NC – Jean Grenier, L’esprit du Tao

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 55

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[Si] le mot “sagesse” qu’il est “convenu” d’employer convient peu, c’est bien au taoïsme qui est plutôt une folie et se présente comme telle. Une folie qui consiste à n’intervenir jamais et d’aucune façon dans le cours naturel des choses, alors que toute sagesse est une interprétation et une canalisation et une correction de ce cours, même si elle prétend ne faire que la prolonger. / Or, quand on a assez écouté les sages, il est bon de prêter l’oreille aux fous, surtout ceux qui ne se piquent pas de nous apprendre quelque chose, puisqu’ils essaient eux-mêmes de désapprendre et d’arriver à laisser passer en eux ce rayon de lumière que nous faisons tout pour arrêter. p. 8.

L’exposé d’une doctrine, si favorable soit-il à cette doctrine, ne signifie pas qu’on souhaite qu’elle soit adoptée. p. 9.

Il n’est pourtant pas inutile de connaître ce qui nous est le plus étranger. Qui sait si nous n’y découvrirons pas des affinités avec une partie ignorée de nous-mêmes et qui nous rapproche de ce que nous pourrons, en tremblant, dire être un aspect de la vérité ? p. 10.

Le Tao est à la fois le chemin à parcourir et la fin du parcours, la méthode et l’accomplissement. p. 14.

Chaque chose, pour être ce qu’elle est, doit non seulement être quelque chose, mais encore n’être pas quelque chose. p. 16.

[Le] néant d’être ne peut être conçu comme existant [Cf. Tchouang-Tseu, 22, p. 186-187]. p. 16.

Celui qui croit connaître ne connaît pas. Mais celui qui sait qu’il ne peut rien connaître, celui-là saisit. p. 17.

[Les] deux grandes doctrines – le confucianisme et le taoïsme – adoptèrent ces principes du Tao et du yin-yang. Le premier les attribua même à son fondateur. Dans les deux cas, l’homme idéal sera celui qui a atteint le Tao, avec cette différence que le taoïste sera uni avec l’Absolu (que sera le Tao) de manière mystique, tandis que le confucianiste concevra l’ordre du monde sous un mode rationnel. p. 19.

Le yang et le yin sont de très anciennes conceptions chinoises. Le livre nommé y-king, parlant du ciel et de la terre, voit dans le premier le symbole de la force créatrice, dans le second sa manifestation féminine ; le Ciel n’a pas créé la Terre ; mais le Ciel est inséparable de la Terre, tous deux constituant le Cosmos. […] Cette dualité ne concerne pas l’Être éternel et primordial. […] La conception n’est pas matérialiste, mais naturaliste. […] C’est pourquoi ces antagonistes ne s’opposent pas irréductiblement ; au contraire, ils impriment un balancement aux choses qui a plutôt pour but d’assurer un équilibre. p. 47-48.

[Le taoïste] a profit à chercher le négatif et à redouter le positif ; autrement dit, à préférer une position extrême à l’autre au lieu de rester dans un milieu (qui appartiendrait plutôt à la sagesse confucéenne) – milieu stable dans la société, bien assuré sur ses fondements inébranlables de la famille, de l’Empire et des rites. Le taoïste est amené à se dire que si tout dans le monde est dans un balancement perpétuel il faut, lorsque le zénith est atteint et que le nadir est déjà en vue, n’avoir de regards que pour ce dernier, se reposer dans le pire et y mettre sa dilection. Rien ne lui manquera à partir du moment où son désir sera ce rien. p. 52-53.

Une doctrine qui regarde les oppositions comme de pures apparences mettra des états aussi différents pour nous que le rêve et la veille sur le même pied ; ce qui, à première vue, est plus compréhensible que de mettre à égalité la vie et la mort, puisque la veille et le rêve font partie de la vie et que la mort semble être un état radicalement différent. Mais tous les états, quels qu’ils soient, sont traités à égalité. p. 61.

Ne pourrait-on pas faire un rapprochement plus poussé qu’on ne fait d’habitude entre Socrate et [Confucius] ? Tous deux humanistes et moralistes avant tout, tous deux professant qu’ils n’ont ni compétence particulière ni savoir certain, mais s’exerçant à la discussion et n’écrivant pas, tous deux croyant que l’homme politique doit avant tout être un homme vertueux, tous deux enfin […] croyant qu’une force mystérieuse et supérieure à l’homme lui impose des devoirs, lui commande de ne pas déserter sa place, lui donne des avertissements secrets, et, sans que la religion populaire soit pour autant mise en cause, agissant comme si l’homme, pour être vraiment lui-même, devait avoir un écho. p. 92.

