophie et la Logique en elles-mêmes

Première dissertation – La Philosophie en général

Article I. La Philosophie existe-t-elle ?

Oui, la Philosophie existe.

Preuve : la Philosophie est la connaissance certaine et évidente des choses par leurs causes les plus hautes. Cela dit, nous connaissons beaucoup de choses avec certitude et avec évidence par leurs causes les plus hautes. Donc oui, la véritable Philosophie existe.

Prouver la mineure : La connaissance déduite de manière évidente de principes connus avec évidence, est une connaissance certaine et évidente. Mais, nous connaissons un grand nombre de principes et de ceux-ci se déduisent beaucoup d’autres de manière évidente ; donc nous connaissons beaucoup de choses de manière certaine et évidente.

Explication de la mineure. En Logique nous connaissons avec évidence les principes suivants : deux choses égales à une troisième sont égales entre elles, de là se déduisent les règles de l’argumentation ; en Métaphysique : une chose ne peut être et ne pas être en même temps, d’où se déduisent beaucoup de principes relatifs à l’être commun. Et la même chose se produit dans les parties restantes de la Philosophie. Donc nous connaissons de nombreux principes et de ceux-ci, etc.

Résolution des objections. On peut objecter : “Toute notre connaissance est incertaine et obscure” ; mais si cela est ainsi, la véritable Philosophie n’existe pas. Je prouve la majeure : “Notre connaissance dépend entièrement des sens” ; mais les sens se trompent et nous trompent ; donc toute notre connaissance est incertaine et obscure.

Je distingue la majeure : “Notre connaissance dépend entièrement des sens”, à partir d’un certain prérequis qui excite notre connaissance, je concède ; à partir des règles de notre connaissance, je nie.

Et je distingue également la mineure : “Les sens se trompent et nous trompent” par eux-mêmes et par leur nature même, je nie. Par accident, parce que parfois ils ne sont pas suffisamment aiguisés ou qu’ils ne sont pas bien préparés, je concède. En effet, les sens perçoivent les choses sensibles, et tel qu’ils les perçoivent ils les montrent à l’esprit, sans discerner si elles sont ou ne sont pas en elles-mêmes comme ils les montrent ; cela est la mission de la raison. Mais dans la Métaphysique nous traiterons amplement de cette forme de raisonnement qui dépend des sens.

On objectera : dans toute la Philosophie abondent des opinions contraires. Donc il n’y a rien de certain…

Je réponds en disant que l’argument ne prouve rien sinon que la Philosophie est imparfaite dans l’homme, mais en aucune façon inexistante. Il y a, en effet, beaucoup de choses dans lesquelles tous conviennent et beaucoup que nous ne comprenons pas, d’où est née la sentence connue : “L’art est durable et la vie brève, l’occasion est imprudente, l’expérience est trompeuse et le jugement difficile” [T24].

[T24] Citation dans sa version latine de l’aphorisme d’Hippocrate, médecin de la Grèce antique : Ars longa, vita brevis, / occasio praeceps, /experimentum periculosum, / judicium difficile. Source : Wikipédia.

Article II. Qu’est-ce que la Philosophie ?

La question « ce que c’est ? » est postérieure, selon le Docteur Angélique [Thomas d’Aquin], à celle de “si cela existe ?” [T25]. Une fois, alors, démontrée l’existence de la Philosophie, il convient de parler de son essence même.

[T25] La question repose sur la notion de “quiddité”, du latin scolastique quidditas, de quid, quoi. La quiddité est ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, c’est-à-dire son essence. La question quid est signifie “ce que c’est ?”, et la question an sit, “si elle est ?”, celle-ci portant sur l’existence de la chose. Il est donc nécessaire qu’une chose possède d’abord l’existence, avant que l’on puisse se demander quelle est son essence. Le “Docteur Angélique” est le surnom donné à Thomas d’Aquin.

La Philosophie se définit en disant qu’elle est la connaissance certaine et évidente des choses par leurs causes les plus hautes, atteinte au moyen de la seule lumière naturelle [T26].

[T26] Lumière naturelle : la raison telle que la nomme Descartes, par opposition à la lumière surnaturelle de la révélation dans la religion [Discours de la méthode, I].

