NC – Lie-Tseu, Les Fables de Maître Lie – Le Vrai Classique du Vide Parfait

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 59

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Ce qui crée les êtres est incréé, ce qui le meut immuable. Naissance et transformation, forme et couleur, force et intelligence, essor et déclin, tout cela a lieu spontanément sans intervention d’un agent extérieur produisant naissance, transformation, forme, couleur, intelligence, force, essor et déclin. p. 20.

Le regardant on ne le voit pas : on le nomme l’invisible ; l’écoutant, on ne l’entend pas : on le nomme l’inaudible ; l’étreignant, on ne le saisit pas : on le nomme le labile. p. 20.

Tout ce qui a forme est promis à disparition. L’univers aura-t-il une fin ? À vrai dire, il disparaît avec moi. Mais cette fin est-elle définitive ? C’est ce que je ne puis savoir. p. 22.

La vie a pour principe constitutif la finitude : ce qui est mortel ne peut échapper à la nécessité de sa mort, comme ce qui est vivant n’a pu se soustraire à la fatalité de sa naissance. Aussi est-ce ne rien comprendre à la loi naturelle que d’aspirer à prolonger sa vie indéfiniment et à retarder le moment de sa fin. p. 23.

La pauvreté est le lot habituel de l’homme de bien, et la mort le destin commun à l’humanité. Pourquoi s’affliger de ce qui est le lot habituel et le destin commun ? p. 24.

Tous les hommes ont les mêmes motifs que moi de se réjouir, mais ils ne savent que s’en lamenter […]. C’est parce que, jeune, j’ai manqué de persévérance et, qu’adulte, je n’ai pas pu saisir les occasions, que j’ai pu atteindre un âge aussi avancé. Et c’est parce que, vieux, je me retrouve sans femme ni enfants, alors que l’heure de ma fin va bientôt sonner, que je me sens si joyeux. p. 24.

Grande est la mort ! […] repos de l’homme de bien, cachette de l’homme de peu ! p. 25.

Qui voyage sans songer au retour risque fort de ne jamais retrouver sa maison. p. 25.

Le vide n’a pas de prix. […] Rien de tel que la quiétude, rien de tel que le vide ! Grâce à la quiétude, grâce au vide on trouve son lieu ; mais sitôt qu’il y a échange on perd pied. p. 26.

J’étais réellement inconscient de mes actes et du danger encouru, tant ma volonté était concentrée sur ce seul but. Voilà pourquoi rien ne pouvait me faire obstacle. p. 36.

La maladresse vient de ce que le dehors prend le pas sur le dedans. p. 38.

[La] parole suprême est dans la non-parole, l’agir suprême est dans le non-agir. Ce que connaît l’intelligence ne peut être que superficiel. p. 40.

Mon maître appartient à la race de ceux qui sont capables de s’abstenir de ce dont ils sont capables. p. 41.

Ce qu’il y avait d’affecté en lui retrouva sa simplicité première. Il resta solitaire comme une souche en tête-à-tête avec lui-même, confus et fermé. Il se tint depuis lors dans la totalité retrouvée jusqu’à la fin de ses jours. p. 42.

[Pour] émouvoir autrui, il faut manifester ses qualités profondes. p. 43.

Il existe une voie qui mène immanquablement à la victoire et une voie qui mène immanquablement à la défaite. La première s’appelle faiblesse, la seconde force. […] Ce qui signifie que l’on ne pense pas à la victoire sur autrui mais sur soi-même, que l’on ne pense plus à prendre en charge l’empire, mais soi-même. p. 44.

Les dents ont beau être plus solides que la langue, elles s’usent avant elle. [Lao Tseu] p. 45.

En quoi donc l’intelligence des animaux est-elle inférieure à celle des humains ? Nous ne sommes sensibles qu’à la différence d’aspect et de voix des bêtes que parce que nous ignorons les moyens d’entrer en communication avec elles. p. 46.

Toi et moi ne sommes que des illusions. Qu’y a-t-il d’autre à apprendre ? p. 52.

Qui a obtenu ce qu’il voulait se tait, qui a atteint à la connaissance fait de même. Se servir du silence comme d’une parole, c’est encore parler ; faire de la non-connaissance un moyen de connaissance, c’est encore connaître ; de même faire du silence la non-parole, et de l’ignorance la nescience, c’est là aussi une manière de s’exprimer, une façon de connaître. p. 63.

