NC – Miguel de Unamuno, Traité de cocotologie

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n°  71

Philosophie espagnole

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Préface de Fernando Arrabal

Miguel de Unamuno y Jugo, la célébrité venue, perdit sa préposition, sa conjonction et son deuxième nom pour devenir rien moins que “Unamuno” tout court et parfois même chose plus difficile et plus honorable encore, “Don Miguel”. p. 7.

Dès qu’il revint en Espagne, après son bannissement et l’exil qui s’ensuivit, Unamuno, entouré de faiseurs de cocottes patentés, inaugura solennellement chaque année la rentrée universitaire de septembre. Ce fut lors de sa dernière célébration qu’advint le plus fameux incident de sa vie, qu’il conclut par un jeu de mots adressé à un général mutilé : “Vous vaincrez mais ne convaincrez pas.” p. 10-11.

Notes pour un traité de cocotologie

On traitera ici de tout le divin et de tout l’humain, le connu comme l’inconnu et l’inconnaissable, en essayant toujours de remonter à la nébuleuse originelle ou, plus précisément, à l’homogène primitif. Il est du plus grand intérêt, avant tout et surtout, d’établir le concept de la science cocotologique, car, sans cette détermination préalable, il est absolument impossible d’avancer dans quelque discipline que ce soit. p. 19.

Dans cette partie, j’exposerai pourquoi je traite en premier de ce qui est premier et en second de ce qui est second, et pourquoi le troisième précède le quatrième, après quoi, j’en viendrai à ce qui est cinquième. p. 20.

On sait en effet que la méthode est tout et que la science se réduit à la méthode, c’est-à-dire au chemin (en grec méthode signifie chemin). Considérant qu’il existe deux sortes de chemins, les uns voies immobiles, le long desquelles le voyageur pense et marche, et d’autres “chemins qui marchent” emportant le voyageur, tels les fleuves ou les rivières, je diviserai les méthodes et, partant, les sciences qui les constituent, en deux grands groupes : méthodes fixes ou terrestres, méthodes en mouvement ou fluviales. p. 20-21.

[Tout] est métaphore. […] Je terminerai en beauté, d’une façon hautement suggestive en parlant de la mer et de l’air qui sont tout chemin, le premier comparable à la philosophie ; le second à la poésie. Car il est nécessaire de faire entrer la poésie dans les sciences. p. 21.

Ne doutons pas de l’importance du nom, importance telle que, précisément, l’essentiel pour une idée ou un objet c’est le nom que nous aurons à lui donner. Repoussons l’absurde aphorisme : le nom ne fait pas la chose, si, le nom fait la chose et même il la crée. p. 23.

Qu’est-ce, en effet, que connaître une chose, sinon la nommer ? p. 24.

Il donna à l’homme le langage et le langage créa la pensée, qui est la mesure de l’univers. [Shelley, Le Prométhée délivré], p. 27.

La cocotologie s’apparente aussi à la psychologie, puisque les cocottes en papier aident au développement de l’intelligence enfantine ; et elle s’apparente aux sciences sociales du fait de sa valeur en tant que jeu pour enfants. p. 29.

[Certains] savants ont émis l’opinion fondée que les quatre pattes d’une table ne servent pas à soutenir son plateau, mais bien que c’est plutôt celui-ci qui supporte les pattes. p. 31-32.

[Le] divin archétype de la cocotte est une espèce géométrique qui gît de tout éternité dans le sein de la Géométrie. p. 35.

On voit donc que la perfection s’acquiert au détriment de la personnalité et qu’un être est d’autant plus parfait, ou archétypique, qu’il est moins personnel. p. 36.

Dieu serait alors le lieu où tous nos moi s’identifieraient et se confondraient jusqu’à la perfection. Il serait donc le Moi collectif, le Moi universel, le Moi-Tout. p. 37.

C’est de son élément premier que découle toute l’organisation d’un être. p. 39.

[La] cocotte est, sans aucun doute, la forme architectonique – employons ce mot – requise et réclamée par le papier, la forme qui surgit tout naturellement du papier, l’idéal de la figure en papier, le parfait être papyracé. / Tout en elle est admirable ; et comme paraît inépuisable la série d’harmonies et de rapports mystérieux qu’elle nous présente. p. 40.

Cette incommensurabilité est à la cocotte ce que la spiritualité est à l’homme ; elle nous prouve que la cocotte doit avoir une vie suprasensible ; car peut-on croire que l’Auteur suprême de tout ce qui existe l’eusse dotée de pareille incommensurabilité s’il n’avait pas eu un objectif ? p. 41.