Preuve : Par le mot Philosophie se comprend la sagesse naturelle ; mais la sagesse naturelle est la connaissance naturelle, certaine et évidente de toutes les choses, par leurs causes les plus hautes, atteinte au moyen de la seule lumière naturelle. Donc cette définition de la Philosophie est légitime.

Preuve de la mineure : Nous disons que la sagesse est la connaissance, parce qu’il s’agit d’une espèce de connaissance ; je l’appelle certaine et évidente pour la distinguer de l’erreur, qui est la connaissance fausse ; de l’opinion, qui est la connaissance douteuse et incertaine ; et de la foi qui est la connaissance non évidente. Je dis par leurs causes les plus hautes, pour la distinguer de la science dans son sens courant, et j’ajoute, atteinte au moyen de la seule lumière naturelle, pour la distinguer de la Théologie. Donc la sagesse naturelle est la connaissance de toutes les choses, etc.

Objections : Première objection : “La Philosophie englobe dans sa plus grande partie des choses fausses, obscures et douteuses”. Donc elle n’est pas la connaissance certaine et évidente. Je distingue l’antécédent : “La Philosophie englobe dans sa majeure partie des choses fausses, obscures et douteuses”, comme des objets ressemblant à ceux auxquels nous donnons notre assentiment, je nie ; comme des objets étranges sur lesquels juger, je concède. Seules appartiennent à la Philosophie les choses qui se détachent de manière certaine et évidente de principes connus et de propositions démontrées.

Seconde objection : “La Philosophie s’occupe de la connaissance de Dieu ; mais Dieu n’a pas de cause ; donc la Philosophie n’est pas la connaissance par les causes les plus hautes”. Je distingue la mineure : “Dieu n’a pas de cause” dont il dépend, je concède ; par là on peut le connaître, je nie. En effet, la Philosophie connaît Dieu par ses créatures et par des principes connus naturellement, comme causes de la connaissance qu’elle a de lui.

Article III. Division de la Philosophie

Établissons auparavant la division de la science naturelle. La science naturelle se divise en rationnelle ou logique et réelle. La science réelle se divise en Métaphysique, Physique (qui inclut la Médecine : d’où la sentence “où termine le physicien commence le médecin” [T27]), Morale et Sciences Mathématiques. On appelle Mathématiques pures celles qui traitent de la quantité séparée de la matière ; et mixtes, celles qui considèrent la quantité concrète et sensible.

[T27] Axiome en latin : Ubi desinit physicus, ibi incipit medicus, inspiré par Aristote, selon le site Remacle. Le texte d’Aristote est le suivant :

Il revient au naturaliste d’examiner les premiers principes de la santé et de la maladie. […] C’est pourquoi l’on peut dire de la plupart de ceux qui étudient la nature, ainsi que des médecins qui s’adonnent à leur art avec le plus de la Philosophie, que les premiers parachèvent leur recherche avec la médecine, et que les autres commencent la médecine par la physique. Aristote, Petits traités d’histoire naturelle, “De la sensation et des sensibles”, § 1.

Sont pures la Géométrie, qui étudie la quantité continue, et l’Arithmétique, qui se réfère aux nombres. Sont mixtes, la Musique, qui considère le rythme dans les sons ; l’Astronomie, qui mesure la quantité et le mouvement des corps célestes ; la Géométrie appelée spéciale, qui mesure la terre ; l’Optique, qui étudie les rayons visuels, et la Mécanique, qui examine les forces et les lois des machines.

Conclusion : la Philosophie se divise adéquatement en Logique, Métaphysique, Physique et Éthique

Démonstration : La Philosophie est la connaissance certaine et évidente par les causes les plus hautes, atteinte au moyen de la seule lumière naturelle ; mais parmi les sciences naturelles seules ces quatre ont pour objet les premiers principes des choses ; donc la Philosophie se divise adéquatement en Logique, etc.

Explication de la mineure : La Logique recherche les principes les plus hauts du raisonnement ; la Métaphysique s’occupe des choses les plus hautes, Dieu et les âmes ; la Physique étudie le mouvement et l’origine lointaine de la nature ; la Morale examine les actions des hommes, leurs causes et leurs fins les plus hautes. Donc parmi les sciences naturelles seules ces quatre, etc.

