NC – Parménide, Le Poème

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 56

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[Les extraits du fragments du Poème de Parménide sont signalés par deux lignes horizontales (au début et à la fin). Ils se différencient ainsi des commentaires de Marcel Conche.]

Si la pleine maturité de Parménide – son akmè – se situe, comme il semble, vers 475 av. J.-C., il n’a rien dû ignorer de la philosophie ionienne. Les fragments qui nous restent de lui invitent, en tout cas, à penser qu’il a connu Anaximandre et médité Héraclite. […] Reste que le Poème de Parménide porte avant tout la marque de l’influence d’Héraclite. p. 7.

Parménide admet, comme Héraclite, que ce qui est vrai ne peut cesser de l’être. Mais alors que, pour Héraclite, le logos recueille la vérité éternelle au sujet de l’éternel devenir, pour Parménide, le discours de ce qui est en devenir ne peut être dit “vrai” mais seulement “vrai-semblable”, au sens étymologique : ayant la semblance du vrai. p. 28.

[La] découverte de Parménide : celle de l’être dont il n’y a pas à demander ce qu’il est, car ce mot ne signifie rien de plus que ceci : il y a. p. 30.

I – L’Allégorie


Fragment 1

Et la Déesse m’accueillit, bienveillante,
prit dans sa main ma main droite, parla ainsi et m’adressa ainsi
la parole : Jeune homme, compagnon de cochers immortels, […]
Il faut que tu sois instruit de tout : à la fois du cœur
sans variation de la vérité droitement persuasive, et
des opinions des mortels où ne se trouve pas de conviction vraie.


La vérité que Parménide annonce n’est pas sa vérité. Il la tient de la Déesse-Vérité elle-même ; il n’en est pas le sujet. Écoutez non moi mais le logos : telle est l’invite d’Héraclite. Écoutez non moi mais la Déesse, c’est-à-dire la Vérité, c’est-à-dire le logos : telle est aussi l’invite de Parménide. Mais philosopher, c’est aimer : aimer la vérité, et l’aimer pour elle-même. Cela veut dire que l’on ne philosophe vraiment qu’avec toute son âme. p. 70-71.

II – La Vérité


Fragment 2

Viens donc, je vais dire – et toi, l’ayant entendue,
Garde bien en toi ma parole – quelles sont les seules voies
de recherche à penser : l’une qu’il y a et que non-être il n’y a pas,
est chemin de persuasion (car celle-ci accompagne la vérité) ;
l’autre qu’il n’y a pas et qu’il est nécessaire qu’il n’y ait pas ;
celle-là, je te le montre, est un sentier dont on ne peut
rien apprendre.


La première voie consiste, d’abord et avant tout, dans l’affirmation de l’être comme indissociable de l’affirmation de la présence : “être” signifie être présent. Et comme l’être – le fait d’être – précède tout être particulier, car s’il n’y avait pas déjà de l’être, comment pourrait-il y avoir tel ou tel être, de même la présence comme telle précède toute présence particulière, relative à un sujet. p. 77.

Il convient de retenir, comme point essentiel, que l’être n’est en aucun cas ce qu’il y a. Il est simplement ce dont l’entente permet de dire de ce qu’il y a, que cela “est”. p. 79.

[La] Déesse montre que le deuxième chemin, celui du rien, est un “sentier dont on ne peut rien apprendre”, en faisant ressortir une nécessité : le rien n’a rien à nous dire ; elle “montre” aussi ce sentier en un sens concret, mais ironiquement : on ne peut montrer un sentier qui n’en est pas un, qui ne dirige pas les pas. p. 84-85.


Fragment 3

Car le même est à la fois penser et être.


De la corrélation du penser et de l’être, que résulte-t-il ? Non pas du tout que être, ce soit être pensé, car le il y a ne dépend aucunement du fait d’être pensé ou non, mais que être, c’est être pensable. […] Par conséquent, le savoir de la Déesse, qu’elle transmet au philosophe, peut être et est un savoir absolu. L’être se dévoile entièrement à la pensée ; il n’en outrepasse aucunement le pouvoir. p. 90.


Fragment 6

Il faut dire et penser l’étant être ; car il y a être
et rien il n’y a pas : cela, oui, je le commande, moi de le méditer.
D’abord, en effet, de cette voie de recherche, je te détourne,
mais ensuite de cette autre aussi sur laquelle errent les mortels
qui ne savent rien, têtes-doubles.


