NC – Albert Camus, L’Envers et l’Endroit

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 48

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[L’ouvrage est dédicacé à Jean Grenier.]

Préface

Les essais qui sont réunis dans ce volume ont été écrits en 1935 et 1936 (j’avais alors vingt-deux ans) et publiés un an après, en Algérie, à un très petit nombre d’exemplaires. […] La question de sa valeur littéraire étant réglée, je puis avouer, en effet, que la valeur de témoignage de ce petit livre est, pour moi, considérable. Je dis bien pour moi, car c’est devant moi qu’il témoigne, c’est de moi qu’il exige une fidélité dont je suis seul à connaître la profondeur et les difficultés. p. 11.

Chaque artiste garde ainsi, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit. […] Pour moi, je sais que ma source est dans L’Envers et l’Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction. p. 12.

Pour corriger une indifférence naturelle, je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil. La misère m’empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l’histoire ; le soleil m’apprit que l’histoire n’est pas tout. Changer la vie, oui, mais non le monde dont je faisais ma divinité. p. 13.

Il n’est pas d’art sans refus ni sans consentement. p. 13.

Par son seul silence, sa réserve, sa fierté naturelle et sobre, cette famille, qui ne savait même pas lire, m’a donné alors mes plus hautes leçons, qui durent toujours. p. 14.

On trouve dans le monde beaucoup d’injustice, mais il en est une dont on ne parle jamais, qui est celle du climat. p. 14.

L’écrivain a, naturellement, des joies pour lesquelles il vit et qui suffisent à le combler. Mais, pour moi, je les rencontre au moment de la conception, à la seconde où le sujet se révèle, où l’articulation de l’œuvre se dessine devant la sensibilité soudain clairvoyante, à ces moments délicieux où l’imagination se confond tout à fait avec l’intelligence. Ces instants passent comme ils sont nés. Reste l’exécution, c’est-à-dire une longue peine. p. 17.

Les solitudes réunissent ceux que la société sépare. p. 18.

Relisant L’Envers et l’Endroit après tant d’années, pour cette édition, je sais instinctivement devant certaines pages, et malgré les maladresses, que c’est cela. Cela, c’est-à-dire cette vieille femme, une mère silencieuse, la pauvreté, la lumière sur les oliviers d’Italie, l’amour solitaire et peuplé, tout ce qui témoigne, à mes propres yeux, de la vérité. p. 19.

Avec de l’énergie, […] on arrive parfois à se conduire selon la morale, non à être. p. 20.

Simplement, le jour où l’équilibre s’établira entre ce que je suis et ce que je dis, ce jour-là peut-être, et j’ose à peine l’écrire, je pourrai bâtir l’œuvre dont je rêve. p. 21.

Une œuvre d’homme n’est rien d’autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l’art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur, une première fois, s’est ouvert. p. 23.

L’Envers et l’Endroit

Tout ça ne se concilie pas ? La belle vérité. Une femme qu’on abandonne pour aller au cinéma, un vieil homme qu’on n’écoute plus, une mort qui ne rachète rien et puis, de l’autre côté, toute la lumière du monde. Qu’est-ce que ça fait, si on accepte tout ? Il s’agit de trois destins semblables et pourtant différents. La mort pour tous, mais à chacun sa mort. Après tout, le soleil nous chauffe quand même les os. p. 36.

S’il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu’on a perdus, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d’inhumain qui m’habite aujourd’hui. Un émigrant revient dans sa patrie. Et moi, je me souviens. p. 39.

C’est peut-être cela le bonheur, le sentiment apitoyé de notre malheur. p. 40.

Il y a une solitude dans la pauvreté, mais une solitude qui rend son prix à chaque chose. p. 41.

Chaque fois qu’il m’a semblé éprouver le sens profond du monde, c’est sa simplicité qui m’a toujours bouleversé. p. 45.

Et un beau sourire sans lèvres se fond sur son visage. C’est vrai, il ne lui a jamais parlé. Mais quel besoin, en vérité ? à se taire, la situation s’éclaircit. Il est son fils, elle est sa mère. Elle peut lui dire : “Tu sais.” p. 46.

Je ne sais plus si je vis ou si je me souviens. p. 48.

Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Qu’on ne nous raconte pas d’histoires. Qu’on ne nous dise pas du condamné à mort : “Il va payer sa dette à la société”, mais : “On va lui couper le cou.” Ça n’a l’air de rien. Mais ça fait une petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent regarder leur destin dans les yeux. p. 48

Tout pays où je m’ennuie est un pays qui ne m’apprend rien. p. 53.

Truc classique : je voulais résoudre ma révolte en mélancolie. p. 54.

L’homme est face à face avec lui-même : je le défie d’être heureux… Et c’est pourtant par là que le voyage l’illumine. Un grand désaccord se fait entre lui et les choses. Dans ce cœur moins solide, la musique du monde entre plus aisément. Dans ce grand dénuement enfin, le moindre arbre isolé devient la plus tendre et la plus fragile des images. p. 55.

À cette extrême pointe de l’extrême conscience, tout se rejoignait et ma vie m’apparaissait comme un bloc à rejeter ou à recevoir. J’avais besoin d’une grandeur. p. 61.

Et jamais peut-être un pays, sinon la Méditerranée, ne m’a porté à la fois si loin et si près de moi-même. p. 67.

Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre. p. 69.

Si j’essaie de m’atteindre, c’est tout au fond de cette lumière. Et si je tente de comprendre et de savourer cette délicate saveur qui livre le secret du monde, c’est moi-même que je trouve au fond de l’univers. Moi-même, c’est-à-dire cette extrême émotion qui me délivre du décor. p. 75.

Laissez donc ceux qui veulent tourner le dos au monde. Je ne me plains pas puisque je me regarde naître. À cette heure, tout mon royaume est de ce monde. p. 75.

Ce n’est plus d’être heureux que je souhaite maintenant, mais seulement d’être conscient. p. 76.

Entre cet endroit et cet envers du monde, je ne veux pas choisir, je n’aime pas qu’on choisisse. p. 76.

Mais c’est curieux tout de même comme nous vivons parmi des gens pressés. p. 76.

Bibliographie

Camus A., L’Envers et l’Endroit, Paris, Gallimard, Folioplus classiques, 2020.

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