NC – Sénèque, Consolations

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 57

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Consolation à Helvia, ma mère

Souvent, ma très bonne mère, j’ai éprouvé une vive envie de te consoler mais souvent, je l’ai contenue. […] C’est ainsi que je faisais de mon mieux, en refermant de ma main ma propre plaie, pour parvenir jusqu’à vous afin de panser vos blessures. I, 1, p. 53.

Or l’ampleur d’une douleur hors du commun empêche toujours inévitablement de choisir ses mots car souvent, elle ne laisse même pas passer le son de la voix. I, 3, p. 55.

Le seul avantage qu’on puisse trouver à une continuelle infortune, c’est qu’elle finit par aguerrir ceux qu’elle n’a de cesse de tourmenter. II, 3, p. 57.

La Nature a fait en sorte que, pour vivre bien, nous n’ayons pas besoin de grand-chose : chacun peut faire son propre bonheur. V, 1, p. 61.

En réalité – et cela suffit à apaiser tous mes malheurs – je me suis placé sous l’autorité des sages et, n’ayant pas encore la force de me venir en aide à moi-même, j’ai trouvé refuge dans le camp d’autres gens – de ceux, évidemment, qui se protègent facilement eux-mêmes comme ils protègent leurs proches. / Ils m’ont ordonné de me tenir toujours aux aguets, comme posté en sentinelle, et de prévoir toutes les tentatives, tous les assauts de la Fortune bien avant qu’ils ne se déclarent. V, 2-3, p. 62-63.

Ainsi en a décrété la multitude ; mais les décrets de la multitude sont pour la plupart abrogés par les sages. V, 6, p. 65.

Des raisons diverses ont amené les gens à quitter leur demeure ; mais en tout cas, ce qui est clair c’est que rien n’est jamais demeuré là où il a pris naissance. VII, 5, p. 72.

Enfin, tu auras peine à trouver une seule terre qui soit jusqu’à maintenant habitée par sa population d’origine : ce ne sont que métissages et greffes successives. Les populations se sont succédé les unes aux autres ; tel a convoité ce que tel autre a dédaigné ; tel fut chassé de l’endroit d’où il avait expulsé tel autre. Telle est la volonté du destin : que rien ne bénéficie d’une Fortune éternellement stable. VII, 10, p. 75.

Deux biens, qui sont les plus merveilleux qui soient, nous suivront quel que soit le lieu où nous nous retrouverons : la Nature qui est universelle et la vertu qui nous est propre. VIII, 2, p. 76.

Plus on prolongera ses portiques, plus on élèvera ses tours, plus on agrandira ses propriétés, plus on creusera ses grottes d’été, plus on se masquera le ciel. VIII, 2, p. 80.

Être privé de sa patrie n’est pas un malheur. Tu t’es suffisamment nourri de philosophie pour savoir qu’aux yeux du sage n’importe quel lieu est une patrie. IX, 7, p. 82-83.

Malheur à ceux dont le palais ne frémit que sous des nourritures coûteuses ! […] Autrement, si ces gens voulaient revenir à la raison, quelle serait l’utilité de tous ces métiers au service de l’estomac ? À quoi bon tout ce commerce ? À quoi bon dévaster les forêts ? Sonder les océans ?  X, 5, p. 86-87.

Pourquoi accumulez-vous richesses sur richesses ? Ne voulez-vous pas songer aux capacités limitées de votre corps ? N’y a-t-il pas folie et égarement extrême à avoir des désirs aussi démesurés quand on a de si faibles capacités d’absorption ? Aussi vous aurez beau augmenter vos revenus, jamais vous n’élargirez votre corps. X, 6, p. 87.

Un lieu d’exil pourvoit au nécessaire, un royaume ne pourvoit pas au superflu. XI, 4, p. 93.

