NC – Rencontres méditerranéennes, Albert Camus et la pensée de midi

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 38

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

La pensée de midi, ce n’est pas celle qui nous occuperait au milieu du jour, à l’heure où ce même jour bascule vers le crépuscule. Ce n’est pas non plus la pensée du Midi, celle qui définirait un territoire ensoleillé – perpétuellement, cela va sans dire – et propre à faire rêver celles et ceux qui vivent dans la grisaille quotidienne. p. 9.

Parler, agir, être juste, deviennent alors des qualités solaires – on dit “parler d’or”, “c’est plus agréable avec le soleil” et “la bonté vaut de l’or”. p. 9.

En cela se tient la révolution : à chaque jour suffit sa peine, sa joie aussi et surtout, car au jour succède le jour. […] La pensée de midi : à midi, le choix entre l’immobile et l’é-mouvant. À chacun de se penser responsable. Difficile ? Oui. Possible ? Oui. p. 8-9.

[La] nature et l’existence dispensent parfois des instants de plénitude sacrée que la pensée de midi, d’ailleurs, n’ignore pas. Mais en quoi la révolte, vécue pleinement, peut-elle mener au-delà du nihilisme ? C’est qu’elle permet de faire surgir l’affirmation de la négation, le oui du non, le consentement du refus. p. 11.

“Sur une même chose, on ne pense pas de même façon le matin ou le soir. Mais où est le vrai, dans la pensée de la nuit ou l’esprit de midi ? Deux réponses, deux races d’hommes.” [Camus, Cahier II] p. 12.

La pensée de midi est donc une pensée, mais une pensée centrée sur le jeu d’oppositions et de métaphores, où le soleil, la lumière et l’ombre occupent une place centrale. Il s’agit d’une pensée où l’écriture poétique est requise par ce qu’elle essaie de penser. Et de ce jeu d’oppositions […] naît une mesure qui change et doit être remesurée avec le temps qu’il fait et le temps qui passe. p. 12-13.

“Il y a cent cinquante ans, on s’attendrissait sur les lacs et la forêt. Aujourd’hui, nous avons le lyrisme cellulaire.” [Camus, La Chute]. p. 29.

Philosophie des limites, la pensée de midi, dans sa quête d’un équilibre humain, de l’harmonie du corps et de l’esprit, d’un homme sensible et raisonnable, invite tout un chacun à connaître ses possibilités, autrement dit ses limites et ses pouvoirs. p. 36.

À la question de savoir ce qui est le plus important, de la lune ou du soleil, de “la pensée de midi” ou de “la pensée de minuit”, je ne puis m’empêcher de songer à l’imparable réponse des Sages de Chelm : “La lune, car elle éclaire la nuit. Le soleil, c’est le jour, on n’en a pas besoin.” C’était avant leur extermination par les nazis. p. 58.

“Nous sommes au temps des âmes humides” [Albert Camus parle de René Char]. p. 62.

“Le soleil de la connaissance se tient une fois de plus en plein midi : le serpent de l’éternité rampe dans sa lumière – voici votre moment à vous, frères de midi.” [Nietzsche]. Note n° 2, p. 74.

C’est “le midi de la vie”, le moment où “le soleil tombe à pic sur la tête » et où “l’âme est prise d’une singulière envie de repos”. Midi désigne le moment de la libération des soucis et des petitesses de la vie encadrée dans les structures de la Raison calculatrice, où la chaîne du temps linéaire s’arrête et où tous les êtres de la nature apparaissent dans une lumière nouvelle avec “une expression d’éternité sur le visage”. p. 74-75.

La “pensée solaire”, ou pensée de midi, marque chez Camus la décision de se situer en dehors du rationalisme mais pas en dehors de l’intelligence. p. 77.

Au “midi” de la pensée, qui annonce le déclin de l’homme du ressentiment et de sa divinité meurtrière, l’homme révolté incarne un effort de connaissance et d’action lucide et créative, qui aspire à se modeler sur la “vertu qui donne” du Zarathoustra nietzschéen. p. 79.

“[Cet esprit] qui mesure la vie, [qui] est celui-là même qui anime la longue tradition de ce qu’on peut appeler la pensée solaire et où, depuis les Grecs, la nature a toujours été équilibrée au devenir” ? [Camus, L’Homme révolté, p. 372-373]. p. 84.

“Yo soy yo y mi circunstancia” [Je suis moi et ma circonstance]. [Ortega, Meditaciones del Quijote]. p. 86.