Confirmation de la conclusion : la Philosophie se réfère ou aux choses qui sont dans l’âme, ou à celles qui sont en dehors de l’âme. Si c’est le premier cas, ou elle se réfère aux opérations de l’esprit, et c’est la Logique, ou aux actions de l’homme et c’est la Morale. Si c’est le second cas, ou elle se réfère aux choses séparées de toute matière, et c’est la Métaphysique, ou aux choses internes à la matière et c’est la Physique. Donc la Philosophie se divise adéquatement en Logique, Physique, Métaphysique et Éthique.

On peut objecter : Une seule forme ne peut se diviser correctement en plusieurs parties ; mais la Philosophie est d’une certaine façon une seule forme. Donc elle ne peut pas se diviser correctement en quatre parties. Je distingue la majeure : “Une seule forme” simple, je concède ; une seule forme composée, je nie. La Philosophie, dans sa totalité, est une forme composée de différentes connaissances particulières, dont certaines constituent la Logique, d’autres la Métaphysique, etc.

On alléguera à nouveau : Mais la Philosophie est une seule forme simple ; donc nous sommes dans le même cas. Preuve : Là où il n’y a qu’un seul objet formel, à savoir, la connaissabilité naturelle des choses, il n’y a qu’une seule forme simple ; donc, il n’y a rien de plus qu’une forme simple.

Mais on convient qu’il faut faire quelques mises en garde afin de comprendre cet argument et sa solution. L’objet des sciences est de trois sortes : l’un [objet] matériel, c’est-à-dire, la matière sur laquelle se penche la science et à laquelle se réfèrent tous ses préceptes mêmes ; l’autre [objet] formel, qui consiste dans la manière de relier la science à son objet, selon qu’on considère soit la formalité [T28] ou la raison. Selon cela, l’objet matériel de la Philosophie est constitué de toutes les choses naturellement connaissables ; l’objet formel, au contraire, est constitué de la connaissabilité des mêmes choses.

[T28] Formalité, chez Aristote et les scolastiques : point de vue particulier et déterminant sous lequel est considéré un être ou développée une science. Source : CNRTL.

L’autre [la troisième sorte d’objet des sciences] s’appelle objet total, adéquat ou d’attribution, c’est-à-dire, celui qui résulte du matériel et du formel. Ainsi, toutes les choses naturelles sont l’objet d’attribution de la Philosophie. Entre la science et l’objet s’interpose quelque chose grâce auquel on atteint l’objet, comme entre la Philosophie et les choses naturelles s’interposent les principes par lesquels nous connaissons ces mêmes choses. Cet intermédiaire s’appelle la raison par laquelle [on atteint l’objet / on connaît les choses].

Ainsi, l’objet formel de la Philosophie est générique et commun à toutes ses parties ; un peu plus ou moins, comme l’animalité est commune aux hommes et aux animaux […] préexistants. Je distingue la majeure : “Il y a une seule forme simple” où il y a un seul objet formel et spécifique, je concède ; générique, je nie.

Et maintenant on alléguera : La mémoire est aussi une faculté de l’âme ; donc, pour ce à quoi elle se réfère, nous devons admettre qu’elle peut être incluse dans la Philosophie. Je distingue l’antécédent : “La mémoire est une faculté” active de l’âme, susceptible d’être soumise à des règles, je nie ; c’est une faculté passive et réceptive, qui n’est pas susceptible d’être soumise à des règles, je concède.

Prenons en compte que ces parties dans lesquelles nous avons divisé la Philosophie sont des parties intégrantes, si on considère la Philosophie comme l’ensemble de toutes les facultés nécessaires pour vivre droitement ; mais si on la considère comme la sagesse en général, ces parties seront spécifiques.

Article IV. Origine et cause efficiente de la Philosophie

Pour clarifier au mieux la question il est nécessaire de savoir qu’une cause efficiente est celle qui produit une chose. Elle peut être première, celle qui la produit primitivement ; et seconde, celle qui ou bien restaure une chose déjà produite et détruite, ou bien l’étend, en s’accroissant.

