Luz y Caballero, Los Conceptos filosóficos [Les Concepts philosophiques]

Essais Philosophiques CubainsJosé de la Luz y Caballero, Aforismos

Los Conceptos filosóficos – Les Concepts philosophiques

Une fois parvenu à ce que la raison se soit convertie en sentiment, et en sentiment prédominant, comme une règle de conduite, dans le sens de nous réjouir dans les tribulations – pour me servir de l’expression de l’Apôtre1 -, la raison froide doit toujours juger la raison chaude.
Mais la raison joue tellement de rôles, malgré sa fragilité, qu’elle doit être tout à la fois juge, témoin, procureur et salle d’audience.
Qu’il n’en soit pas ainsi, et nous verrons ce que nous sommes ; « Je dis à ceux chez qui la raison commande et les sens obéissent, que c’est proprement être des hommes. »

L’homme est composé des deux cinquièmes d’animalité, d’autant, voire davantage, de passion, et le reste à peine de rationalité (parfois un millionième).

Le temps de nous-mêmes nous ouvre plus les yeux que celui des autres.
Nous parvenons à croire à la maturité de notre raison, en voyant comment ont disparu les opinions antérieures et comment s’est agrandie la sphère de celles nouvelles. Et qui me fera confiance d’être dans la réalité ?
Quand ? Comment ? Attends le temps, et je te le dirai : pourquoi la vie est brève, ainsi un siècle doit forcément critiquer l’autre, comme le dicte – ou l’exige – la raison ?

La raison froide n’est pas la froide raison. La raison froide n’est pas la raison, car le propre de la raison est de voir, et la froideur diminue la vue et l’horizon.
La
raison froide est la nécessaire tranquillité dans l’esprit pour qu’il soit apte ad exsequendum munus suum2.

La conscience est le champ dans lequel le moi rencontre le non-moi : ici la différence et l’identification.

Le nihil volitum quin precognitum3 de Platon, comme cela peut se comprendre, est saltem precognitum ab alio, a causa prima, a Creatore mundi4 ; parce qu’en réalité les premiers besoins, instinctifs, qui tentent de se satisfaire sans connaître leur objet, et dont la conformité à celui-ci s’observe plus tard, montrent clairement la profondeur du projet.

Le moi serait terrible sans le non-moi.

L’absolu est le comble du relatif.

Ce qui semble le plus naturel n’est pas toujours la première chose qui vient à l’entendement. Et dans l’histoire des découvertes, se vérifie également l’existence d’un ordre chronologique et d’un ordre logique.
La simplicité est souvent le signe du progrès ou de la perfection.
Ou ainsi : la complexité est première avant la simplicité. Ou bien autrement : la simplicité première avant la complication.
J’ai aussi observé, il y a plus de vingt-cinq ans, que l’esprit humain marche selon une courbe : ainsi ce n’est pas toujours la ligne droite qui est le chemin le plus court.
L’entendement a besoin de trébucher sur quelque phénomène qui, comme un torrent de lumière, lui éclaire les analogies auxquelles il n’avait pas pensé, avec d’autres faits qui lui étaient familiers : et c’est ainsi que se découvrent les lois.
Quand nous touchons aux résultats sans remonter à l’origine, alors nous tombons dans l’erreur que je réfute : c’est une illusion complète, qui nous ferme la voie de la véritable induction.

L’incertitude ! L’incertitude ! Tous se plaignent de l’incertitude. Qu’on te l’enlève, homme aveuglé, et tu meurs !

Alternative de compréhension : soit il ne voit rien, soit il voit trop, c’est-à-dire ce qu’il n’y a pas.
Je ne le qualifie ni de dur ni de mou, mais plutôt d’essentiel, je ne lui donne pas de nom.
Il arrive ainsi qu’aux yeux du philosophe, qui voit l’indispensable, la loi est déjà bonne, si elle est nécessaire.
Mais les masses ne peuvent pas voir ainsi et on ne devrait pas toujours leur présenter toute la réalité.
Alors, l’art doit joindre le paraître à l’être ; la science, l’être.
Cependant, au milieu de ce qui est nécessaire, c’est-à-dire le bien, le sentiment du meilleur assaille toujours l’homme.

