NC – Miguel de Unamuno, La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança

Notes contemplatives de lecture – Note contemplative n° 73

Philosophie espagnole

Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

Notes de lecture

Personne ne comprend plus ce que c’est que la folie. Du fou lui-même, on croit et on dit qu’il l’est à bon escient. La “raison de la déraison”, voilà la vérité pour tous ces pauvres hères. Si notre seigneur Don Quichotte ressuscitait et revenait en Espagne pour s’y livrer à sa noble démence, on lui supposerait une idée de derrière la tête. p. 1.

Quand une chose a une raison d’être, et que cette raison est révélée, elle perd aussitôt toute sa valeur. C’est à cela que sert la logique, cette salope de logique. p. 2.

Suis l’étoile, et fais comme le Chevalier : redresse les torts quand ils se présenteront à toi, chaque chose en son temps, aujourd’hui pour aujourd’hui. p. 7.

Celui qui comprend tout ne comprend rien, et celui qui pardonne tout ne pardonne rien. p. 10.

Tâche de vivre constamment dans le vertige, dominé par une passion quelle qu’elle soit. Il n’y a que les passionnés qui puissent mener à bien une œuvre féconde et durable. p. 11.

Le fait est que c’est par n’importe quelle porte que l’on entre dans le monde, et si l’on s’apprête à des prouesses, il est vain de se demander par quelle porte on sortira. p. 27.

Le plus urgent, c’est ce qui est maintenant et ici, c’est dans le moment qui passe et dans le lieu étroit que nous occupons que se trouvent notre éternité et notre infini. p. 28.

Le fort cherche toujours des raisons pour justifier sa violence, alors que la violence se suffit à elle-même, qu’elle est sa propre raison. p. 38.

Mieux vaut être lion mort que chien vivant. p. 43.

Le sommeil de Don Quichotte fut interrompu par ses généreuses aspirations, car même en songe il quichottait […]. p. 49.

Néfaste pouvoir de la tripe, qui obscurcit la mémoire, trouble la foi, en nous attachant à l’instant qui passe. Tant que l’on boit et que l’on mange, on appartient à la boisson et à la mangeaille. p. 54.

Don Quichotte savait bien qu’il n’y a qu’une seule question, la même pour tous, et que ce qui rachètera le pauvre de sa pauvreté, rachètera le riche de sa richesse. Au diable les remèdes d’occasion ! p. 67.

Si tu crois que tu en vaux cent, pourquoi des discours ? La foi véritable ne raisonne pas, même avec elle-même. p. 84.

Comment en es-tu venu, ô merveilleux Chevalier, à cette profondeur de la sagesse qui consiste à prendre pour invisibles et fantastiques les choses de ce monde, et ainsi à ne pas en concevoir de colère ? p. 89.

C’est par un peut-être que commence la foi qui sauve. Celui qui doute de ce qu’il voit, ne fût-ce que d’une miette, en vient à croire en ce qu’il n’a jamais vu. p. 94.

C’est dans l’audace du dessein et non dans la ponctualité de la connaissance que gît le héros. p. 96.

Sa justice était rapide et exécutive : la sentence et le châtiment étaient pour lui une seule et même chose. Une fois le tort redressé, il ne s’acharnait pas contre le coupable. Et il ne se mit jamais en tête de rendre esclave qui que ce fût. p. 106.

Le beau, c’est le superflu, ce qui a sa fin en soi, la fleur de la vie. p. 120.

Il en est beaucoup qui prétendent épouser la Fortune et avoir la Gloire pour maîtresse, mais ce qui leur arrive, c’est que l’une les harcèle de sa jalousie, et que l’autre se moque d’eux en se dérobant. p. 133-134.

[Ceux] qui ne voient que des phénomènes passagers, c’est qu’ils se contemplent eux-mêmes et qu’ils ne se voient pas au fond. p. 137.

Si tu écris, que personne ne sache comment tu écris, ni à quelle heure, ni avec quelle plume, ni de quelle manière. p. 152.

Oui, mon pauvre Don Quichotte, oui, nous aimons mieux qu’on se moque de nous, que de voir qu’on ne fait de nous aucun cas. p. 155.

Les choses sont d’autant plus vraies qu’on y croit davantage, et ce n’est pas l’intelligence, c’est la volonté qui les impose. p. 157.

Seul celui qui tente l’absurde est capable de conquérir l’impossible. p. 160.