DE LÀ, LA PREMIÈRE CONCLUSION : La cause efficiente première de la Philosophie est Dieu, qui l’a inspirée au premier homme.

Cela est prouvé dans l’Ecclésiastique XVII [T29], où il est dit de nos premiers parents : Dieu leur a donné la volonté de penser et les a remplis de la discipline de l’entendement (Logique) ; il leur a inspiré la science de l’esprit (Métaphysique) ; il a rempli de sentiments leur cœur (Physique) ; et leur a montré le mal (Éthique).

[T29] Le Seigneur a créé l’homme […]. Il leur a donné le jugement, la langue et les yeux, les oreilles et le cœur pour réfléchir. Il les a remplis de savoir et d’intelligence. Il leur a montré le bien et le mal. Siracide 17:1, 6-8.

Et cela est prouvé en outre par la raison : Dieu a créé Adam parfait en le dotant d’une âme et d’un corps ; mais il n’aurait pas été parfait en ce qui concerne l’âme s’il n’avait pas été doté de la Philosophie, qui constitue une des plus grandes perfections de l’esprit humain ; donc, de la même façon que par principe il a été créé parfait en ce qui concerne le corps pour pouvoir procréer des enfants, cela s’est produit tout autant pour ce qui se réfère à l’esprit moyennant la Philosophie et les autres sciences utiles à l’homme, pour qu’il puisse les gouverner.

On opposera, premièrement : “Tout pécheur est ignorant ; cela dit, Adam a péché ; donc il était ignorant ; donc il ne disposait pas de la Philosophie”. Je distingue la majeure : “Tout pécheur est ignorant” habituellement et toujours, je nie ; il l’est de fait, je concède, puisque c’est pourquoi il n’emploie pas sa science en une occasion et à un moment déterminé ; ainsi, Adam a péché, non parce qu’il ne disposait pas de la science, mais parce qu’il n’en a pas fait usage quand sa volonté s’est vue attirée par l’objet du péché.

Et deuxièmement : “Aucun philosophe n’a pu penser que le serpent aurait parlé ; mais Adam, selon le récit biblique, a pensé que le serpent avait parlé ; donc il ne disposait pas de la Philosophie”. Je distingue la majeure : “Aucun philosophe n’a pensé que le serpent aurait parlé”, de par sa propre nature, je concède ; comme instrument d’une nature supérieure, je nie. Adam et Ève croyaient en effet que par la bouche du serpent parlait quelque être supérieur ; et en cela ils ne se trompaient pas, sauf à avoir donné crédit à ce qu’il disait.

Troisièmement : “Nous lisons dans la Genèse que depuis le péché les yeux d’Adam et Ève se sont ouverts, c’est-à-dire, qu’ils ont acquis la connaissance dont ils manquaient ; donc auparavant ils étaient ignorants”. Je distingue l’antécédent : “Ils ont ouvert les yeux” en termes de connaissances naturelles et philosophiques, je nie ; en termes de connaissance expérimentale de la rébellion du corps contre l’esprit, je concède. Les Écritures parlent d’excitations de la concupiscence, qu’Adam et Ève n’avaient jamais expérimentées auparavant.

La Philosophie s’est éteinte peu à peu durant de nombreuses années et elle fut restaurée par les hommes, qui sont ainsi sa cause efficiente secondaire. Démonstration : La Philosophie d’Adam a continué de s’écouler comme une source permanente jusqu’à sa descendance ; mais, peu à peu, elle a décliné par négligence des hommes, quelques hommes singuliers la cultivant à diverses époques, comme cela a été expliqué dans l’appareil philosophique ; donc, les hommes, au moyen du raisonnement, sont la cause secondaire de la Philosophie, autant quand ils ont fait des recherches par leur propre effort, que quand ils ont appris quelque chose des autres.

Article V. Autres causes de la Philosophie

On doit tenir compte que la cause efficiente est celle par laquelle existe la chose ; la cause matérielle, celle de quoi la chose est faite, la formelle, pourquoi, la finale en vue de quoi. La matérielle est de trois sortes : de quoi, dans quoi, et à propos de quoi. La première est ce dont quelque chose est fait ; la seconde est le sujet dans lequel est contenu quelque chose ; la troisième, l’objet à propos duquel traite la science.