Il y a une façon de découvrir les vérités, qui n’est pas l’intuition, ni l’induction, ni la déduction, et que j’appellerais apparition par l’effet, et élaboration virtuelle et inconsciente par la cause et le procédé.
Cela arrive après avoir médité longuement sur un sujet, lorsque l’entendement a été fortement excité ou, pour ainsi dire, en érection, après avoir reposé les forces, sans nous occuper déjà du problème, une grande pensée apparaît comme un éclair, et qui en réalité se déduit des antécédents ; mais nous ne l’avons pas déduit. Nous ignorons notre propre virtualité.
Comment les partisans des idées
innées n’ont-ils pas profité de ce fait, qui est plus fort que tout ce qu’on a accumulé sur elles ?
Cependant, tout bien examiné, il n’y a ni pour ni contre, mais ce que cela prouve, c’est la virtualité de l’entendement, sa nature à
produire des pensées.
L’opinion contraire pourrait bien plus en tirer parti, car le phénomène susmentionné est toujours le résultat d’antécédents, comme c’est le cas jusqu’à présent pour la
spontanéité ou l’intuition elle-même.
Prolem cum patre et matre creatam5.

Les prodiges qui se produisent dans le monde de l’intelligence !
Les raisons, ou les séries d’idées par où nous parvenons à celles qui semblent les moins connexes !
Ce phénomène n’est pas celui de l’apparition (dont je vante les mérites dans un autre aphorisme d’il y a quatre mois).
Et si cela se produit dans un esprit moyen, que n’en sera-t-il pas dans des âmes inspirées par le génie ou par la grâce !
Dans chaque génie, dans chaque saint.
Nous pouvons seulement, à travers de ce qui nous arrive, pressentir, induire, ce qui peut être chez autrui.
Ici du Moi de Fichte (duquel j’ai aussi fait mention en avril de l’année dernière dans ces aphorismes).

L’idée précède et survit à la réalité.

La réalité dépasse l’imagination, mais elle cède à l’idée, qui se perd dans l’esprit du Très-Haut, où nous nous perdons, pauvres ruisseaux de l’onde immense.

Argument sur l’innéité tiré de l’admiration, signe certain de la nouveauté.
Virtualiter6, tout est dans l’entendement ; c’est-à-dire toutes les notions. Comme on a essayé, et non trouvé, d’obscurcir quelque chose d’aussi clair !

Je ne trouve pas étrange que beaucoup de grands penseurs aient cru aux idées innées : 1° par la force productive qu’ils sentaient en eux-mêmes ; 2° par la facilité ou la spontanéité avec laquelle ils ont conçu et mis en lumière ; 3° par la splendeur des déductions, comme cela est arrivé à Descartes dans les Mathématiques, qui étant les sciences savantes par excellence, comme le dit profondément leur nom de baptême, lui paraissaient divinatoires. Toutes ces causes dissimulaient la cause dans les effets, la virtualité dans les phénomènes.
Ma formule : Les facultés sont innées, mais pas les idées.

[1]. La méthode est le soutien constant de la raison, mais le talent d’observation est le germe de la supériorité.
[2]. L’expérience est le point de départ de toute espèce de connaissances.
[3]. Rien ne renforce autant l’entendement que l’habitude de ne rien admettre de plus que ce qui a été démontré.

L’expérimentation procure aux sens une aide sur laquelle ils ne pouvaient pas compter auparavant ; elle isole et arrête les faits, pour ainsi dire, pour qu’ils se laissent observer.
La nature prononce à la fois des jugements très compliqués, des jugements sur beaucoup de sujets et sur beaucoup de prédicats : c’est pourquoi nous ne pouvons pas déterminer avec certitude quel est le prédicat et à quel sujet il appartient.
Il est donc obligatoire que nous lui séparions les cas, que nous lui apportions principalement la possibilité de s’expliquer dans des jugements sur un sujet et un prédicat.
Dans la mesure où elle le fait, nous la comprenons certainement ; alors nous connaîtrons l’essence d’une force déterminée, et nous saurons la distinguer plus tard, même lorsqu’elle disparaît avec d’autres.
Cette séparation devient d’autant plus nécessaire qu’elle est le moyen d’éviter les erreurs dans notre compréhension, et c’est seulement ainsi que nous pouvons établir des jugements et des observations.
Et ici sont expliqués les grands résultats de la méthode fondée sur l’expérimentation.
Les essais servent simplement à éloigner les difficultés et à présenter les phénomènes à l’intelligence dans une confrontation si simple, qu’elle puisse juger correctement, en toute connaissance et sans illusions.
Faisant des essais un travail un peu similaire à celui fourni par les mathématiques, elles s’opposent aussi d’une certaine manière…

La méthode de l’expérimentation est éminemment rationnelle, puisqu’elle ne fait que céder aux requêtes de la raison en effectuant des essais pour la connaître.