[L’âme] ne peut jamais être exilée car elle est libre, apparentée aux dieux et participe de l’infini dans l’espace et dans le temps ; sa pensée, en effet, parcourt la totalité du ciel, elle se déploie dans la totalité du passé et du futur. Ce misérable corps, prison et chaîne de l’âme, est malmené de-ci de-là ; c’est sur lui que pèsent les châtiments, les agressions, les maladies. Mais ce qui est certain, c’est que l’âme est, quant à elle, sacrée et éternelle et que nul ne peut mettre la main sur elle. XI, 7, p. 94.

La raison décapite les vices non pas un par un mais tous en même temps : la victoire est remportée une fois pour toutes. XIII, 3, p. 100.

On n’est jamais méprisé par autrui que si on commence par se mépriser soi-même. XIII, 6, p. 101.

Consolation à Marcia

Je vais me soumettre en même temps que toi à un arbitrage ; la question débattue entre nous sera de savoir s’il vaut mieux qu’une souffrance soit profonde ou perpétuelle. IV, 1, p. 141.

Songe également qu’il n’y a pas de grandeur à se montrer courageux dans la prospérité, lorsque la vie suit un cours favorable ; une mer calme et un vent complaisant ne mettent pas non plus en valeur le savoir-faire du pilote, il faut que survienne une épreuve pour que se révèle son courage. V, 5, p. 145.

Honte au pilote à qui les vagues ont arraché son gouvernail, qui a laissé les voiles flotter au gré des vents, qui a abandonné son bateau à la tempête ; gloire à celui, même en plein naufrage, que la mer a englouti tandis qu’il cherchait à redresser la barre ! VI, 3, p. 147.

Observe combien les animaux privés de parole manifestent, quand ils perdent leurs petits, une douleur certes violente mais brève […] ; l’homme est le seul des animaux à regretter longuement d’avoir perdu son petit : il entretient sa souffrance et il n’en est pas seulement affecté aussi longtemps qu’il l’éprouve mais aussi longtemps qu’il a décidé de l’éprouver. VII, 2, p. 148-149.

[La] pauvreté, le chagrin occasionné par le deuil, le mépris, chacun les éprouve diversement, selon qu’il est plus ou moins corrompu par les habitudes et selon que le rend plus ou moins faible et sans courage l’opinion terrifiante qu’il se fait de choses qui ne sont pas terrifiantes. VII, 4, p. 149-150.

[Ce] que nous avons reçu nous a été prêté. / Nous en avons l’usufruit pour un temps déterminé par celui qui décide des faveurs qu’il octroie ; nous devons tenir à disposition ce qui nous a été prêté jusqu’à une date que nous ignorons et une fois mis en demeure, le rendre sans nous plaindre : ce serait faire un bien piètre débiteur que de chercher querelle à son créancier. X, 2, p. 155-156.

Il faut souvent rappeler à notre cœur d’aimer comme si la séparation allait survenir et même comme si elle survenait déjà. X, 3, p. 156.

À quoi bon s’apitoyer sur des tranches de vie ? C’est toute la vie qui est pitoyable ; de nouveaux déboires fondront sur toi avant que tu en aies fini avec les anciens. XI, 1, p. 158.

[Tout] ce que tu aimes et respectes et tout ce que tu méprises sera également réduit en un seul tas de cendres. C’est sans aucun doute le sens de la formule attribuée à l’oracle de la Pythie : “Connais-toi toi-même.” / Qu’est-ce que l’homme ? Un vase qui se brise au premier choc, à la première secousse. XI, 2-3, p. 159.

[Le] simple fait que tu l’aies eu, que tu l’aies aimé, voilà ta récompense. XII, 2, p. 163.

[Si] on nous donnait le choix entre ne pas être heureux longtemps et ne jamais l’être, mieux vaudrait un bonheur prêt à s’envoler que pas de bonheur du tout. XII, 3, p. 163.

Il n’arrive presque jamais qu’on bénéficie de biens à la fois grands et durables ; le seul bonheur qui dure et se prolonge jusqu’à notre fun, c’est un bonheur fade. XII, 4, p. 164.

Il faudrait être malveillant pour trouver une consolation dans la foule des malheureux. XII, 5, p. 165.

Demande aux gens de venir individuellement faire le point : personne n’a eu la chance de naître impunément. XV, 4, p. 173.