Chaque civilisation a eu son type de Sage, et à l’intérieur de chaque civilisation, chaque système de pensée. Chaque religion a eu son type de saint. Le taoïste modèle est-il un Sage ? Est-il un saint ? Il semble impossible d’en décider. […] Le même homme peut être considéré alors comme un sage ou comme un Saint, suivant que l’on considère ses efforts et sa réussite comme dus à sa nature ou à celle d’un principe supérieur. p. 105.

Ne rien faire de mal, de peur d’être puni ; ne rien faire de bien, de peur, ayant acquis une bonne réputation, d’être chargé de fonctions absorbantes et périlleuses. En général, agir comme si l’on n’était bon à rien, car on ne demande aucun service à ce qui est considéré comme inutile et l’on met à contribution ce qui est jugé pouvoir servir. […] Dans la mesure où nous ne nous glorifions de rien, nous sommes appréciés par les autres et nous sommes respectés, ce qui est le but essentiel à atteindre. p. 108-109.

Haïr les hommes, c’est encore s’intéresser à eux. p. 110.

L’inconscience est le facteur principal de l’influence, l’absence d’effort est la raison déterminante du succès. Si l’on veut, si l’on sait, on échoue. p. 111.

L’initiation au Tao est toute négative, puisque le but est d’arriver par un décapage de toutes les facultés à l’absolue simplicité primordiale. p. 111.

Si l’on veut maintenant avoir une image du sage taoïste – puisque toute idée portant sur la vie et ayant sa forme achevée peut se concrétiser en une image qui se substitue au “réel” dont on part – il faut prendre celle du miroir. p. 112.

Quelle que soit l’interprétation que l’on donne à Lao-Tseu, il demeure que le Non-Agir est la maxime fondamentale de la politique taoïste. […] La politique du Non-Agir taoïste avait à toutes les époques une racine dans les croyances les plus enracinées d’une grande civilisation et [elle] était l’expression de l’Agir de la Nature entière entendue dans le sens le plus fataliste. p. 138-139.

Le Tao ne fait pas la distinction entre un progrès scientifique considéré comme légitime par les Modernes et un progrès moral dont ils sont amenés à douter par de cruelles expériences. Il condamne les deux en même temps et cette condamnation globale est moins superficielle qu’on ne le croirait, elle est même assez logique. p. 140.

Le taoïste est vraiment l’homme de l’eau, comme le stoïcien l’homme du feu ; le passif par rapport à l’actif, ou plutôt le patient par rapport à l’agent. p. 169.

[En] n’agissant pas, en se tenant dans l’ombre, le Sage n’excite pas l’envie. C’est même pour lui un moyen, s’il le veut, de devenir un chef. Car celui qui prend de lui-même la dernière place sera mis par les autres à la première. p. 169.

[Les] contraires se succèdent sans cesse, la grandeur succède fortement à la petitesse, la force à la faiblesse, etc. Et l’être actif vient du non-être. Par conséquent, ne forçons rien et tout viendra à nous, et tout ira comme il faut. p. 169.

L’art du gouvernement des peuples est pareil à l’art du gouvernement de soi-même : agir sans agir. La récompense est attachée d’une manière immanente à ce non-agir : c’est le retour à l’état d’innocence en deçà du bien et du mal, catégories artificiellement forgées par l’intelligence et la société. p. 170.

L’homme est déterminé par la Voie, comme il participe à la Voie, il est libre. En tant que natura naturata il est mû, en tant que natura naturans il est moteur. S’il comprend l’instruction qui lui est donnée, il passe du premier état au second. p. 189.

Le tao mène à l’indifférence, non à l’amour. p. 192.

L’éducation religieuse a toujours oscillé aussi entre ces deux pôles  : faire craindre et faire aimer. Elle a la plupart du temps échoué lorsqu’elle a cru prendre le chemin le plus court, celui de la crainte. Le sentiment de terreur est en effet, depuis Lucrèce, dénoncé comme inspiré par la religion, et, depuis l’Évangile, comme contraire à elle. p. 196.

L’homme ne peut accéder à la contemplation sans l’aide de Dieu dans les religions de la Bible. Dans le bouddhisme, le taoïsme, le brahmanisme, il peut et il doit accéder à la contemplation par ses seules forces. p. 209.

Bibliographie

GRENIER J., L’esprit du Tao, Paris, Flammarion, “Champs essais”, 2010.

Voir aussi

Fiches de lecture : Thich Nhat Hanh, Transformation et guérison.

Notes contemplatives de lecture : Laurent Eul sou Youn, Confucius – Sa vie, son œuvre, sa doctrine  ; Jean Grenier, Les Îles (Préface d’Albert Camus  ; Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du Tir à l’Ar  ; Tchouang-Tseu, Les Œuvres de Maître Tchouang.


Dsirmtcom, avri  2023.

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