NC – Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 72

Philosophie espagnole

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Il importe de dire, avant tout, que la philosophie s’unit plutôt à la poésie qu’à la science. p. 14.

L’homme, dit-on, est un être raisonnable. Je ne sais pourquoi l’on n’a pas dit que c’est un animal affectif ou sentimental. Et peut-être ce qui le différencie des autres animaux est-il plus le sentiment que la raison. J’ai plus souvent vu un chat raisonner que rire ou pleurer. p. 15.

La mémoire est la base de la personnalité individuelle, comme la tradition est la base de la personnalité collective d’un peuple. On vit dans le souvenir et par le souvenir, et notre vie spirituelle n’est, au fond, que l’effort de notre souvenir pour persévérer, pour se faire espérance, l’effort de notre passé pour se faire avenir. p. 21.

Conscience et finalité sont au fond la même chose. p. 26.

Si un philosophe n’est pas un homme, c’est tout ce qu’on veut, sauf un philosophe ; c’est par-dessus tout un pédant, c’est-à-dire une copie et non un original d’homme. p. 28.

Il ne suffit pas de penser notre destinée, il faut la sentir. p. 29.

Il y a quelque chose que, à défaut d’autre nom, nous appellerons le sentiment tragique de la vie, qui entraîne derrière soi toute une conception de la vie même et de l’univers, toute une philosophie plus ou moins formulée, plus ou moins consciente. Ce sentiment, non seulement peuvent l’avoir et l’ont en fait des hommes individuels, mais des peuples entiers. p. 30.

Et peut-être la maladie elle-même est-elle la condition essentielle de ce que nous appelons progrès, et le progrès lui-même une maladie. p. 32.

Un singe anthropoïde eut un jour un rejeton malade, du point de vue strictement animal ou zoologique, véritablement malade, et cette maladie devint, outre une faiblesse, un avantage dans la lutte pour la persistance vitale. Puis ce mammifère unique, l’homme, finit par se tenir droit. p. 33.

La connaissance est au service du besoin de vivre, et primitivement au service de l’instinct de conservation personnelle. p. 36.

La société est un sens surnuméraire, le vrai sens commun. p. 37.

[Ce] qui existe pour nous, c’est tout ce que, d’une manière ou d’une autre, nous avons besoin de connaître pour exister nous-mêmes. p. 37-38.

Il est un monde, le monde sensible, qui est le fils de la faim, et il est un autre monde, l’idéal, qui est le fils de l’amour. p. 39.

La philosophie est un produit humain de chaque philosophe, et chaque philosophe est un homme en chair et en os qui s’adresse à d’autres hommes en chair et en os comme lui. Et qu’il fasse ou non comme il eut, il philosophe non avec la raison seule, mais avec la volonté, le sentiment, avec la chair et avec les os, avec toute l’âme et tout le corps. C’est l’homme qui philosophe. p. 42.

Le pourquoi ne nous intéresse qu’en vue du vers quoi ; nous voulons seulement savoir d’où nous venons, pour pouvoir mieux distinguer où nous allons. p. 46.

[Nous] pouvons dire que tout le vital est antirationnel et non pas seulement irrationnel, et tout le rationnel antivital. Et c’est là la base du sentiment tragique de la vie. p. 47-48.

N’être pas tout et pour toujours, c’est comme si je n’étais pas ; ou au moins être tout moi, et l’être pour jamais. Et être tout moi, c’est être tous les autres. Tout ou rien ! p. 52.

Chaque homme vaut plus que l’humanité entière, et rien ne sert de sacrifier chacun à tous, sinon en tant que tous se sacrifient à chacun. p. 59.

Chacun veut s’affirmer, ne fût-ce qu’en apparence. […] L’homme donne la vie pour la bourse, mais il donne la bourse pour la vanité. […] Plutôt échouer avec esprit que de réussir avec médiocrité. p. 66.