Chaque “yo” avec son paysage ; chaque paysage avec son “yo”. Chaque vie exprime un point de vue unique, et vaut dans la mesure de sa fidélité au poste qu’elle tient dans le monde. […] Reconnaître la limite de son propre horizon, rechercher l’originalité de sa position, même en sachant que celle-ci n’est qu’un point de vue, permet à l’homme de rester fidèle à sa condition et de s’ouvrir aux autres dans leur différence, leur rythme, leur musique propre. p. 87.

Ortega relève que la “sensibilité” nihiliste est malade de “presbytie”, au sens où elle mésestime l’immédiat et le proche, alors qu’elle vénère le lointain et le mystérieux. p. 89.

“Le plus grand en l’humain, c’est du Cervantès : avoir tant souffert qu’il sourie à tout” [Ortega, CJE]. p. 93.

C’est le sourire de la mesure qui fonde une éthique solaire. p. 97.

“Vivre en zigzag ! […] L’esprit zigzagant ne va pas d’une vérité à une autre ; ce serait la ligne droite. Il va d’une vérité à une erreur, de cette erreur à une autre vérité, et pour lui l’important n’est pas le point d’arrivée ni le point de départ, mais précisément ce mouvement indécis d’un pôle à un autre.” [Ortega]. p. 102-103.

Camus […] connaît notre dette à l’égard de la Grèce, tout particulièrement en ce qui concerne l’idée de mesure. / Aristote, quant à lui, se savait également “débiteur” à l’égard d’une tradition grecque qui lui était antérieure et qui faisait l’éloge de la mesure. p. 107.

Il faut attendre Nietzsche pour que ce “cliché” [de la juste mesure] soit complété : la belle mesure d’Apollon n’est pas le seul aspect, et La Naissance de la tragédie nous montre qu’elle est contrebalancée par l’instinct de démesure, l’ivresse de Dionysos. p. 108.

La pensée de midi […] est comme l’équilibre en physique, tension entre des opposés puis dépassement de leur contradiction. p. 114.

Cette mesure camusienne est une “pensée solaire”, et l’on pourrait dire, en citant Le Cimetière marin de Valéry, qu’elle est celle de “midi le juste”. p. 116.

“La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifiera la fin ? À cette question que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens.” [Camus, L’Homme révolté, p. 365]. p. 117.

Nous sommes devenus des fous de la mesure, des obsédés de la norme. [Canguilhem], citant les Grecs et se fondant sur la médecine hippocratique, avait mis en garde : si la juste mesure à laquelle nous aspirons devient une norme dictatoriale, un chiffre unique auquel tous doivent se conformer, alors nous n’atteindrons pas l’équilibre. p. 118-119.

Dans la mythologie grecque, [Némésis] déesse de la justice, de la mesure et du partage, elle est celle qui se fâche quand l’équilibre du monde est rompu ; si un désordre se déclare, elle souhaite réajuster la balance. La mesure, pour Camus, est ce qui s’oppose à l’hubris, au déchaînement incontrôlé des passions et de la violence. Il s’agit toujours, pour lui, de trouver la mesure dans la démesure. p. 127.

Ainsi le soleil […] a contribué à détruire “l’équilibre du jour”. p. 128.

“Non, un homme, ça s’empêche !” Cette parole énoncée avec simplicité n’est-elle pas aussi un fondement de la pensée des limites ? p. 135.

“En somme, je vais parler de ceux que j’aimais.” [Camus, Le Premier Homme, p. 357]. p. 135.

Et si la tragédie de l’homme tient au mystère de ce qu’il est, elle tient aussi et plus immédiatement à ses relations à l’autre, à sa condition dans la cité. “Ne vivent seuls que les monstres et les dieux”, dit Aristote. “Être, c’est coexister”, pose, vingt siècles plus tard, Gabriel Marcel. p. 137.

La loi est une nécessité du vivre-ensemble. Mais à lui subordonner à l’excès le juge, elle a une vocation à l’uniformité et au totalitaire ; elle ne relève plus alors du droit mais davantage d’un système normatif, œuvre des forces dominantes ; elle appelle alors la critique, la contestation, au-delà la subversion… La loi injuste n’a pas de légitimité. p. 139.

Bibliographie

RENCONTRES MÉDITERRANÉENNES ALBERT CAMUS (Ouvrage collectif), Albert Camus et la pensée de midi, Avignon, Éditions A. Barthélemy, 2016.

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