NC – Nietzsche, Humain, trop humain I

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 77-1

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Quoi ? tout ne serait – qu’humain, trop humain ? […] On a nommé mes livres une école du soupçon, plus encore, du mépris, heureusement aussi du courage, voire de la témérité. § 1, p. 23.

[On] ne reste philosophe qu’en gardant le silence. § 8, p. 32.

[Il] n’y a point de faits éternels : de même qu’il n’y a pas de vérités absolues. – C’est pourquoi la philosophie historique est désormais une nécessité, et avec elle la vertu de la modestie. § 2, p. 35.

La philosophie se sépara de la science, lorsqu’elle posa la question : quelle est la connaissance du monde et de la vie avec laquelle l’homme vit le plus heureux ? § 7, p. 38.

L’importance du langage pour le développement de la civilisation réside en ce qu’en lui l’homme a placé un monde propre à côté de l’autre, position qu’il jugeait assez solide pour soulever de là le reste du monde sur ses gonds et de se faire le maître de ce monde. § 11, p. 40.

Personne n’est responsable de ses actes ; personne ne l’est de son être ; juger a la même valeur qu’être injuste. Cela est vrai aussi lorsque l’individu se juge lui-même. § 39, p. 72.

Sans les erreurs qui résident dans les données de la morale, l’homme serait resté animal. Mais ainsi il s’est pris pour quelque chose de supérieur et s’est imposé des lois plus sévères. § 40, p. 72.

Quand on veut pendant très longtemps et avec entêtement paraître quelque chose, il devient à la fin difficile d’être autre chose. § 51, p. 79.

L’un des paralogismes les plus ordinaires est celui-ci : quelqu’un est envers nous véridique et sincère, donc il dit la vérité. C’est ainsi que l’enfant croit aux jugements de ses parents, le chrétien aux affirmations du fondateur de l’Église. § 53, p. 80.

On peut promettre des actions, mais non des sentiments, car ceux-ci sont involontaires. § 58, p. 84.

Il faut avoir une bonne mémoire pour être capable de tenir les promesses qu’on a faites. § 59, p. 84.

Toute vertu a des privilèges, par exemple celui d’apporter au bûcher d’un condamné son petit fagot à soi. § 67, p. 87.

On se trompera rarement si l’on ramène les actions extrêmes à la vanité, les médiocres à la coutume et les petites à la peur. § 74, p. 90.

[On] suppose involontairement que le délinquant et sa victime pensent et sentent de même, et conformément à cette supposition, on mesure la faute de l’un à la douleur de l’autre. § 81, p. 93.

Les hommes ont honte, non pas d’avoir quelque vilaine pensée, mais bien s’ils se figurent qu’on leur attribue ces pensées vilaines. § 84, p. 93.

La plupart des hommes sont bien trop occupés d’eux-mêmes pour être méchants. § 85, p. 93.

Tout homme qui a décidé que l’autre est un imbécile, un mauvais gars, se fâche quand l’autre montre enfin qu’il ne l’est pas. § 90, p. 95.

La souffrance d’autrui est quelque chose qui doit s’apprendre : et jamais ne peut être apprise pleinement. § 101, p. 105.

Socrate et Platon ont raison : quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire : ce qui lui semble bon (utile) selon son degré d’intelligence, selon le niveau actuel de sa rationalité. § 102, p. 105.

Toute philosophie qui, dans l’obscurité de ses vues ultimes, laisse étinceler une queue de comète religieuse rend suspect en soi tout ce qu’elle propose comme science : tout porte à croire que c’est aussi de la religion même sous le déguisement de la science. § 110, p. 117.

Il n’y a pas assez d’amour et de bonté dans le monde pour devoir encore en prodiguer à des êtres imaginaires. § 129, p. 128.

Nous sommes habitués, en face de toute chose parfaite, à ne pas poser le problème du devenir, et à jouir de sa présence comme si elle avait surgi du sol par un tour de magie. § 145, p. 147.

L’art relève la tête quand les religions perdent du terrain. § 150, p. 150.

Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger. § 155, p. 152.

Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. § 162, p. 157.