[Nous] avons plus de tendresse pour la monnaie fausse qui porte notre coin, que pour la pièce d’or d’où seront effacées notre effigie et notre devise. p. 68.

Là est, en effet, le terrible danger : croire trop. p. 92.

C’est mon corps vivant qui pense, aime et sent. Comment ? Comme on voudra. p. 99.

C’est une chose terrible, l’intelligence. Elle tend à la mort comme la mémoire à la stabilité. Le vivant, ce qui est absolument instable, l’individuel, est, en toute rigueur, inintelligible. p. 105.

La vérité rationnelle et la vie sont en conflit. Et y a-t-il une autre vérité que la vérité rationnelle ? p. 120.

Ni le sentiment n’arrive à faire de la consolation une vérité, ni la raison à faire de la vérité une consolation ; mais cette dernière, la raison, en s’attaquant à la vérité elle-même, au concept même de la réalité, arrive à se submerger en un profond scepticisme. Et dans cet abîme le scepticisme rationnel se rencontre avec le désespoir sentimental, et c’est de cette rencontre que naît la base – terrible base ! – de la consolation. p. 121.

La volonté et l’intelligence se nécessitent, et le vieil aphorisme “on ne désire rien qu’on n’ait préalablement connu”, il n’est pas paradoxal de le retourner en disant “on ne connaît rien qu’on n’ait préalablement désiré”. p. 129/

[Le] but de la vie est de vivre et non de comprendre. p. 133.

[Je] ne cherche pas à mettre la paix entre mon cœur et ma raison ; j’aime bien mieux qu’ils se battent entre eux. p. 136.

Je suis un ; mais tous sont d’autres “moi”. p. 140.

[Il] vaut mieux manquer de raison que d’en avoir trop. p. 145.

Vivre, c’est se donner, se perpétuer ; se perpétuer et se donner, c’est mourir. p. 150.

Ce que nous appelons le monde, le monde objectif, c’est une tradition sociale. p. 163.

Qui ne souffre pas ne jouit pas davantage ; de même, qui ne sent pas le chaud ne sent pas le froid. p. 164-165.

La philosophie peut avoir, et elle a de fait une origine individuelle ; la théologie est nécessairement collective. p. 174-175.

Vouloir définir Dieu, c’est prétendre à le limiter en notre esprit, c’est-à-dire le tuer. Dès que nous essayons de le définir, c’est le néant qui surgit. p. 185.

Ce n’est pas une nécessité rationnelle, mais une angoisse vitale, qui nous porte à croire en Dieu. Et croire en Dieu, est avant tout et par-dessus tout […] vouloir que Dieu existe. Et c’est vouloir sauver la finalité humaine de l’Univers. p. 202.

[Exister] c’est agir. p. 215.

On se rappelle le passé, on connaît le présent, on ne croit qu’en l’avenir. Croire ce que nous n’avons pas vu, c’est croire que nous le verrons. p. 218.

Je porte en dedans de moi tout ce qui a défilé devant moi et je le perpétue avec moi, et peut-être tout cela s’en va-t-il avec nos germes, de sorte que tous mes ancêtres vivent en moi et vivront en moi en mes descendants. p. 220.

Ce que nous appelons volonté, qu’est-ce sinon douleur ? p. 223.

S’habituer c’est déjà commencer à ne pas être. p. 224.

L’esprit dit : je veux être ! et la matière lui répond : je ne veux pas ! p. 232.

En connaissant une chose, on tend à l’oublier, à faire sa connaissance inconsciente. p. 248.

La connaissance unit le connaisseur au connu. p. 255.

Peut-on être heureux sans espérance ? p. 263.

Nous pensons avec les pensées des autres, et nous sentons avec leurs sentiments. p. 274.

Y a-t-il plus grande joie que de se rappeler le malheur – et se le rappeler c’est le sentir – au temps de la félicité ? p. 276.

[Nos] doctrines éthiques et philosophiques en général ne sont que la justification a posteriori de notre conduite, de nos actes. p. 280.

