NC – Nietzsche, Seconde Considération intempestive

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 76

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

[Sous-titre : De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie (1874).]

[Nous] avons besoin de l’histoire pour vivre et pour agir, et non point pour nous détourner nonchalamment de la vie et de l’action, ou encore pour enjoliver la vie égoïste et l’action lâche et mauvaise. Nous voulons servir l’histoire seulement en tant qu’elle sert la vie. p. 71.

Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui : il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n’en témoigne ni mélancolie ni ennui. L’homme s’attriste de voir pareille chose, parce qu’il se rengorge devant la bête et qu’il est pourtant jaloux du bonheur de celle-ci. p. 75.

C’est une merveille : le moment est là en un clin d’œil, en un clin d’œil il disparaît. Avant c’est le néant, après c’est le néant, mais le moment revient pour troubler le repos du moment à venir. […] Alors l’homme dit : “Je me souviens.” p. 76.

C’est ainsi que l’animal vit d’une façon non historique […]. L’homme, par contre, s’arc-boute contre le poids toujours plus lourd du passé. p. 76.

Imaginez l’exemple le plus complet : un homme qui serait absolument dépourvu de la faculté d’oublier et qui serait condamné à voir, en toute chose, le devenir. Un tel homme ne croirait plus à son propre être, ne croirait plus en lui-même. p. 77.

Toute action exige l’oubli, comme tout organisme a besoin, non seulement de lumière, mais encore d’obscurité. p. 77-78.

Et voici précisément la proposition que le lecteur est invité à considérer : le point de vue historique aussi bien que le point de vue non historique sont nécessaires à la santé d’un individu, d’un peuple et d’une civilisation. p. 79.

L’histoire appartient au vivant sous trois rapports : elle lui appartient parce qu’il est actif et qu’il aspire ; parce qu’il conserve et qu’il vénère ; parce qu’il souffre et qu’il a besoin de délivrance. À cette trinité de rapports correspondent trois espèces d’histoire, s’il est permis de distinguer, dans l’étude de l’histoire, un point de vue monumental, un point de vue antiquaire et un point de vue critique. p. 87.

L’homme conclut que le sublime qui a été autrefois a certainement été possible autrefois et sera par conséquent encore possible un jour. p. 90.

[Il y a même des époques qui ne sont pas capables de distinguer un passé monumental d’une fiction mythique, car les mêmes impulsions peuvent être empruntées à l’un comme à l’autre. p. 92.

Il y a toujours un danger qui est tout près. Tout ce qui est ancien, tout ce qui appartient au passé et que l’horizon peut embrasser, finit par être considéré comme également vénérable ; par contre, tout ce qui ne reconnaît pas le caractère vénérable et toutes ces choses d’autrefois, donc tout ce qui est nouveau, tout ce qui est dans son devenir, est rejeté et combattu. p. 98.

Le fait que quelque chose est devenu vieux engendre maintenant le désir de le savoir immortel […]. p. 100.

On s’en tient le plus souvent à reconnaître le bien sans le faire, parce que l’on connaît aussi ce qui est meilleur, sans être capable de le faire. p. 102.

La connaissance du passé, dans tous les temps, n’est souhaitable que lorsqu’elle est au service du passé et du présent, et non point quand elle affaiblit le présent, quand elle déracine les germes vivaces de l’avenir. p. 103.

L’individu s’est retiré dans l’intimité de l’être ; à l’extérieur on n’en aperçoit plus rien. p. 115.

Toute philosophie moderne est politique ou policière, elle est réduite à une apparence savante par les gouvernements, les églises, les mœurs et les lâchetés des hommes. On s’en tient à un soupir de regret et à la connaissance du passé. p. 116.

Les historiens naïfs appellent “objectivité” l’habitude de mesurer les opinions et les actions passées aux opinions qui ont cours au moment où ils écrivent. C’est là qu’ils trouvent le canon de toutes les vérités. Leur travail c’est d’adapter le passé à la trivialité actuelle. Par contre, ils appellent “subjective” toute façon d’écrire l’histoire qui ne considère pas comme canonique ces opinions populaires. p. 125.

Le véritable historien doit avoir la force de transformer les choses les plus notoires en choses inouïes et de proclamer les idées générales, avec tant de simplicité et de profondeur que la profondeur en fait oublier la simplicité et la simplicité la profondeur. p. 130.

La parole du passé est toujours parole d’oracle. Vous ne l’entendrez que si vous êtes les constructeurs de l’avenir et les interprètes du présent. p. 131.