La nature des mortels […] est ainsi faite que rien ne leur plaît davantage que ce qu’ils ont perdu ; nous sommes trop injustes envers ce qui nous reste à cause de notre regret de ce qu’on nous a retiré brutalement. XVI, 8, p. 177-178.

On est né pour voir les autres mourir, pour périr soi-même, pour espérer, craindre, tourmenter les autres et se tourmenter soi-même, craindre la mort tout en la souhaitant et, ce qu’il y a de pire, ne jamais savoir quelle est sa situation. XVII, 1, p. 179.

La mort signe la disparition de toutes les souffrances, elle constitue une limite que ne franchissent pas nos malheurs et elle nous rend à la tranquillité dans laquelle nous baignions avant notre naissance. Si on a pitié des morts, il faut également prendre en pitié ceux qui ne sont pas nés. XIX, 5, p. 190.

Je t’aime ô vie, grâce à la mort ! XX, 3, p. 194.

Toutes choses humaines sont brèves, périssables et occupent une part négligeable de l’éternité. XXI, 1, p. 197.

Nous ne vivons beaucoup que d’une seule manière : en ayant vécu suffisamment. XXI, 2, p. 197.

Personne ne meurt trop tôt puisque personne n’était destiné à vivre plus longtemps qu’il n’a vécu. XXI, 4, p. 198.

Dès l’instant où l’on voit la lumière du jour, on prend le chemin de la mort, on se rapproche du terme fatal et les années mêmes qui allongeaient la jeunesse raccourcissaient la vie. XXI, 5, p. 199.

Tout ce qui a atteint la perfection est proche de sa fin. XXIII, 3, p. 207.

[Si] notre destin commun peut te consoler de ton deuil, sache que rien ne restera définitivement à la même place et que le temps qui passe balaiera et emportera toutes choses dans son sillage. XXVI, 6, p 216-217.

Nous aussi, les âmes des bienheureux, qui avons reçu l’éternité en partage, quand Dieu aura décidé de reconstruire tout cela, nous ne serons, nous-mêmes, tandis que s’effondreront toutes choses, qu’une partie de l’immense cataclysme et nous retournerons à nos éléments premiers. XXVI, 7, p 18.

Bibliographie

SÉNÈQUE, Consolations, Paris, Rivages poche, 1992.

Voir aussi

« Nous n’aurons pas le Temps – Consolation de l’Éphémère »

« De Socrate à Descartes », Fiche de lecture n° 4, Arrien, Le “Manuel” d’Épictète.

Carnet de Vocabulaire Philosophique : Éphémère ; Épochè ; Impermanence ; Logos.

Doctrines et Vies des Philosophes Illustres : Aristote ; Bergson ; Descartes ; Épictète ; Kant ; Pyrrhon ; Socrate.

Fiches de lecture : Platon : Cratyle, Phèdre ; Sénèque : De la brièveté de la vie, De la Tranquillité de l’âme, De l’oisiveté, Lettres à Lucilius ; Thich Nhat Hanh, Transformation et guérison.

Notes contemplatives : Agamben, Pinocchio ; Berkeley, Principes de la connaissance humaine ; Boèce, La Consolation de Philosophie ; Carroll, Alice au Pays des merveilles ; Conche, Temps et destin ; Confucius, Entretiens avec ses disciples ; Les Cyniques grecs : Fragments et témoignages ; Dante, La Divine Comédie ; De Martino, Morts et pleurs rituels ; Grenier, L’esprit du Tao ; Hadot, N’oublie pas de vivre ; Héraclite, Fragments ; Hume, Enquête sur l’entendement humain ; Kleist, Sur le théâtre de marionnettes ; Lie-Tseu, Les Fables de Maître Lie ; Marcel, Homo viator ; Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, Le Gai-Savoir ; Parménide, Le Poème ; Quignard : Les désarçonnés, les Ombres errantes, Sur le jadis ; Sénèque, Consolations ; Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes ; Tchouang-Tseu, Les Œuvres de Maître Tchouang ; Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.


Dsirmtcom, mai 2023.

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