La cécité guette les vues perçantes, la surdité les ouïes aiguisées, l’agueusie les fins palais, l’anosmie les bons nez, la crampe les pieds véloces, la confusion mentale les têtes bien faites. Car il ne saurait y avoir renversement sans apogée. p. 66.

Ce sont toujours ceux qui n’ont ni science ni compétence qui commandent et dirigent ceux qui possèdent la science et les compétences, et inversement ceux qui détiennent la science et la compétence qui sont au service de ceux qui en sont dépourvus. Vous les administrateurs du pays, c’est nous qui vous employons […]. p. 66-67.

“Que ton moi soit sans attaches et les choses se manifesteront dans leur vérité. En mouvement, sois l’eau, au repos un miroir, en répondant un écho.” […] Sa doctrine prônait donc le mimétisme avec les choses. […] Connaître tout en ignorant les passions, avoir la capacité en refusant d’en faire usage, voilà la vraie connaissance et la vraie capacité. p. 70.

Au Tch’ou, il existe une sorte d’arbre appelé ming-ling dont la floraison prend cinq cents ans, et la chute des feuilles encore cinq cents ans. Dans la très haute Antiquité croissait une espèce de cèdre géant pour qui huit mille ans valaient un printemps et huit mille autres années un automne. Les champignons poussés sur le fumier ne vivent qu’une journée ; à la belle saison les moustiques nés avec la pluie meurent aux premiers rayons. p. 73.

Néanmoins si le milieu diffère par le climat et le relief, tous les êtres vivants sont semblables par l’instinct et les affects. Ils ne s’emploient qu’à persévérer dans leur être ; et une fois nés, ils ne pensent qu’à s’accomplir, ayant reçu en partage de quoi satisfaire leurs appétits. p. 74.

Il est vain de vouloir allonger ce qui est long par soi-même ou de raccourcir ce qui est court par soi-même. Ce sont des états de fait qui échappent à nos projets. p. 97.

Le Destin est cet écheveau confus et embrouillé qui, quoi qu’on fasse, se noue aujourd’hui pour se dénouer demain, sans que l’on en comprenne le pourquoi. p. 97.

Quand je n’avais pas encore de fils je n’en éprouvais pas de chagrin ; maintenant que mon fils est mort, me voilà revenu à la situation initiale. Pourquoi me chagriner ? p. 100.

Le vrai mérite est sans renom, le renom est sans vrai mérite. Car toute réputation est nécessairement usurpée. p. 102.

Les tas d’ossements se ressemblent tous ; qui peut deviner qu’ils furent des hommes différents ? Jouissons donc du moment présent sans nous soucier de ce qui peut advenir après notre mort ! p. 103.

Il est un vieux dicton qui dit : “Aie pitié des vivants et néglige les morts”, je ne sais précepte plus juste. p. 104.

Une fois mort, plus rien n’importe. Que l’on m’incinère, m’immerge, m’enfouisse, ou m’expose, que l’on jette mon cadavre recouvert de paille dans un fossé, ou qu’on le dépose revêtu de riches atours dans un sarcophage de marbre, peu me chaut ; laissons faire le hasard. p. 105.

Nous avons très tôt tout entendu, tout vu, tout éprouvé. p. 109.

Si un poil de ton corps pouvait sauver le monde, est-ce que tu l’arracherais ? […] Il est clair qu’un poil est peu de chose comparé à un morceau de derme et un morceau de derme peu de chose comparé à un membre ; toutefois les poils finissent par constituer le derme et le derme un membre. Un poil est un des composants de notre corps, et même s’il n’en représente qu’une infime parcelle il n’y a aucune raison de le mépriser. p. 110.

Tant il est vrai que celui qui règle les grandes affaires ne s’embarrasse pas de détails et que celui qui accomplit une grande œuvre ne s’arrête pas aux petits succès. p. 113.

Un vieux proverbe dit : “Laissez un paysan s’asseoir, vous le tuez !” p. 114.

Les belles paroles produisent un bel écho ; les vilaines paroles un vilain. L’ombre est longue quand la forme est longue, courte quand elle est courte : le renom est comme l’écho, la conduite comme l’ombre. […] Si l’aune est donnée par sa personne, la pierre de touche se trouve en autrui. p. 117.