Poussons l’audace jusqu’à soupçonner que l’enfant a été fait pour la cocotte et non la cocotte pour l’enfant. p. 42.

Observez la perfection avec laquelle la cocotte pose ses pieds à terre et se tient debout ; remarquez qu’elle entretient le moins de contact possible avec le sol et ne le touche que sur trois points nécessaires pour se maintenir en équilibre stable ; dites-moi s’il ne s’agit pas là d’une nouvelle et mirifique perfection de son être, une perfection qui l’élève au-dessus de tant de plantigrades humains qui ont besoin de toucher le sol autant qu’ils le peuvent couvrir. p. 45.

Car, si nous avons appris à faire des cocottes en les regardant faire, qui en a eu l’idée le premier ? Quelqu’un les a-t-il conçues ? Ont-elles surgi du néant, du hasard ou de l’intelligence créatrice et ordonnatrice ? Grave question ! p. 48.

Il me faut donc conclure avant que ne s’altère mon humeur et que je ne change de ton pour dire tout le dégoût que m’inspirent les pédants chercheurs, qui ne sont en rien des chercheurs. Festoyons en paix et noyons la pédagogie dans l’amour et la charité. p. 64.

Histoire de cocottes en papier

D’aucuns furent élevés à la campagne, la parcourant, respirant dans l’air les arômes de jardin et écoutant chanter les oiseaux en chair et en os ; moi je fus élevé dans les rues et y usais mes bottes, incarnant mes idées dans des cocottes en papier et leur prêtant vie. p. 83.

Nous, les hommes de chair, devrions prendre pour modèles, non seulement les fourmis et les abeilles, mais également ces peuples de papier, libres et obéissants, toujours heureux et, grâce à leur créateur faisant œuvre pie, résignés à la vie et à la mort, tous animés par une même idée, une même volonté et une même fin. p. 84.

J’approuve toujours les personnes qui, quelle qu’en soit la raison, affrontent la critique des esprits moqueurs. Dans un pays où le penchant à la moquerie et à la raillerie fait des ravages, l’exemple dont je viens de parler est toujours riche d’enseignement. Il ne traduit rien d’autre que du don-quichottisme et chacun sait que je suis devenu un fervent défenseur de tout don Quichotte. p. 103-104.

La conversation intime et libre, voilà ce qu’il faut promouvoir et favoriser. […] Je ne veux pas être un homme de société, un homme du monde. Savoir porter l’habit constitue, à mon avis, un signe d’infériorité manifeste. p. 110-111.

Bibliographie

UNAMUNO M., Traité de cocotologie, Paris, Les Éditions de Paris, 1994.

Voir aussi

Philosophie espagnole – Filosofía española

Doctrines et vies des philosophes illustres : José Lezama Lima ; Jorge Manrique ; María Zambrano.

Fiches de lecture : Jorge Manrique, Stances pour la mort de son père.

Notes contemplatives de lecture : Juan Domínguez Berrueta, La Chanson de l’Ombre ; Pedro Calderón, La vie est un songe ; Miguel de Unamuno : Aphorismes et définitions, Contes, La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, Le chevalier à la triste figure, Le sentiment tragique de la vie, Traité de cocotologie ; María Zambrano : De l’Aurore, Les Clairières du bois, L’homme et le divin, Notes pour une méthode, Philosophie et poésie, Sentiers I, La Tombe d’Antigone, Revue Europe.

Poésie : Fredy Chikangana : Puñado de Tierra ; Jean de la Croix : Noche oscura ; Hugo Jamioy Juagibioy : Escarba las cenizas ; José Lezama Lima : Esperar la ausencia, María Zambrano, Muerte de Narciso, Las Eras Imaginarias, Pabellón del vacío ; Miguelángel López Hernández : Vivir – morir ; Antonio Machado : A don Miguel de Unamuno, A un naranjo y a un limonero, Coplas mundanas, Glosa, Horizonte, El Hospicio, Me dijo una tarde, Parábolas I, Proverbios y cantares (Caminante) ; Jorge Manrique : ¡Oh, Mundo! Pues que nos matas… ; Pablo Neruda : Maternidad,Trabajo frío, No hay olvido ; Esperanza Ortega : En la hora desnuda, Nunca os diré adiós, Piadosamente ; Raúl Zurita : Diálogo con Chile, Guárdame en ti.


Dsirmtcom, août 2023.

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