La clef de l’errance des mortels est dans leur pensée même. C’est d’abord une errance de la pensée. p. 107-108.

Juger “par la raison”, seul le peut l’individu qui s’est détaché intellectuellement des croyances collectives ; car seul l’individu solitaire peut avoir affaire non au collectif mais à l’universel. p. 108.

Savoir, c’est savoir la Vérité, entendant par là ce qui ne cesse jamais d’être vrai, qui, contrairement aux savoirs empiriques, n’est en rien à la merci du Temps. p. 112.


Fragment 8

De voie pour la parole,
Ne reste que il y a. Sur cette voie, les signes
sont nombreux : qu’étant inengendré, il est aussi impérissable,
entier, unique, inébranlable et sans terme.
Ni il n’était une fois, ni il ne sera, puisqu’il est maintenant,
tout entier ensemble, un, continu. […]
C’est le même penser et la pensée qu’il y a. […]
Et le Temps n’est ni ne sera une autre chose en plus de l’être,
puisque, celui-ci, le Destin l’a enchaîné de manière qu’il soit entier
et immobile.
C’est pourquoi sera nom tout ce que les mortels ont posé, croyant
que c’était vrai : naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de couleur. […]
Ici, je mets fin au discours digne de foi que je t’adresse et à
la pensée qui cerne la Vérité.


Sans la pensée du passé et la pensée de l’avenir, les autres moments ne viendraient pas hanter le moment présent. Ils ne sont qu’en pensée, donc irréellement. Le maintenant réel, c’est-à-dire indépendant de la pensée, autrement dit pensé par la pensée comme indépendant d’elle, est donc unique. Le temps, comme suite des maintenant(s), est une vue de l’esprit. p. 135.

Que lit-on, dans un cimetière ? Des noms, rien que des noms. Qui ces noms nomment-ils ? Pour beaucoup, on ne le sait plus. Tout s’oublie peu à peu. Qu’en est-il du monde que les hommes tiennent pour “réel” ? Toutes les choses qui le composent sont dans le cas de ne laisser après elles que leurs noms – les noms que leur ont donnés les mortels. Dès lors, dire que “sera nom tout ce que les mortels ont posé […]”, revient à dire que les significations mêmes sont mortelles – non, cependant, le “il y a”, tel qu’il est entendu et prononcé non par les mortels, mais par la Déesse. p. 173.

III – Le Mythe


Fragment 8 (suite)

Les mortels, en effet, ont jugé bon de nommer deux formes,
dont il ne faut pas faire une – en quoi ils se sont trompés.
Ils les ont séparées de façon opposée selon le corps, et en ont établi
les signes à part les uns des autres : d’une part, le feu éthéré
de la flamme […] ; d’autre part, cet autre en lui-même
en ses aspects contraires : nuit sans clarté, corps épais et lourd.
Quant à moi, je t’expose cet arrangement-en-monde, vrai-semblable
en tous points, afin qu’aucune sagesse de mortel ne l’emporte
jamais sur toi.


Le prétendu “être” des choses mondaines ne fait que passer, et le discours sur les choses mondaines ne fait, lui aussi, que passer. p. 188.

Penser la genèse du monde sensible sera donc penser l’union des contraires, et cela sous la forme physique du mélange. p. 196.

Fragment 10


Tu sauras la naissance de l’éther et tous les signes
dans l’éther, et les œuvres destructrices du pur flambeau
du brillant soleil, et d’où elles proviennent.


Dans le cadre de sa cosmogonie, Parménide explique […] la génération des constituants du monde, et la genèse des phénomènes qui en découlent (effets du soleil et de la lune sur la génération). p. 205.


Fragment 15 a

La Terre enracinée dans l’eau.


[Pour] Parménide : l’eau n’est pas ce qui engendre, mais ce qui, grâce aux racines, nourrit. La terre “enracinée dans l’eau” est la terre avec sa végétation, sa flore et sa faune, bref la terre vivante. Thalès, dit Aristote, avait observé que “l’humide est la nourriture de toutes choses”, et aussi que “les semences de toutes choses ont une nature humide”. Ce rôle de l’humide dans l’origine et le maintien de la vie, Parménide le reconnaît aussi bien. L’eau n’est pas à l’origine de la terre comme telle, mais de la vie. p. 242.

Fragment 16


Car, chez les hommes, en tous et en chacun, la nature du corps est cela même qui pense. Car ce qui prédomine fait la pensée. p. 243.