Temps, espace : je ne veux pas les regarder ici de manière métaphysique ; je parlerai seulement de l’impression d’espace, de longueur, que le temps produit en moi après ma dernière maladie chronique, que je ne suis pas encore sorti ni ne sortirai ; tandis que l’espace me cause toujours la même sensation. Je crois avoir trouvé la raison du premier et la raison de la différence. Tant de sensations internes défilent dans l’horloge de l’imagination et à travers le champ obscur de l’oisiveté, que le temps intermédiaire doit paraître multiplié. Je n’ai pas à m’occuper de l’espace : ainsi lorsque je voyage, les mêmes circonstances se répètent.

Le temps est l’espace des idées
Il n’y a pas de doute qu’il existe une grande
relation et corrélation entre le temps et l’espace ; qu’ils vont de pair ; mais pas cette quasi-identité dans l’idée que certains philosophes y trouvent. Je dis quasi parce que personne ne prétend qu’ils sont identiques, ni ne peut prétendre qu’ils le sont.
Ainsi, en concédant à Kant que “le
temps, ou l’idée de celui-ci, est une forme d’intuition7”, je ne lui concède pas en ce qui concerne l’espace, qui existe matériellement en dehors de nous dans les mêmes corps, et aussi en tant qu’abstraction.
Parce qu’il faut garder à l’esprit que le temps n’est pas le
mouvement, mais que le mouvement contribue à l’idée [du temps].

1. Le temps accuse l’extension, et celle-ci accuse le temps : c’est ainsi que l’on peut comprendre la quasi-identification de Kant.
2. Quant à la
mesure de l’espace, d’accord8 ; mais ce n’est pas l’idée de l’espace.
3. Le temps sans l’espace, non : l’espace sans le temps ?

L’espace est pour le sens ; le temps pour la mémoire.
Nous ne mettons pas cela pour l’entendement, mais ils sont par nature pour l’entendement : dans le cas contraire, tout serait subjectif.

1. Nous touchons à la coïncidence des grands penseurs, traversant le temps et l’espace – preuve de l’identité de l’esprit humain. (Et cela dans les sciences physiques comme dans celles morales).
2. Notons, en outre, que s’il est délicat et comme en travail
9, l’esprit humain, parfois un talent subalterne ou pas si supérieur, donne généralement naissance à un enfant qui semble être le produit du génie.
3. Cette coïncidence prouve selon moi deux choses supplémentaires. 1° Un nouvel argument du plan dans l’Univers : Dieu partout, là où nous l’attendons le moins, et
2° Sa
providence, qui répond opportunément aux urgences de l’humanité, même en utilisant les instruments les plus infimes, ou en convertissant en instruments ceux qui ont et sont détenus par des causes.
C’est là que s’inscrit ceci :
Potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae10 (Saint Matthieu)… et l’autre au 2°… ut non invenit homo opus quod operatus est Deus ab initio usque in finem11. Personne ne sait pour qui ou pour quoi il travaille.

Bibliographie

LUZ Y CABALLERO J. (de la), Obras – Aforismos, La Habana, Ediciones Imagen Contemporánea, 2001.


Traduction et annotations : Patrick Moulin, MardiPhilo.fr, février 2024.

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Notes

  1. “J’ai une grande confiance en vous, j’ai tout sujet de me glorifier de vous ; je suis rempli de consolation, je suis comblé de joie au milieu de toutes nos tribulations.” Deuxième épître aux Corinthiens, 7.4. ↩︎
  2. Ad exsequendum munus suum : à accomplir ses fins. ↩︎
  3. Nihil volitum quin precognitum : rien n’est désiré sans qu’il soit connu préalablement. ↩︎
  4. Saltem precognittum ab alio, a causa prima, a Creatore mundi : connu préalablement par un autre pour le moins, par la cause première, par le Créateur du monde. ↩︎
  5. Prolem cum patre et matre creatam : enfants nés de père et de mère. ↩︎
  6. Virtualiter : virtuellement, potentiellement. ↩︎
  7. « Le temps n’est rien d’autre que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition que nous avons de nous-mêmes et de notre état intérieur. » Kant, Critique de la raison pure. Cf. Doctrines et vies des philosophes illustres : Kant. ↩︎
  8. En français dans le texte. ↩︎
  9. Texte original “de parto” : désigne le travail de l’accouchement. ↩︎
  10. “Et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham ». Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.” Matthieu, 3.9. ↩︎
  11. Ut non invenit homo opus quod operatus est Deus ab initio usque in finem : de sorte que l’homme n’a pas découvert l’œuvre que Dieu a accomplie du début à la fin. ↩︎

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