NC — Ricœur, Soi-même comme un autre — Préface

Notes contemplatives de lecture — Note contemplative n° 43

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[Le sous-titre de la préface est : “La question de l’ipséité”.]

Par le titre Soi-même comme un autre, j’ai voulu désigner le point de convergence entre les trois intentions philosophiques majeures qui ont présidé à l’élaboration des études qui composent cet ouvrage. / La première intention est de marquer le primat de la médiation réflexive sur la position immédiate du sujet, telle qu’elle s’exprime à la première personne du singulier : “je pense”, “je suis”. Cette première intention trouve un appui dans la grammaire des langues naturelles lorsque celle-ci permet d’opposer “soi” à “je”. p. 11.

La seconde intention philosophique […] est de dissocier deux significations majeures de l’identité […] selon que l’on entend par identique l’équivalent de l’idem ou de l’ipse latin. L’équivocité du terme “identique” sera au cœur de nos réflexions sur l’identité personnelle et l’identité narrative, en rapport avec un caractère majeur du soi, à savoir sa temporalité. L’identité, au sens d’idem, déploie d’elle-même une hiérarchie de significations […] dont la permanence dans le temps constitue le degré le plus élevé, à quoi s’oppose le différent, au sens de changeant, variable. Notre thèse constante sera que l’identité au sens d’ipse n’implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la personnalité. p. 12-13.

La troisième intention philosophique […] s’enchaîne avec la précédente, en ce sens que l’identité-ipse met en jeu une dialectique complémentaire de l’ipséité et de la mêmeté, à savoir la dialectique du soi et de l’autre que soi. p. 13.

Soi-même comme un autre suggère d’entrée de jeu que l’ipséité du soi-même implique l’altérité à un degré si intime que l’une ne se laisse pas penser sans l’autre […]. Au “comme”, nous voudrions attacher la signification forte, non pas seulement d’une comparaison — soi-même semblable à un autre —, mais bien d’une implication : soi-même en tant que… autre. p. 14.

Dans tous les cas de figure, le sujet, c’est “je”. C’est pourquoi l’expression philosophies du sujet est tenue ici pour équivalente à philosophies du Cogito. p. 14.

Le Cogito n’a aucune signification philosophique forte, si sa position n’est pas habitée par une ambition de fondation dernière, ultime. p. 15.

C’est bien là une proposition existentielle : le verbe “être” y est pris absolument et non comme copule : “je suis, j’existe ». p. 17.

Cet acte de penser, encore sans objet déterminé, suffit à vaincre le doute, parce que le doute le contient déjà. Et, comme le doute est volontaire et libre, la pensée se pose en posant le doute. C’est dans ce sens que le “j’existe pensant” est une première vérité, c’est-à-dire une vérité que rien ne précède. p. 18.

La certitude du Cogito donne de la vérité une version seulement subjective […]. [La démonstration de Dieu] renverse l’ordre de la découverte, ou ordo cognoscendi, qui devrait à lui seul, si le Cogito était à tous égards vérité première, conduire du moi à Dieu, puis aux essences mathématiques, puis aux choses sensibles et aux corps ; et elle le renverse au bénéfice d’un autre ordre, celui de la “vérité de la chose”, ou ordo essendi : ordre synthétique selon lequel Dieu, simple chaînon dans le premier ordre, devient le premier anneau. p. 19.

Une alternative semble alors ouverte : ou bien le Cogito a valeur de fondement, mais c’est une vérité stérile à laquelle il ne peut être donné une suite sans rupture de l’ordre des raisons ; ou bien, c’est l’idée du parfait qui le fonde dans sa condition d’être fini, et la première vérité perd l’auréole du premier fondement. p. 21.

Pour éviter de tomber dans un idéalisme subjectiviste, le “je pense” […] doit devenir le “je pense” kantien, dont la Déduction transcendantale dit qu’il “doit pouvoir accompagner toutes mes représentations”. La problématique du soi en ressort en un sens magnifiée, mais au prix de la perte de son rapport avec la personne dont on parle, avec le je-tu de l’interlocution, avec l’identité d’une personne historique, avec le soi de la responsabilité. p. 21-22.

Le Cogito brisé : tel pourrait être le titre emblématique d’une tradition, sans doute moins continue que celle du Cogito, mais dont la virulence culmine avec Nietzsche, faisant de celui-ci le vis-à-vis privilégié de Descartes. p. 22.

[Mon propos] est de montrer dans l’anti-Cogito de Nietzsche non pas l’inverse du Cogito cartésien, mais la destruction de la question même à laquelle le Cogito était censé apporter une réponse absolue. p. 25.

Nietzsche ne dit pas autre chose […] que ceci : je doute mieux que Descartes. p. 27.

Nietzsche ne dit pas dogmatiquement […] que le sujet est multiplicité : il essaie cette idée ; il joue en quelque sorte avec l’idée d’une multiplicité de sujets luttant entre eux, comme autant de “cellules” en rébellion contre l’instance dirigeante. p. 27.