Pour Parménide, comme pour Héraclite, les hommes en nombre, au lieu de se confier à la liberté de la pensée, s’approprient la pensée, l’assujettissent à leurs opinions particulières, c’est-à-dire collectives, non universelles, et ainsi “pensent” et vivent dans une sorte de rêve et d’absence vis-à-vis du réel et de la vérité. p. 249.

[La] connaissance n’est qu’un mode de la pensée. p. 257.

Fragment 19


C’est donc ainsi que, selon ce qui semble, les choses sont nées,
et sont maintenant, et, dans la suite des temps, à partir de maintenant,
après avoir crû en <âge>, mourront. À chacune d’entre elles,
les hommes ont imposé un nom qui la distingue.


C’est “dès maintenant”, dès l’heure présente, que les choses de ce monde sont vouées à périr, après avoir crû – en durée, en âge – un temps plus ou moins bref ou long. C’est même dès leur commencement qu’elles sont allées vers leur terme. Inexorable est le cours du temps, qui, alors que toutes choses, en lui, leur heure venue, cessent d’être (de paraître), lui, ne cesse jamais. p. 267.

[Grâce] aux noms, la mémoire est possible : on peut parler de ce qui n’est plus. ainsi ce qui n’est plus a une sorte d’existence, aussi longtemps du moins que les mots gardent encore un sens. Toujours est-il que penser ce qui a été comme ayant été mais n’est plus rien (ou n’est plus qu’en image – en “nom”), n’est pas penser le rien – lequel est “indicible et impensable”. p. 268.

Conclusion

Comme, chez Héraclite, le logos nous fait saisir l’éternelle vérité du devenir, chez Parménide, le logos nous fait saisir l’éternelle vérité de l’être. p. 270.

Bibliographie

PARMÉNIDE, Le Poème, Traduction et commentaire par Marcel Conche, Paris, PUF, “Épiméthée”, 2011.

Voir aussi

Carnet de vocabulaire philosophique : Ontologie.

Doctrines et vies des philosophes illustres : Thalès de Milet.

Fiches de lecture : Lucrèce, De la nature des choses ; Platon : Parménide, Le Sophiste.

Notes contemplatives de lecture : Héraclite, Fragments.

Notes philosophiques : Les origines de la Philosophie – L’École ionienne.

« Nous n’aurons pas le Temps – Consolation de l’Éphémère »

« De Socrate à Descartes », Fiche de lecture n° 4, Arrien, Le “Manuel” d’Épictète.

Carnet de Vocabulaire Philosophique : Éphémère ; Épochè ; Impermanence ; Logos.

Doctrines et Vies des Philosophes Illustres : Aristote ; Bergson ; Descartes ; Épictète ; Kant ; Pyrrhon ; Socrate.

Fiches de lecture : Platon : Cratyle, Phèdre ; Sénèque : De la brièveté de la vie, De la Tranquillité de l’âme, De l’oisiveté, Lettres à Lucilius ; Thich Nhat Hanh, Transformation et guérison.

Notes contemplatives : Agamben, Pinocchio ; Berkeley, Principes de la connaissance humaine ; Boèce, La Consolation de Philosophie ; Carroll, Alice au Pays des merveilles ; Conche, Temps et destin ; Confucius, Entretiens avec ses disciples ; Les Cyniques grecs : Fragments et témoignages ; Dante, La Divine Comédie ; De Martino, Morts et pleurs rituels ; Grenier, L’esprit du Tao ; Hadot, N’oublie pas de vivre ; Héraclite, Fragments ; Hume, Enquête sur l’entendement humain ; Kleist, Sur le théâtre de marionnettes ; Lie-Tseu, Les Fables de Maître Lie ; Marcel, Homo viator ; Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, Le Gai-Savoir ; Parménide, Le Poème ; Quignard : Les désarçonnés, les Ombres errantes, Sur le jadis ; Sénèque, Consolations ; Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes ; Tchouang-Tseu, Les Œuvres de Maître Tchouang ; Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.


Dsirmtcom, avril 2023.

Notes contemplatives de lecture

Philosophie, Mardi c’est Philosophie, #MardiCestPhilosophie, Contemplation, Notes contemplatives, Parménide, Héraclite, Être, Non-Être, Il y a, Ontologie, Présocratiques

#Philosophie #MardiCestPhilosophie #Contemplation #Parménide #Être #Ontologie #Héraclite #Présocratiques

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.