Le sage […] sait se décharger sur autrui, en sorte que, même vieux, il ne connaît pas le déclin, et qu’il garde la tête claire, ayant su solliciter l’intelligence de tous. Aussi l’art de gouverner consiste-t-il moins à user de son intelligence qu’à savoir la reconnaître chez autrui. p. 119.

Si la nature mettait trois ans pour produire une feuille, il y en aurait bien peu de par le monde ! Le saint se fie au pouvoir créateur de la nature et non à l’habileté technique. p. 119.

Ce n’est pas la victoire qui est difficile, mais de savoir la conserver. […] C’est pourquoi celui qui sait préserver sa victoire s’emploie à faire passer sa force pour de la faiblesse. p. 124.

L’essentiel est la personne, je n’ai pas voulu vous répondre sur l’accessoire. p. 126.

L’homme de bien n’expose pas sa vie pour conserver ce qui sert à son entretien. p. 127.

Du seul fait qu’elle est offerte par un voleur, considérer que la nourriture elle-même est un voleur et refuser de l’ingérer, c’est confondre le nom et la chose. p. 129.

On ne fait pas le bien pour la réputation, mais il l’attire ; on n’espère pas de profit de la réputation, mais elle l’attire ; on n’espère pas de conflit du profit, mais il l’attire. C’est pourquoi le sage est circonspect quand il fait le bien. p. 131.

Il peut fort bien se produire que l’on soit en possession d’une recette que l’on est incapable d’appliquer soi-même, comme inversement l’on peut avoir les capacités pour l’appliquer, mais ne pas la posséder. p. 132.

Un homme avait perdu sa hache. Ses soupçons se portèrent sur le fils de son voisin. Sa démarche était celle d’un voleur de hache, sa mine était celle d’un voleur de hache, ses propos étaient ceux d’un voleur de hache, toute sa conduite et son comportement étaient ceux d’un voleur de hache. Un beau jour, il retrouva sa hache en creusant un fossé. Le lendemain, quand il aperçut le fils de son voisin, celui-ci n’avait plus rien d’un voleur de hache. p. 134.

Quand on a l’esprit ailleurs, le pied trébuche en butant sur les souches ou les fondrières, la tête se cogne aux arbres sans même qu’on s’en aperçoive. p. 134.

Bibliographie

LIE-TSEU, Les Fables de Maître Lie, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2014.

Voir aussi

« Nous n’aurons pas le Temps – Consolation de l’Éphémère »

« De Socrate à Descartes », Fiche de lecture n° 4, Arrien, Le “Manuel” d’Épictète.

Carnet de Vocabulaire Philosophique : Éphémère ; Épochè ; Impermanence ; Logos.

Doctrines et Vies des Philosophes Illustres : Aristote ; Bergson ; Descartes ; Épictète ; Kant ; Pyrrhon ; Socrate.

Fiches de lecture : Platon : Cratyle, Phèdre ; Sénèque : De la brièveté de la vie, De la Tranquillité de l’âme, De l’oisiveté, Lettres à Lucilius ; Thich Nhat Hanh, Transformation et guérison.

Notes contemplatives : Agamben, Pinocchio ; Berkeley, Principes de la connaissance humaine ; Boèce, La Consolation de Philosophie ; Carroll, Alice au Pays des merveilles ; Conche, Temps et destin ; Confucius, Entretiens avec ses disciples ; Les Cyniques grecs : Fragments et témoignages ; Dante, La Divine Comédie ; De Martino, Morts et pleurs rituels ; Grenier, L’esprit du Tao ; Hadot, N’oublie pas de vivre ; Héraclite, Fragments ; Hume, Enquête sur l’entendement humain ; Kleist, Sur le théâtre de marionnettes ; Lie-Tseu, Les Fables de Maître Lie ; Marcel, Homo viator ; Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, Le Gai-Savoir ; Parménide, Le Poème ; Quignard : Les désarçonnés, les Ombres errantes, Sur le jadis ; Sénèque, Consolations ; Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes ; Tchouang-Tseu, Les Œuvres de Maître Tchouang ; Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.


Dsirmtcom, mai 2023.

Notes contemplatives de lecture

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