La Philosophie n’a de cause matérielle que l’entendement comme sujet dans lequel elle est contenue.

On prouve la première partie : L’habitude purement spirituelle et qui réside dans une faculté purement spirituelle n’est pas faite de matière, parce que l’esprit diffère essentiellement de ce qui est matériel ; cela dit, la Philosophie est une habitude purement spirituelle qui réside dans une faculté purement spirituelle donc elle n’est pas faite, etc. Je prouve la seconde partie : La puissance qui est capable d’un discours et d’une connaissance scientifique, est susceptible de recevoir la Philosophie ; l’entendement est capable de discours et de connaissance scientifique ; donc il est un sujet dans lequel peut être reçue la Philosophie.

SECONDE CONCLUSION : L’objet matériel de la Philosophie est constitué par toutes les choses, tant divines qu’humaines, connaissables de manière naturelle ; l’objet formel en revanche constitue la propre connaissabilité de ces choses par leurs causes les plus hautes.

Je prouve la première partie : L’objet matériel de la Philosophie est celui sur lequel elle se penche ; mais la Philosophie se penche sur toutes les choses, tant divines qu’humaines, connaissables de manière naturelle ; donc l’objet matériel de la Philosophie est constitué par toutes les choses, etc.

Démontrons maintenant la seconde partie : L’objet formel de la Philosophie est cette raison formelle avec laquelle la Philosophie se penche sur toutes les choses, selon ce qui a été exposé antérieurement dans l’article troisième ; mais la connaissabilité des choses par leurs premières causes est cette raison formelle avec laquelle la Philosophie se penche sur toutes les choses, tant divines qu’humaines ; donc l’objet formel de la Philosophie est la connaissabilité ou la compréhensibilité des choses par leurs premières causes.

On pourrait alléguer par contre, premièrement : “Dieu et ses œuvres principales sont l’objet de la Théologie ; donc ils ne sont pas l’objet de la Philosophie”. Je distingue l’antécédent : “Dieu est l’objet de la Théologie” en tant qu’il est connaissable au moyen du raisonnement naturel, je nie ; au moyen de raisonnements basés sur la révélation, je concède. En effet, Dieu est l’objet de la Philosophie en tant qu’elle peut le connaître par des moyens naturels, c’est-à-dire, comme cause première et auteur de la nature ; en tant qu’auteur de la grâce, il est l’objet de la théologie.

TROISIÈME CONCLUSION : Observez avant tout qu’une fin est ce pour quoi se fait quelque chose. La fin est de deux sortes : la fin “que” ou “pour quoi”, celle que l’on veut atteindre ; et la fin “pour qui”, c’est-à-dire, la personne à qui elle est destinée. La fin peut être, à son tour, proche, celle que l’on poursuit de manière immédiate ; et éloignée, celle qui s’atteint au moyen de la première.

Ainsi nous retiendrons que la fin “pour qui” de la Philosophie est l’homme ; la fin qui est proche est la connaissance de la vérité et la pratique de la vertu ; la fin éloignée, la félicité naturelle ; la fin ultime est Dieu.

Je prouve la première partie : Toute la Philosophie est dirigée vers le profit de l’homme ; donc c’est la fin “pour qui” de celle-ci. Je prouve la seconde partie : la fin qui est proche est le bien vers quoi tend la Philosophie ; mais nous philosophons pour connaître la vérité et vivre honorablement ; donc la fin qui est proche de la Philosophie est la connaissance de la vérité et la pratique de la vertu. La preuve de cette partie facilite celle des autres.

Je prouve la troisième partie : La félicité naturelle consiste dans l’union parfaite de l’homme avec Dieu, connu et aimé en tant qu’il peut l’être de manière naturelle ; mais la Philosophie et les autres sciences dirigent l’esprit de l’homme de manière qu’elles induisent la connaissance et l’amour de Dieu ; donc, la félicité naturelle est la fin éloignée. Et maintenant je prouve finalement la quatrième partie : comme toute Philosophie se dirige en dernier lieu vers Dieu, ceci est indubitablement la fin ultime de celle-là.