Vous parlez de liberté, et vous n’avez cure que de la liberté extérieure ; vous demandez la liberté de penser, au lieu de l’exercer d’abord en pensant. p. 171.

Ces hommes si raisonnables n’ont que la raison, ils ne pensent qu’avec leur tête, alors qu’il faut penser avec tout son corps et avec toute son âme. p. 176.

Celui qui croit diriger est bien souvent dirigé lui-même, et la foi du héros se nourrit de celle qu’il parvient à infuser dans ceux qui le suivent. […] Nous avons besoin que l’on croie en nous, pour y croire nous-mêmes […]. p. 183.

Il y a à côté du sens commun un sentiment commun aussi. À côté de l’épaisseur de la caboche, il y a aussi une épaisseur du cœur en quoi nous sommes empêtrés. p. 190.

La foi se maintient en dissipant les doutes, en recommençant à résoudre ceux qui ont surgi de la résolution des précédents. p. 204.

Le fou est un comédien profond qui prend au sérieux la comédie, mais qui ne se trompe pas. Tandis qu’il joue le rôle de Dieu, ou d’un roi, ou d’une bête, il sait bien qu’il n’est ni Dieu, ni roi, ni bête ; il veut l‘être et cela suffit. p. 205.

Le héros est toujours au fond un enfant, son cœur est toujours puéril : le héros n’est qu’un enfant qui a grandi. Ton Don Quichotte ne fut jamais qu’un enfant, un enfant tout au long des douze longues années où il n’osa vaincre la timidité qui l’emprisonnait, un enfant en se plongeant dans les livres de chevalerie, un enfant en se lançant dans les aventures. Et que Dieu nous garde toujours enfants, ami Sancho ! p. 213.

Il n’est que de faire le fou pour réduire à la sagesse ceux qui le sont en vérité. p. 215.

L’homme est un abîme de contradictions. p. 222.

Si la vie est un songe, pourquoi nous obstiner à nier que les songes soient la vie ? Et tout ce qui est vie est vérité. Ce que nous appelons réalité est-ce autre chose qu’une illusion qui nous pousse à agir, et engendre des œuvres ? L’effet pratique est le seul critérium valable de la vérité d’une vision quelconque. p. 230-231.

Don Quichotte, qui prend au sérieux la comédie, ne peut paraître ridicule qu’à ceux qui prennent le sérieux en plaisanterie, et qui font de la vie un théâtre. p. 237.

Ne sois pas le jouet des grands. Parcours l’histoire et vois où en sont venus les héros qui s’abaissèrent à être l’ornement des salons. p. 245.

[On] ne vit jamais fou plus sérieux que Don Quichotte. Et quand la folie s’accompagne de sérieux, elle se rehausse et s’élève à mille coudées au-dessus de la sagesse folâtre ou farceuse. p. 253.

Si tu es savetier, que ton but soit de faire ton métier mieux qu’aucun autre, mets ta gloire à empêcher tes clients d’avoir des cors aux pieds. p. 257-258.

Voilà la formule la plus compréhensive et en même temps la plus large de la tolérance : si tu veux que je te croie, crois-moi. C’est sur le crédit mutuel qu’est cimentée la société des hommes. p. 262.

La pauvreté, ce n’est pas le manque de moyens pécuniaires pour l’entretien de la vie, mais l’état d’âme que cette détresse engendre. p. 269-270.

Le délit, à cette heure, le véritable délit, c’est d’être pauvre. Celles de nos sociétés qui se disent les plus avancées et les plus cultivées, se distinguent par leur haine de la pauvreté et des pauvres. p. 271-272.

Le véritable héros est, qu’il le sache ou non, un poète, car l’héroïsme, qu’est-ce d’autre que poésie ? La racine de l’un et de l’autre est la même, et si le héros est un poète en action, le poète est un héros en imagination. p. 275.

La musique est l’esprit, la lettre est la chair, et toute doctrine du cœur est chanson. p. 276.

Toi, Sancho, tu n’es pas né pour commander, mais pour être commandé, et celui qui est né pour être commandé trouve sa liberté à être commandé, son esclavage à commander. p. 282.

Don Quichotte retourne à son enfance spirituelle, à l’enfance dont le souvenir est le soulagement de notre âme, car c’est l’enfant que nous portons tous en nous-mêmes qui doit nous justifier quelque jour. p. 296.

La vérité, c’est ce qui fait vivre, ce n’est pas ce qui fait penser. p. 302.