Le pianiste qui exécute l’œuvre d’un maître aura joué le mieux possible, s’il a fait oublier le maître et s’il a donné l’illusion qu’il racontait une histoire de sa vie ou vivait actuellement un grand moment. § 172, p. 164.

L’antithèse est la porte étroite par où l’erreur se délecte de glisser jusqu’à la vérité. § 187, p. 168.

La plupart des penseurs écrivent mal parce qu’ils ne nous communiquent pas seulement leurs pensées, mais aussi le penser de leurs pensées. § 188, p. 168.

Le poète mène triomphalement ses idées dans le char du rythme : parce que d’ordinaire celles-ci ne sont pas capables d’aller à pied. § 189, p. 168.

Comment l’homme peut-il prendre plaisir à l’absurde ? Tant qu’il y a rire par le monde, c’est bien le cas ; on peut même dire que, presque partout où il y a du bonheur, il y a plaisir pris à l’absurde. § 213, p. 178.

Ce qu’il y a de meilleur en nous vient peut-être de ces époques passées dont nous pouvons maintenant à peine saisir directement le sentiment ; le soleil s’est déjà couché, mais il éclaire et enflamme encore le ciel de notre vie, même si déjà nous ne le voyons plus. § 223, p. 190.

Dans la connaissance de la vérité, il s’agit de ce qu’on l’a, non pas de savoir par quel motif on l’a cherchée, par quelle voie on l’a trouvée. § 225, p. 194.

L’accoutumance à des principes intellectuels sans raisons est ce qu’on nomme croyance. § 226, p. 194.

[Celui] qui a complètement perdu sa route en forêt, mais s’efforce avec une énergie non commune d’arriver dans une direction quelconque au plein air, découvre parfois un chemin nouveau que personne ne connaissait : ainsi naissent les génies dont on célèbre l’originalité. § 231, p. 197.

Ce qui est simultané a un lien commun, pense-t-on. Un parent meurt au loin, en même temps nous rêvons de lui, – Voilà ! Mais d’innombrables parents meurent et nous ne rêvons pas d’eux. C’est comme les naufragés qui font des vœux : plus tard, on ne voit pas dans les temps les ex-voto de ceux qui ont péri. § 255, p. 214.

Tout homme qui veut idéaliser sa vie ne doit pas vouloir la regarder trop précisément et doit toujours reculer son œil à une certaine distance. § 279, p. 231.

Il en va de la liberté des opinions comme de la santé, l’une et l’autre sont individuelles, ni de l’une ni de l’autre on ne saurait former un concept général. § 286, p. 235.

On contredit souvent une opinion, tandis qu’en réalité c’est seulement le ton sur lequel elle est présentée qui ne nous est pas sympathique. § 303, p. 241.

Un sûr moyen de monter les gens et de leur mettre de méchantes pensées en tête, c’est de les faire longtemps attendre. Cela rend immoral. § 310, p. 242.

Parfois, dans la conversation, le son de notre propre voix nous cause une gêne, et nous mène à des affirmations qui ne répondent pas du tout à nos opinions. § 333, p. 246.

[La] nature des choses est ainsi disposée que les femmes ont toujours raison. § 417, p. 272.

[Le] gouvernement n’est rien qu’un organe du peuple, et non pas un prévoyant et respectable “dessus” par rapport à un “dessous” accoutumé à la modestie. § 450, p. 290.

La civilisation doit ses valeurs les plus hautes aux temps politiquement faibles. § 465, p. 298.

Aux savants qui deviennent hommes politiques est d’ordinaire dévolu le rôle comique d’être forcément la bonne conscience d’une politique. § 469, p. 298.

Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. § 483, p. 315.

On critique plus sévèrement un penseur quand il émet une proposition qui nous est désagréable ; et pourtant il serait plus raisonnable de le faire quand sa proposition nous est agréable. § 484, p. 315.

C’est le privilège de la grandeur de procurer beaucoup de bonheur par des dons minimes. § 496, p. 317.

Ne pas du tout parler de soi, c’est une très noble hypocrisie. § 504, p. 319.

Si nous nous trouvons tellement à l’aise dans la pleine nature, c’est qu’elle n’a pas d’opinion sur nous. § 508, p. 319.