Sujet exalté, sujet humilié : c’est toujours, semble-t-il, par un tel renversement du pour au contre qu’on s’approche du sujet ; d’où il faudrait conclure que le “je” des philosophies du sujet est atopos, sans place assurée dans le discours. p. 27.

[Le] discours philosophique répond au niveau conceptuel aux trois traits fondamentaux évoqués plus haut, à savoir l’usage du se et du soi en cas obliques, le dédoublement du même selon le régime de l’idem et de l’ipse, la corrélation entre soi et l’autre que soi. À ces trois traits grammaticaux correspondent trois traits majeurs de l’herméneutique de soi, à savoir : le détour de la réflexion par l’analyse, la dialectique de l’ipséité et de la mêmeté, celle enfin de l’ipséité et de l’altérité. p. 28.

Quatre sous-ensembles correspondent ainsi à quatre manières d’interroger : qui parle ? qui agit ? qui se raconte ? qui est le sujet moral d’imputation ? […] Le premier sous-ensemble relève d’une philosophie du langage, sous le double aspect d’une sémantique et d’une pragmatique. […] Le deuxième sous-ensemble relève d’une philosophie de l’action, au sens limité que le terme a pris principalement en philosophie analytique. […] Cette sorte de concurrence entre philosophie analytique et herméneutique se continue dans le troisième sous-ensemble, où la question de l’identité personnelle se pose au point d’intersection des deux traditions philosophiques. La question de l’identité, liée à celle de la temporalité, sera reprise […] sous le titre de “l’identité narrative” […]. Il reviendra au quatrième sous-ensemble de proposer un dernier détour par les déterminations éthiques et morales de l’action, rapportées aux catégories du bon et de l’obligatoire. Ainsi seront portées au jour les dimensions elles-mêmes éthiques et morales d’un sujet à qui l’action, bonne ou non, faite par devoir ou non, peut être imputée. p. 28-30.

Dire soi, ce n’est pas dire je. Le je se pose — ou est déposé. Le soi est impliqué à titre réfléchi dans des opérations dont l’analyse précède le retour vers lui-même. Sur cette dialectique de l’analyse et de la réflexion se greffe celle de l’ipse et de l’idem. p. 30.

En introduisant la problématique du soi par la question qui ?, nous avons du même mouvement ouvert le champ à une véritable polysémie inhérente à cette question même : qui parle de quoi ? qui fait quoi ? de qui et de quoi fait-on récit ? qui est moralement responsable de quoi ? p. 31.

Alors que la croyance doxique s’inscrit dans la grammaire du “je crois-que”, l’attestation relève de celle du “je crois-en”. Par là elle se rapproche du témoignage, comme l’étymologie le rappelle, dans la mesure où c’est en la parole du témoin que l’on croit. p. 33.

[Le] soupçon est le contraire spécifique de l’attestation. La parenté entre attestation et témoignage se vérifie ici : il n’y a pas de “vrai” témoin sans “faux” témoin. p. 34.

[Une] chose est de répondre à une question, au sens de résoudre un problème posé, une autre de répondre à un appel […]. p. 37.

Bibliographie

RICŒUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Éditions Points, 2015.

Voir aussi

Carnet de vocabulaire philosophique : Herméneutique ; Ipséité (Eccéité et Idem).

Note contemplative : Ricœur, Soi-même comme un autre — Préface ; #5 L’identité personnelle et l’identité narrative ; #6 Le soi et l’identité narrative ; #7 Le soi et la visée éthique.


Dsirmtcom, janvier 2023.

Notes contemplatives de lecture

Philosophie, Mardi c’est Philosophie, #MardiCestPhilosophie, Contemplation, Notes contemplatives, Ricœur, Soi, Moi, Autre, Autrui, Visée, Éthique, Morale, Mœurs, Qui, Institution, Bon, Bien, Juste, Justice, Injustice, Vie, Bonheur, Souverain Bien, Juger, Jugement, Égalité, Herméneutique, Ipséité, Interprétation, Vivre, Bien-vivre, Ensemble, Société, Communauté, Politique, Action, Agir, Amitié, Souffrance, Douleur, Visage, Épiphanie, Reconnaissance, Spontanéité, Bienveillance, Bienfaisance, Mentale, Physique, Règles, Normes, Loi, Ethos, Relations, Sollicitude, Estime de soi, Devoir, Légitimité, Pratique, Attestation, Discours, Acte, Expérience, Décision, Choix, Certitude, Téléologie, Déontologie, Accomplir, Accompli, Universalité, Prédicat, Ipse, Idem, Ipséité, Mêmeté, Mienneté, Eccéité, Caractère, Parole, Habitude, Ressemblance, Dissemblance, Personne, Personnelle, Narrative, Narration, Identité, Récit, Temps, Apophatique, Néant, Sujet, Descartes, Nietzsche

#Philosophie #MardiCestPhilosophie #Contemplation #Ricœur #Je #Soi #Autre #Ipse #Idem #Ipséité #Mêmeté #Identité #Cogito #Sujet

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.