Faisons que le néant, s’il nous est réservé, soit une injustice ; luttons contre le destin, même sans espérance de victoire ; combattons contre lui à la Don Quichotte. p. 287.

[La] vie ne sert qu’en tant qu’elle sert à son maître et seigneur, l’esprit ; et si le maître périt avec l’esclave, ni l’un ni l’autre ne valent grand-chose. p. 288.

Il n’y a rien de pire qu’un pistolet chargé dans un coin, et dont on ne se sert pas ; passe un enfant, qui se met à jouer et tue son père. Les lois en désuétude sont les plus terribles de toutes, quand leur désuétude vient de ce que la loi est mauvaise. p. 292.

Être vaincu, ou tout au moins apparaître vaincu, c’est bien des fois vaincre ; prendre ce qui est à un autre, c’est une façon de vivre en lui. p. 303.

[Dans] mon vase, tous boivent, je veux que tous y boivent ; je le donne, et mon vase grandit à mesure que grandit le nombre de ceux qui y boivent, et tous, en y posant les lèvres, y laissent un peu de leur esprit. Et je bois aussi aux vases des autres, tandis qu’ils boivent au mien. p. 304.

La pensée philosophique d’un peuple et d’une époque est comme sa fleur, ou si l’on veut ce fruit, puise sa sève dans les racines de la plante ; et les racines, qui sont dans et sous la terre, c’est le sentiment religieux. p. 313.

[C’est] en se posant en ridicule que Don Quichotte obtint son immortalité. p. 324.

Chacun de nous, pour penser, part sciemment ou non, intentionnellement ou non, de ce qu’ont pensé ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’entourent. La pensée est un héritage. p. 329.

Et qu’a légué Don Quichotte ? direz-vous. Je vous dirai qu’il s’est légué lui-même, et qu’un homme, un homme vivant et éternel, vaut toutes les théories et les philosophies. D’autres peuples nous ont laissé surtout des institutions, des livres ; nous autres, nous avons laissé des âmes. p. 341.

Bibliographie

UNAMUNO M., Le sentiment tragique de la vie, Paris, Folio essais, 1997.

Voir aussi

Philosophie espagnole – Filosofía española

Doctrines et vies des philosophes illustres : José Lezama Lima ; Jorge Manrique ; María Zambrano.

Fiches de lecture : Jorge Manrique, Stances pour la mort de son père.

Notes contemplatives de lecture : Juan Domínguez Berrueta, La Chanson de l’Ombre ; Pedro Calderón, La vie est un songe ; Miguel de Unamuno : Aphorismes et définitions, Contes, La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, Le chevalier à la triste figure, Le sentiment tragique de la vie, Traité de cocotologie ; María Zambrano : De l’Aurore, Les Clairières du bois, L’homme et le divin, Notes pour une méthode, Philosophie et poésie, Sentiers I, La Tombe d’Antigone, Revue Europe.

Poésie : Fredy Chikangana : Puñado de Tierra ; Jean de la Croix : Noche oscura ; Hugo Jamioy Juagibioy : Escarba las cenizas ; José Lezama Lima : Esperar la ausencia, María Zambrano, Muerte de Narciso, Las Eras Imaginarias, Pabellón del vacío ; Miguelángel López Hernández : Vivir – morir ; Antonio Machado : A don Miguel de Unamuno, A un naranjo y a un limonero, Coplas mundanas, Glosa, Horizonte, El Hospicio, Me dijo una tarde, Parábolas I, Proverbios y cantares (Caminante) ; Jorge Manrique : ¡Oh, Mundo! Pues que nos matas… ; Pablo Neruda : Maternidad,Trabajo frío, No hay olvido ; Esperanza Ortega : En la hora desnuda, Nunca os diré adiós, Piadosamente ; Raúl Zurita : Diálogo con Chile, Guárdame en ti.


Dsirmtcom, août 2023.

Notes contemplatives de lecture

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