On peut répliquer : “L’Apôtre dit que les philosophes n’ont pas d’excuse parce qu’ils connaissent Dieu par l’intermédiaire de la Philosophie ; donc cela, loin de rendre heureux les hommes, augmente leur malheur”. Je distingue le conséquent : “la Philosophie augmente le malheur des hommes” par elle-même, je nie ; par accident et à cause d’une inclination vicieuse de ceux-ci, je concède. La Philosophie nous montre suffisamment le bien et réprouve le mal. Si l’homme, imbu de sa lumière, œuvre mal (et dans ce cas il n’a pas d’excuse puisqu’il ne peut alléguer l’ignorance), la malice est exclusivement la sienne.

On contre l’ultime : “Beaucoup se consacrent à la Philosophie par vaine gloire, pour être bien vus, etc. ce qui dévie l’homme de Dieu. Donc Dieu n’est pas la fin ultime de la Philosophie”. Je distingue le conséquent : “Donc Dieu n’est la fin de la Philosophie”, c’est-à-dire, il n’est pas la fin de l’opération, je nie ; quelquefois ce n’est pas la fin du philosophe opérant, je passe. La Philosophie se dirige par elle-même vers Dieu, mais ceux qui la mettent en pratique négligent souvent cette fin.

Article VI. Nature de la Philosophie

Nous traiterons ici uniquement de la nécessité et de l’utilité de la Philosophie ; pour cela indiquons deux manières d’être nécessaire pour une chose ; l’une absolue, comme moyen ou simple ; c’est-à-dire, ce sans lequel on ne peut pas obtenir la chose, comme l’aliment pour la vie ; l’autre conditionnée ou d’utilité ou secundum quid, selon laquelle on dit que quelque chose est nécessaire pour pouvoir obtenir une chose avec une moindre difficulté ; en ce sens sont nécessaires au voyageur le cheval et l’argent.

Nous devons avertir également à partir de maintenant que l’on peut considérer l’homme de trois manières : dans un sens privé, en tant qu’il est un homme ; politiquement, comme citoyen d’un État, et dans un sens chrétien, comme fidèle de l’Église. Dans les conclusions qui suivront nous exposerons combien la Philosophie est nécessaire à l’homme, en considérant sous chacun de ces trois aspects.

PREMIÈRE CONCLUSION : La Philosophie est nécessaire comme le besoin d’un moyen pour accomplir la perfection naturelle de l’homme.

Preuve : L’homme, pour être parfaitement complet dans l’ordre naturel, doit élever son entendement avec des vérités et sa volonté avec de bonnes mœurs ; mais l’homme ne peut obtenir cela de manière accomplie sans la Philosophie, qui distingue la vérité du mensonge et le bien du mal ; donc la Philosophie est nécessaire comme le besoin d’un moyen pour accomplir, etc.

Mais on dira : Dans les Écritures la Philosophie est appelée affliction de l’esprit et occupation très mauvaise. On lit également : celui qui ajoute la science ajoute la douleur et la science a rendu fous tous les hommes ; donc la Philosophie est nocive à l’homme et elle n’accomplit pas, par conséquent, sa perfection.

J’explique les témoignages sacrés : L’étude de la science est extraordinairement agréable en soi ; mais on l’appelle affliction de l’esprit parce que découvrir les misères humaines fait que nous nous attristons et nous affligeons pour elles.

On appelle la science ou l’étude des choses une occupation très mauvaise dans le sens de laborieuse et difficile, parce que même si les fruits de la science sont très agréables, elle a des racines amères. Quant aux mots sur la science qui rend fous tous les hommes, je réponds que Jérémie (dont telles sont les paroles [T30]) parle en comparaison avec la science divine, par rapport à laquelle notre science est si petite dans son ensemble, qu’elle peut être tenue pour inexistante.

[T30] Texte complet du verset dans la traduction de la Bible par Louis Segond : “Tout homme devient stupide par sa science, Tout orfèvre est honteux de son image taillée ; Car ses idoles ne sont que mensonge, Il n’y a point en elles de souffle”. Jérémie 10:14.

SECONDE CONCLUSION : la Philosophie est très utile à l’homme en tant que membre d’un État.