Vous aurez suffisamment à penser et à inventer, si vous pensez cette vie à venir. Mais ne demandez pas à l’histoire de vous montrer le pourquoi et le comment. p. 132.

Une religion […] qui doit être transformée en savoir historique, une religion qui doit être étudiée de part en part, scientifiquement, une fois cette étape franchie, sera, par là même, détruite. p. 133.

Ce qui vit cesse de vivre quand on a achevé de le disséquer. L’état douloureux et maladif commence quand commencent les exercices de dissection historique. p. 135.

On aveugle certains oiseaux pour qu’ils chantent mieux : je ne crois pas que les hommes d’aujourd’hui chantent mieux que leurs grands-parents, mais ce que je sais, c’est qu’on les aveugle. p. 137.

Or le jeune homme est devenu un sans-patrie, il doute de toutes les coutumes et de toutes les idées. Il le sait bien à présent : autres temps, autres mœurs ; peu importe donc ce que tu es. p. 137.

Croyez-m’en, quand on veut que les hommes travaillent et se rendent utiles dans l’usine de la science, avant d’avoir atteint leur maturité, on ruine la science dans le plus bref délai, aussi bien que l’on ruine les esclaves employés de trop bonne heure à cette usine. p. 138.

Créez donc vous-même la conception du “peuple”, vous ne pourrez l’imaginer assez noble et assez haute. p. 140.

Je dirais donc que l’histoire enseigne toujours : “Il était une fois”, la morale par contre : “Vous ne devez pas”, ou bien “Vous n’auriez pas dû”. De la sorte, l’histoire devient un compendium de l’immoralité effective. p. 150.

En protestant, j’exige que l’homme apprenne avant tout à vivre et qu’il n’utilise l’histoire qu’au service de la vie apprise. Il faut être jeune pour comprendre cette protestation, et, avec la tendance à grisonner trop tôt, qui est le propre de la jeunesse actuelle, on saurait à peine être assez jeune pour sentir contre quoi ici l’on proteste en somme. p. 168.

Comme si la vie elle-même n’était pas un métier qu’il faut apprendre à fond, qu’il faut réapprendre sans cesse, qu’il faut exercer sans ménagement, si l’on ne veut pas qu’elle donne naissance à des mazettes [personne qui manque de force] et à des bavards ! p. 171.

[La] vie est la puissance supérieure et dominatrice, car la connaissance, en détruisant la vie, se serait en même temps détruite elle-même. La connaissance présuppose la vie, elle a donc, à la conservation de la vie, le même intérêt que tout être à sa propre continuation. p. 175.

Le dieu delphique vous jette, dès le début de votre voyage vers ce but, sa sentence : “Connais-toi toi-même !” C’est une douce sentence, car ce dieu “ne cache point et ne proclame point, mais ne fait qu’indiquer”, comme a dit Héraclite. p. 177-178.

Ceci est une parabole pour chacun de nous. Il faut qu’il organise le chaos qui est en lui, en faisant un retour sur lui-même pour se rappeler ses véritables besoins. Sa loyauté, son caractère sérieux et véridique s’opposeront à ce que l’on se contente de répéter, de réapprendre et d’imiter. Il apprendra alors à comprendre que la culture peut être autre chose encore que la décoration de la vie, ce qui ne serait encore, au fond, que de la simulation et de l’hypocrisie. Car toute parure cache ce qui est paré. p. 178-179.

Bibliographie

Nietzsche F., Seconde Considération intempestive, Paris, GF Flammarion, 1988.

Voir aussi

« Le Syndrome du Funambule », Livre II : L’Essor – Le grand Midi selon Nietzsche.

« De Spinoza à Sartre », Fiche de lecture n° 3, Nietzsche, Ecce Homo.

Carnet de vocabulaire philosophique : Éternel Retour, Morale, Nihilisme, Ressentiment, Surhomme, Volonté de puissance.

Doctrines et vies des philosophes illustres : Épictète ; Socrate.

Fiches de lecture : Nietzsche, Généalogie de la morale ; Arrien de Nicomédie, Le « Manuel » d’Épictète ; Platon, Apologie de Socrate.

Notes contemplatives de lecture : Nietzsche : Ainsi Parlait Zarathoustra : IIIIIIIV ;  Le Gai Savoir ; Humain, trop humain : ILe Livre du philosophe, III – Le voyageur et son ombre ; Par-delà bien et mal ; Seconde Considération intempestive ; Héraclite : Fragments.


Dsirmtcom, septembre 2023.

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