L’homme a beau s’étendre tant qu’il veut par sa connaissance, apparaître aussi objectivement qu’il veut ; à la fin, il n’en retire toujours que sa propre biographie. § 513, p. 320.

Plus personne ne meurt aujourd’hui des vérités mortelles ; il y a trop de contrepoisons. § 516, p. 321.

Nous sommes d’un temps dont la civilisation est en danger de périr par les moyens de civilisation. § 520, p. 321.

Quand on a beaucoup de choses à y mettre, la journée a cent poches. § 529, p. 323.

L’imagination de l’inquiétude est ce méchant gnome à figure de singe qui saute encore sur le dos de l’homme, juste alors qu’il a déjà le plus à porter. § 535, p. 324.

Qui voit peu voit toujours trop peu ; qui entend mal entend toujours quelque chose de trop. § 544, p. 325.

Celui-là n’a point d’esprit, qui cherche l’esprit. § 547, p. 326.

Il y a des âmes serviles qui poussent si loin la reconnaissance des services rendus qu’elles s’étranglent elles-mêmes avec le lacet de la gratitude. § 550, p. 326.

Zèle et conscience sont souvent antagonistes, en ce que le zèle veut prendre les fruits verts de l’arbre, mais que la conscience les y laisse prendre trop longtemps, jusqu’à ce qu’ils tombent et s’écrasent. § 556, p. 327.

On oublie sa faute quand on l’a confessée à un autre, mais d’ordinaire l’autre ne l’oublie pas. § 568, p. 329.

La flamme n’est pas aussi lumineuse pour elle-même que pour les autres qu’elle éclaire : de même aussi le sage. § 570, p. 330.

L’avantage de la mauvaise mémoire est qu’on jouit plusieurs fois des mêmes choses pour la première fois. § 580, p. 331.

Le meilleur moyen de bien commencer chaque journée est : de réfléchir, à son réveil, si l’on ne peut pas ce jour-là faire plaisir au moins à quelqu’un. § 589, p. 334.

Ce n’est pas la lutte des opinions qui a rendu l’histoire si violente, mais bien la lutte de la foi dans les opinions, c’est-à-dire des convictions. § 630, p. 351.

[On] préfère le plus souvent se vouer pieds et poings liés à une conviction qui est celle des personnes ayant de l’autorité (pères, amis, maîtres, princes), et l’on éprouve, à ne point le faire, une espèce de remords. § 631, p. 352.

Celui qui veut serait-ce dans une certaine mesure arriver à la liberté de la raison n’a pas le droit de se sentir sur terre autrement que voyageur, – et non pas même pour un périple vers un but final : car il n’y en a point. § 638, p. 357.

Nés des mystères du matin, ils songent à ce qui peut donner au jour, entre le dixième et le douzième coup de l’horloge, un visage si pur, si pénétré de lumière, si joyeux de clarté, – ils cherchent la philosophie d’avant-midi. § 638, p. 358.

Bibliographie

Nietzsche F., Humain, trop humain, Paris, Le Livre de Poche, 1995 (16e édition, 2022).

Voir aussi

« Le Syndrome du Funambule », Livre II : L’Essor – Le grand Midi selon Nietzsche.

« De Spinoza à Sartre », Fiche de lecture n° 3, Nietzsche, Ecce Homo.

Carnet de vocabulaire philosophique : Éternel Retour, Morale, Nihilisme, Ressentiment, Surhomme, Volonté de puissance.

Doctrines et vies des philosophes illustres : Épictète ; Socrate.

Fiches de lecture : Nietzsche, Généalogie de la morale ; Arrien de Nicomédie, Le « Manuel » d’Épictète ; Platon, Apologie de Socrate.

Notes contemplatives de lecture : Nietzsche : Ainsi Parlait Zarathoustra : IIIIIIIV ;  Le Gai Savoir ; Humain, trop humain : ILe Livre du philosophe, III – Le voyageur et son ombre ; Par-delà bien et mal ; Seconde Considération intempestive ; Héraclite : Fragments.


Patrick Moulin, MardiPhilo.fr, septembre 2023.

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