C’est évident : L’homme, ou gouverne la nation, ou est à son service en se consacrant à la Jurisprudence, à la Médecine, aux Armes ou à quelque autre profession. Mais la Philosophie est très utile au citoyen considéré sous n’importe lequel de ces aspects ; par conséquent, la Philosophie est très utile, etc.

Je prouve les différentes parties de la mineure : Il revient aux princes et aux magistrats d’établir l’ordre dans le peuple ; mais établir l’ordre est l’occupation propre des sages et la Philosophie est la sagesse ; donc ceux-là doivent être sages à un degré supérieur à celui des autres citoyens.

Cela est évident aussi quant à la Médecine, qui est subordonnée à la Physique, ainsi qu’à ce qui touche à la Jurisprudence, qui est une partie de l’Éthique. À propos de l’Art militaire, les Écritures indiquent la même chose quand elles disent : Dans la guerre, la science vaut plus que la force ; et le sage est meilleur que le fort. En un mot, Cicéron nous dit que la Philosophie fut l’origine et le fondement de toutes les disciplines ; donc, la Philosophie est très utile à l’homme comme membre de l’État ou considéré sous son aspect politique.

TROISIÈME CONCLUSION : La Philosophie est aussi très utile aux hommes pour défendre la Religion.

Démonstration : Les mêmes Écritures emploient fréquemment les arguments philosophiques ; les Saints-Pères font de nombreuses fois l’éloge de l’utilité de la Philosophie pour la défense de la foi ; beaucoup de docteurs de l’Église excellèrent dans les Sciences Naturelles ; Les mêmes Conciles soutiennent leurs décisions dans des arguments philosophiques.

Enfin : Grâce à la Philosophie les infidèles instruits sont attirés vers la foi avec plus de facilité. Sans la Philosophie, les sophismes des hérétiques peuvent difficilement être démasqués. Les enseignements sacrés sont plus agréables quand nous les voyons confirmés par la connaissance humaine. La Théologie est nécessaire pour la conservation de la foi ; mais la Philosophie est une préparation à la Théologie, et par cela elle l’est aussi pour la foi ; donc elle est très utile à l’homme considéré comme fidèle de l’Église, etc.

On objectera : saint Paul avertit les fidèles, dans la seconde Épître aux Colossiens [T31], qu’ils se gardent de la Philosophie comme d’une séductrice. Donc elle n’est pas utile au chrétien. Je réponds que saint Paul parle, non de la véritable Philosophie chrétienne, mais de celle frivole, sophistique et infestée d’erreurs contraires à la foi. La même interprétation est donnée des Saints-Pères quand ils désapprouvent la Philosophie comme trompeuse des candides et créatrice de supercheries.

[T31] Veillez à ce que nul ne vous prenne au piège de la Philosophie, cette creuse duperie à l’enseigne de la tradition des hommes, des forces qui régissent l’univers et non plus du Christ. Colossiens, 2:8.

Article VII. Sur la question de s’il convient plus au philosophe de suivre une seule école et un seul maître en s’appuyant sur son autorité, plutôt que de les étudier toutes en sélectionnant ce qu’elles ont dit de vrai ou pour le moins de plus proche de la vérité, en mettant modestement de côté les autres.

CONCLUSION UNIQUE : Il est plus opportun pour le philosophe, y compris le chrétien, de suivre plusieurs écoles à volonté, que d’en choisir une seule à laquelle se destiner.

Cela se prouve premièrement, avec un texte de saint Augustin se référant à la Théologie, mais qui peut s’appliquer à notre objet :

N’hésitons pas à employer, non un seul mais tous les arguments que nous pouvons trouver, parce que nous convaincrons d’autant plus fermement les hérétiques, lorsque nous compterons plus d’issues pour échapper à leurs pièges. Donc il est aussi permis au philosophe chrétien d’extraire des arguments de tous les systèmes philosophiques. Cela se prouve aussi par la raison : choisir une seule école de préférence aux autres nous prive de la liberté de philosopher parce que l’attachement à une école et à son maître nous obscurcit le jugement et pose des obstacles sur le chemin pour atteindre la vérité.