Ce qui est vrai, je te le répète, c’est ce qui nous pousse à agir, et qui fait que nous réalisons notre dessein : c’est l’action qui fait la vérité. p. 304.

Il faut en dire autant de tout genre de justice humaine, qui est née de l’injustice, de la nécessité de se maintenir et de se perpétuer. La justice et l’ordre naquirent au monde pour maintenir la violence et le désordre. p. 312.

Et qui vous a dit, faibles esprits, que le destin final de l’homme soit d’assurer l’ordre social sur la terre, et d’éviter ces maux apparents que nous appelons les délits et les offenses. p. 317.

[L’homme] est si misérable qu’il aime mieux le nom sans l’œuvre que l’œuvre sans le nom, il aime mieux le cuivre où son effigie reste frappée, que l’or pur de son esprit, où l’effigie et la légende sont effacées. p. 321.

Il est bon qu’un écrivain tisse ses phrases, puis les démonte, les lustre et les tonde, pour les couper, les recoudre et tailler ainsi le vêtement de sa pensée, pourvu que ce soit au profit de celui qui le lira. p. 321.

Chacun doit s’engraisser de lui-même. p. 322.

Le point, c’est de laisser un nom à travers des siècles, de vivre dans la mémoire des gens, de ne pas mourir. Ne pas mourir ! Telle est la dernière racine, la racine des racines de la folie quichottesque. Ne pas mourir ! L’angoisse de vivre, l’angoisse de la vie éternelle, c’est là ce qui te donna une vie immortelle, mon seigneur Don Quichotte, le songe de ta vie fut le songe de ne pas mourir. p. 332.

Car, si elle est composée d’hommes et de femmes, l’Humanité n’en est pas moins femme, elle est mère. Toute société, tout peuple est mère. Les multitudes sont féminines. p. 339.

Le premier usage qu’ils feront de leur liberté, c’est de lapider le libérateur. p. 341.

Qu’est-ce donc sinon l’épouvante de devenir rien, qui nous pousse à vouloir être tout, unique remède pour ne pas tomber dans l’effroi du néant ? p. 360.

Mais croyez-vous que Don Quichotte ne ressuscitera pas ? Il en est qui croient qu’il n’est pas mort, que celui qui est mort, c’est celui que Cervantès a voulu tuer, et non pas Don Quichotte. Il y en a qui croient qu’il est ressuscité le troisième jour et qu’il reviendra à sa chair mortelle pour faire des siennes. p. 369.

Bibliographie

Unamuno M., La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, Paris, Albin Michel, 1959.

Voir aussi

Poésie : Machado : A don Miguel de Unamuno.

Philosophie espagnole – Filosofía española

Doctrines et vies des philosophes illustres : José Lezama Lima ; Jorge Manrique ; María Zambrano.

Fiches de lecture : Jorge Manrique, Stances pour la mort de son père.

Notes contemplatives de lecture : Juan Domínguez Berrueta, La Chanson de l’Ombre ; Pedro Calderón, La vie est un songe ; Miguel de Unamuno : Aphorismes et définitions, Contes, La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, Le chevalier à la triste figure, Le sentiment tragique de la vie, Traité de cocotologie ; María Zambrano : De l’Aurore, Les Clairières du bois, L’homme et le divin, Notes pour une méthode, Philosophie et poésie, Sentiers I, La Tombe d’Antigone, Revue Europe.

Poésie : Fredy Chikangana : Puñado de Tierra ; Jean de la Croix : Noche oscura ; Hugo Jamioy Juagibioy : Escarba las cenizas ; José Lezama Lima : Esperar la ausencia, María Zambrano, Muerte de Narciso, Las Eras Imaginarias, Pabellón del vacío ; Miguelángel López Hernández : Vivir – morir ; Antonio Machado : A don Miguel de Unamuno, A un naranjo y a un limonero, Coplas mundanas, Glosa, Horizonte, El Hospicio, Me dijo una tarde, Parábolas I, Proverbios y cantares (Caminante) ; Jorge Manrique : ¡Oh, Mundo! Pues que nos matas… ; Pablo Neruda : Maternidad,Trabajo frío, No hay olvido ; Esperanza Ortega : En la hora desnuda, Nunca os diré adiós, Piadosamente ; Raúl Zurita : Diálogo con Chile, Guárdame en ti.


Patrick Moulin, MardiPhilo.fr, septembre 2023.

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Notes contemplatives de lecture

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