Écoutons Sénèque : Prends toujours en compte cette seule sentence : ne confie pas cela à la curie mais fais-le toi-même. Et Cicéron : Aucune école n’a été si fausse qu’elle n’ait tenu quelque chose de vrai ; aucune erreur, au contraire, si tenace, qu’on puisse en dire qu’elle avait quelque chose de vrai. Donc il est plus opportun, etc.

Ajoutons quelques sentences de saint Thomas pour qu’on voie jusqu’aux aristotéliciens eux-mêmes combien il nous convient de choisir tous les philosophes, y compris les païens.

Dans la première partie de la Somme Théologique, question 84a, article 5, il est dit expressément que dans les choses qui ne concernent pas la foi il est licite de suivre n’importe quel philosophe sans adhérer à un déterminé […] puisque Basile et Augustin et de nombreux saints suivent l’opinion de Platon sur les questions philosophiques qui ne touchent pas à la foi.

Dans le troisièmement des Quatliberotum, question 4, article 1, il est dit que chacun peut, selon son libre arbitre, opiner comme il veut, pour que soit un fait ce que dit saint Paul aux Romains : “Que chacun soit riche de ses opinions” [T32].

[T32] Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans vouloir juger des opinions. Romains, 14:1.

Dans une autre partie, il est dit : “Pour ce à quoi cela se réfère (les opinions des philosophes), nous ne devons pas nous préoccuper beaucoup parce que l’étude de la Philosophie n’a pas pour objet de connaître la pensée des hommes, mais quelle est la vérité des choses”. On peut objecter : “Chaque science atteint sa perfection maximale avec l’unité des principes ; donc il convient plus au philosophe de se destiner à une seule école”. Je distingue l’antécédent : “Avec l’unité des principes”, propre et absolue, je concède ; relative, je nie. Les principes doivent être uns et vrais dans un sens absolu et en eux-mêmes ; mais ils n’ont pas à être uns dans un sens relatif, mais pris dans toutes les écoles à volonté, tant qu’ils ne sont pas contradictoires entre eux.

On objectera : le navire en mer court un danger, s’il se voit fouetté par les vents dans deux directions ; le chien qui poursuit deux lièvres ne chasse ni l’un ni l’autre ; donc, avec le mélange confus de principes distincts on ne forme pas l’esprit mais on le déforme. Je distingue le conséquent : Si les principes sont distincts, pas seulement en raison de l’école, mais aussi en eux-mêmes, je concède ; si, au contraire, bien que d’école différente, ils ont une connexion entre eux, je nie.

On peut affirmer que la connaissance allant jusqu’aux principes qui sont contraires entre eux est opportune, puisque, bien que “la religion catholique – comme dit saint Augustin – soit une seule et qu’on doit se défendre avec des raisons adéquates, il est nécessaire, cependant, de connaître les dogmes des autres religions que nous opposent les hérétiques, pour mieux défendre la vérité de la doctrine catholique contre les sophismes des autres, en même temps que se démontre la fausseté de ceux-ci”. Autant cela peut se dire de la Philosophie.

Article ultime. Sur la question de s’il est permis au philosophe de philosopher en dédaignant l’autorité sacrée

Je réponds négativement parce que la vérité n’est qu’une et simple parce que son auteur est Dieu lui-même ; mais la vérité ne peut s’opposer à la vérité ; donc, si quelque sentence philosophique se trouve en contradiction manifeste avec une vérité révélée par l’autorité sacrée, la première est indubitablement fausse parce que la Philosophie, comme la raison humaine, doit être subordonnée à l’autorité sacrée comme à un juge qui la corrige.

On objectera : S’il en est ainsi, par ce seul fait toute liberté de discours est annulée ; mais cela va contre notre conclusion antérieure ; donc il est licite au philosophe de philosopher tout en s’abstrayant de l’autorité sacrée. Je nie la majeure parce que la liberté de philosopher n’est pas donnée pour admettre les erreurs mais qu’elle a ses limites et, dépendant de la raison humaine, elle est faillible, elle doit se connaître elle-même et obéir avec révérence à la très haute autorité sacrée.


Patrick Moulin, alias @dsirmtcom, mars 2022.

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10 commentaires sur “José Agustín Caballero, Philosophia Electiva – Première dissertation – La Philosophie en général

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